Son aisance à surfer sur les époques lui ouvre toutes les portes. Après Versailles et le Louvre, il se met dans les pas de François Ier au château de Chambord.
Le décorateur est connu pour son lyrisme et son franc-parler, ce qui en agace certains. Mais si l’homme cultive le superlatif, il a indéniablement du talent. Amoureux du décor, l’histoire des styles est son bréviaire. Il jongle avec les époques, les réinterprète, les marque de son empreinte. On l’a connu féru de XIXe siècle lors de l’ouverture de l’hôtel Costes, puis passionné par les XVIIe et XVIIIe siècles avec la restauration de son château du Champ de Bataille et le réaménagement de Versailles. On le découvre aujourd’hui épris d’austérité avec la création à Chambord d’un décor dans l’esprit de François Ier… S’il assure savoir aussi composer des intérieurs très contemporains, Jacques Garcia appartient à la famille des décorateurs qui tutoient l’histoire.
Comment est né ce projet ?
À l’occasion des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci et de la naissance de Chambord, Jean d’Haussonville, le directeur du château, avait envie de faire bouger les choses. Ensemble, nous avons imaginé une installation provisoire pour être fidèles à l’époque. François Ier n’a fait que des séjours extrêmement courts à Chambord. Au XVIe siècle, la cour passe d’un château à l’autre et transporte avec elle tapisseries, soieries, coffres, sièges gainés. J’ai donc refait le hall avec des tentures flottantes, réalisées par la maison Frey à partir de la photocopie d’un fragment de velours marqué du «F» de François Ier. Un portrait du roi, son buste et un tableau immense représentant le camp du Drap d’or complètent l’évocation. Dans les bras de croix, j’ai accroché des tapisseries anciennes : Chambord en a une collection extraordinaire. Elles seront présentées par roulement, pour les préserver. Des bois de cerf rappellent la vocation première du château et du domaine : la chasse. Au premier étage, j’ai refait la chambre du roi, son cabinet, et mis à nouveau des tapisseries dans les bras de croix.
Pas de mobilier ?
Il n’y avait pas grand-chose : un siège-coffre dans l’entrée… c’est à peu près tout. Alors, j’ai fait copier une table en bois qui vient d’un couvent du XVIe siècle et qui est au château d’Anet, parfaite pour présenter le gibier après la chasse. Autour, j’ai disposé des ployants et des tabourets houssés comme on les voit dans les tableaux de la Renaissance. Pour la lumière, j’ai fait réaliser des cubes en papier qui m’ont été inspirés par La Reine Margot de Patrice Chéreau.
Une mise en scène tout en sobriété…
Dans l’esprit de l’époque. Chambord est une merveille d’architecture avec un chef-d’œuvre absolu, l’escalier sculpté dont on pense qu’il a été dessiné par Léonard de Vinci. Pour le mettre en valeur, les murs des pièces autour de lui sont restés purs, sans ornement. Mais on y accrochait des tapisseries. Quelques érudits disent qu’il fallait laisser au lieu son aspect minéral, mais les mêmes trouvaient cela sinistre auparavant ! C’est typiquement français.
Ce décor minimal estun exercice de style, pour vous qui êtes plutôt habitué aux intérieurs fastueux…
C’est une erreur de penser cela. Je m’adapte à ce que j’ai en face de moi. Je suis celui qui a fait Versailles et le Louvre, mais aussi le Wynn à Las Vegas et le Metropole à Monaco. Je suis Dr Jekyll et Mr. Hyde : cela s’appelle faire le grand écart !
Le château du Champ de Bataille est tout de même l’œuvre de votre vie…
C’est le plus beau musée privé ouvert au public. Il y a là cinquante objets qui pourraient aller au Louvre ou à Versailles. Nous venons d’obtenir trois étoiles dans le Guide Michelin pour les collections, ce qui est rarissime pour un château privé. Cela couronne cinquante ans d’achats.
L’œuvre est-elle aujourd’hui achevée ?
