Pour l’avenir, je mise sur Poliakoff », déclarait Vassily Kandinsky, qui avait rencontré Serge Poliakoff dans le Paris des années 1920, devenu un refuge pour les exilés fuyant la Révolution russe qui avait éclaté trois ans plus tôt. Reproduite dans le second tome du catalogue raisonné de Thaddée et Alexis Poliakoff, consacré aux années 1955-1958, cette gouache peut en témoigner. Le travail du peintre est arrivé à maturité et la consécration est en marche. Après la reconnaissance que constitue un premier achat public, par le musée de Grenoble, en 1948, il signera un contrat avec la galerie Bing, en 1952. De quoi lui donner tout loisir de se consacrer à la peinture, dont il peut désormais vivre pleinement. Il multiplie par ailleurs les expositions, élargissant le nombre de ses collectionneurs, des États-Unis à la Russie. En 1956, l’année de cette gouache, il remporte le Premio Lissone, décerné en Italie. Ce prix salue le talent de Poliakoff à réaliser ce qu’il qualifie lui-même de « poème plastique ». En construisant l’espace par le biais des formes et des couleurs, ce musicien émérite – la guitare lui a permis de gagner sa vie pendant une trentaine d’années – compose en effet une sorte de musique visuelle, qui doit être ressentie plutôt que regardée. Partant des angles de son support, il progresse méthodiquement vers le centre en créant un réseau de formes interdépendantes, dont chaque note chromatique détermine la suivante, afin de générer des harmonies contrastées. Il juxtapose ainsi les tons complémentaires, le sombre et le clair, le froid et le chaud. « Le plus important dans l’art, ce sont l’espace, les proportions et le rythme », affirme l’artiste. S’il limite volontairement le nombre d’éléments dans ses œuvres, leurs combinaisons sont infinies, d’autant qu’aucune de ces formes n’est réellement géométrique. Dans les années 1950, leurs délimitations sont volontiers arrondies, comme on peut le voir ici. Telles les cellules d’un organisme, elles donnent vie à l’ensemble de la composition, qui semble se prolonger au-delà des limites de l’œuvre. Faussement uniformes, les couleurs sont elles-mêmes stratifiées. L’ampleur de la touche, l’épaisseur et la fluidité de la matière sont autant de variables avec lesquelles jouer. Pour en être parfaitement maître, Poliakoff délaisse les tubes pour broyer lui-même ses couleurs, mélangées à l’huile ou à l’eau selon des dosages correspondant à ses besoins. Il peut dès lors laisser libre cours à ses expérimentations.