Fondateurs d’une des agences de conseil les plus en vue, Viola Raikhel-Bolot et Harvey Mendelson assistent des clients au patrimoine artistique de plusieurs centaines de millions d’euros.
Ils ne sont pas là pour rigoler. «Business first !» Ces deux entrepreneurs ont créé, il y a maintenant quinze ans, 1858 Ltd, leur société de conseil artistique. Celle-ci répondait alors à un besoin encore mal défini, celui d’un accompagnement indépendant et pragmatique. Depuis Londres, 1858 Ltd s’est développée à Paris et en Allemagne et ses dirigeants réfléchissent désormais à étendre sa présence aux État-Unis. Aujourd’hui à la tête d’une des agences parmi les plus installées, Viola Raikhel-Bolot et Harvey Mendelson reviennent pour nous sur leur métier et sur son évolution.
Pourriez-vous nous présenter l’un de vos plus beaux «coups» ?
Harvey Mendelson : Ce serait indubitablement la vente de ce que l’on appelle entre nous le «superlot» ! Il s’agissait d’une collection de montres Swatch constituée sur plus d’un quart de siècle par un client luxembourgeois [NDLR : Paul Dunkel] et que nous avons placée aux enchères à Hong Kong… comme un seul et unique lot ! Les 5 800 pièces sont ainsi parties auprès d’une institution européenne pour 5,5 M€, plus de quatre fois et demie l’estimation initiale. Au-delà du beau résultat et de l’aspect « fantasque» de ce cas, il représente bien, selon moi, le rôle d’accompagnement efficace d’un art advisor : des conseils qui se traduisent par des résultats concrets pour le client.
N’êtes-vous pas d’abord des spécialistes de l’art ?
Viola Raikhel-Bolot : C’est vrai. Mais nous sommes avant tout pragmatiques et nous cherchons à répondre à tous les besoins de nos clients. Quand ceux-ci sont satisfaits sur un domaine de «collectibles», ils reviennent vers nous avec tous leurs actifs «passions». Sans compter que les acteurs, les structures et les processus sont souvent similaires, pour ne pas dire les mêmes, qu’il s’agisse d’art, de vin, de bijoux, d’automobiles de collection ou de design. Le savoir-faire que nous avons mis en place avec l’art s’applique assez largement aux autres domaines.
En quinze ans comment ont évolué les exigences de vos clients ?
VRB : Intrinsèquement, elles n’ont pas fondamentalement changé. Elles restent grandement centrées autour d’un accompagnement personnalisé et surtout impartial. Quand nous avons créé 1858 Ltd, les art advisors n’étaient jamais vraiment indépendants. Ils étaient toujours intéressés, d’une manière ou d’une autre, par les transactions. Or, parfois l’intérêt du client est de ne pas acheter ou de ne pas vendre ! Nous étions persuadés, et nous le sommes toujours, que c’est cette liberté que les collectionneurs recherchent. Ce qui a fondamentalement changé en revanche, c’est le type de client que nous pensions toucher. Il y a quinze ans, nous imaginions traiter principalement une clientèle financière, concernée avant tout par l’aspect patrimonial de l’art. Aujourd’hui, notre activité est principalement portée par des collectionneurs. Ce changement a grandement contribué à étendre le spectre des compétences que nous mettons à leur disposition.
Avec l’évolution de l’offre de services, l’intérêt des clients a dû se modifier…
HM : Chaque client est différent et a des besoins et des requêtes qui lui sont propres. Un jeune collectionneur requerra davantage d’accompagnement pour ses achats, là où un acheteur confirmé cherchera une expertise sur la transmission de son patrimoine ou sur des problématiques assurantielles par exemple. Un de nos clients nous surnomme les «McKinsey de l’art»… C’est vrai que nous entretenons une approche de consulting : comprendre le besoin (éducation, esthétique, patrimonial, gestion des risques, protection, transmission, etc.) puis, seulement ensuite, trouver la bonne solution. Si l’on ne prend pas le temps de comprendre le contexte, la réponse apportée sera forcément bancale. Nous travaillons beaucoup avec les banques privées et les family offices, mais ce que recherchent en général les clients finaux, c’est un one stop shop, un guichet unique qui puisse les seconder sur toutes les questions qu’ils se posent concernant leurs actifs «passion». Pour cela, ils se tournent en général vers leurs banques privées ou leur family offices, mais ceux-ci sont bien souvent incapables de répondre à ces problématiques, faute de compétences en interne.
Justement, comment trouver l’expertise ?
HM : C’est difficile. La compétence est rare. Il n’existe que peu de bonnes formations et l’expérience a, dans notre domaine, une valeur irremplaçable. Nous fonctionnons donc par recommandation, par rencontre… et nous testons beaucoup.
VRB : Le cœur de notre savoir-faire est centré autour du marché, de ses nuances et des manières d’être le plus efficace sur celui-ci. Pour le reste, nous nous appuyons sur d’autres professionnels qui ont fait leurs preuves et, en effet, nous testons beaucoup !
Quelle est, alors, votre véritable valeur ajoutée ?
VRB : Elle peut être multiple : cela va de la réduction des frais de transaction à l’accès à des pièces hors marché, de l’évitement de transactions dommageables à une structuration patrimoniale efficace… Mais il ne faut surtout pas oublier que notre plus-value n’est pas nécessairement évidente pour le client. Il nous appartient toujours de la démontrer… encore et encore.
Le prêt gagé par des œuvres d’art est-il utilisé par vos collectionneurs ?
VRB : Nos clients ont entendu parler de ce nouveau type d’offres et nous interrogent effectivement sur leur pertinence dans leur cas propre. Mais pour être honnête, sur dix scénarios de crédit qui sont proposés, neuf seront disqualifiés immédiatement…
HM : Pour certains clients, cela peut néanmoins être approprié et ils étudient effectivement la possibilité d’obtenir des liquidités en tirant parti de leurs œuvres d’art. Mais ensuite, il s’agit d’un arbitrage car d’autres actifs comme l’immobilier peuvent également être gagés. Il existe en effet bien d’autres manières beaucoup plus simples, beaucoup plus rapides et surtout moins chères de lever de l’argent. On perçoit néanmoins un développement fort de ces activités avec des boutiques players mais aussi des banques qui s’y intéressent à marche forcée pour ne pas perdre leurs clients.
Le rôle de l’art advisor n’est-il pas directement lié au manque de transparence du marché ?
HM : En partie mais pas uniquement. C’est vrai que le travail de due diligence que nous réalisons serait grandement simplifié si le marché était davantage intelligible, mais il resterait de toute manière à faire. Sans compter que ce n’est qu’une partie de nos services. À titre personnel, nous sommes de fervents promoteurs d’une plus grande transparence dans le marché de l’art. Pour être franc, cela nous faciliterait grandement la vie ! Je pense que, d’une manière générale, l’information se banalise mais qu’en même temps le niveau de connaissance général, lui, ne progresse pas vraiment. Il n’y a pas de raccourci, rien ne peut ni ne remplacera l’expérience.