Oui, mais une maison comme Champ de Bataille, vous n’en êtes jamais le propriétaire, c’est elle qui vous possède. Je ne suis que le détenteur d’une chose que j’ai créée et que je peaufine. Je suis dans la même situation que Picasso : tant qu’il n’a pas vendu son tableau, il a toujours le droit d’ajouter un troisième œil ! En 1992, j’ai pris une maison et en ai fait une maquette. J’ai travaillé et ai investi tout ce que je gagnais pour reprendre, petit à petit, celle-ci et parvenir à ce que je voulais. Au fil du temps, j’ai changé beaucoup de choses. Le manque de moyens amène plus de réflexion. Quand ils sont immenses, on va trop vite. J’adore les repentirs, je n’ai fait que cela. Ce n’est plus la même maison qu’il y a dix ans.
Y a-t-il, à Champ de Bataille, des meubles, des objets achetés à Drouot ?
Bien sûr, Drouot est une manne. Au bureau, on repère au moins une dizaine de lots par semaine, mais c’est la plupart du temps pour mes clients. Moi, je n’ai pas les moyens… Heureusement, je suis un insatiable chineur, j’ai encore acheté hier, chez un brocanteur, une commode avec la marque de Versailles, pour les appartements du Dauphin, où elle n’ira pas…
Pourtant, Versailles, c’est un peu votre deuxième maison…
J’y ai passé dix ans gratuitement, au titre du mécénat de compétence. On a remeublé le Grand Couvert de la reine, le cabinet intérieur de Marie-Antoinette, trois pièces du Grand Appartement du roi, l’appartement de Mesdames… J’ai œuvré afin qu’il y ait des échanges entre le Louvre, Versailles et le Mobilier national. Grâce à mon intervention, la chambre du Roi est remeublée avec des choses qui viennent du Louvre. Cela ne se fera plus jamais, car les conservateurs ont comme principe d’être… conservateurs.
Vous avez également repensé le parcours dédié aux arts décoratifs français des XVIIe et XVIIIe siècles du Louvre ?
Oui, trente-cinq salles, dont une vingtaine de period rooms. Attention, ce ne sont pas des reconstitutions historiques, je n’ai pas cette prétention et ne fais jamais que des évocations.
Avant cette passion pour le XVIIIe siècle, vous aviez une étiquette très second Empire…
Le style Napoléon III du Costes, c’était il y a vingt-quatre ans, et il n’a été jamais refait… ce qu’on ne peut pas dire d’autres adresses parisiennes à la mode. J’ai créé un écrin pour «cocottes», dans le bon sens du terme, et apparemment tout le monde rêve d’être une cocotte, vu le succès ! Mais j’aimais déjà tout autant le Grand Siècle. N’oubliez pas que j’ai habité pendant vingt ans la maison de Mansart, dans le Marais. C’est avec ce lieu que j’entre dans l’historisme. Avant cela, je créais comme tout le monde des décors contemporains. Je me suis alors dit que j’allais faire le contraire, et aujourd’hui, je retourne aux sources ! Je suis en train de faire le plus beau projet du monde : la transformation de l’hôtel des ambassadeurs de Hollande en hôtel ultra haut de gamme, avec neuf appartements très luxueux. C’est Madame de Montespan qui s’installe à Clagny !
Pensez-vous que ce soit cette connaissance de l’histoire qui séduise vos clients, en particulier les Russes ?
Sans doute. Vous connaissez Saint-Pétersbourg ? Les Russes ne sortent pas de nulle part. Grâce à eux, j’ai décoré la plus jolie maison de ma carrière, dans la campagne anglaise. Un projet de dix ans. Il n’y avait plus que les façades, et j’avais carte blanche. J’ai acheté tous les meubles : le cabinet en pierres dures offert par Louis XIV à la reine de Suède, une commode ayant appartenu à Marie-Antoinette, l’autre au Grand Dauphin.
Vous aimez bien les provenances royales…
Je dirais plutôt les provenances illustres, et c’est vrai, j’adore ça. Pour une raison simple : un grand commanditaire s’adresse fatalement à un grand artiste, et celui-ci va tout faire pour lui livrer un chef-d’œuvre.
Y a-t-il un lieu que vous regrettez de ne pas avoir décoré ?
J’ai fait beaucoup d’hôtels avec le succès que l’on sait : le Costes, La Réserve, l’Hôtel, rue des Beaux-Arts, la Mamounia… Partout, j’ai totalement réinventé l’histoire. Mais, quand il s’agit de lieux au passé extraordinaire comme le Meurice, le Ritz, le Plaza, le Crillon, on ne m’appelle pas… le Crillon, le plus bel endroit au monde, c’était pour moi.