Entre ses résidences de Londres, New York et Paris, elle décline un style de vie très séduisant, mêlant luxe, art et beauté. Terry de Gunzburg est aussi une collectionneuse enthousiaste, à laquelle le marché dit merci.
Toutes les femmes connaissent sa marque de produits de beauté, By Terry. En vingt ans, la make-up artist a transformé son expérience en success story. Aujourd’hui, elle réaménage son espace de la galerie Véro-Dodat, pour en faire un endroit encore plus luxueux ; en septembre, elle inaugurera aussi, à quelques pas, un écrin dédié au lifestyle. On y trouvera de la vaisselle, des céramiques et des œuvres de jeunes artistes, car lorsqu’elle ne maquille pas, Terry court les foires et les ventes aux enchères. Avec Jean de Gunzburg, son époux depuis vingt-trois ans, elle a constitué l’une des plus belles collections de notre époque : Picasso, Modigliani, Soutine, Giacometti, Bacon, Rothko y côtoient Rateau, Dunand, Royère, Lalanne… Et celle-ci s’enrichit chaque jour, ou presque, d’œuvres du XXIe siècle. Une accumulation de chefs-d’œuvre au milieu desquels le couple vit en toute simplicité.
Pourquoi avoir eu envie d’ouvrir un nouveau lieu à Paris ?
Pour proposer autre chose que du maquillage : des objets délirants qui ne sont pas commerciaux, comme des flacons de parfum gigantesques en forme de bénitier, des écritoires chinoises en laque, des coffrets en marqueterie de paille, et des œuvres d’artistes que je veux mettre dans la lumière. C’est le Terry’s choice, mon regard sur les choses. Une nouvelle façon de communiquer. Montrer comment je vis. Mon identité, c’est luxe, art et beauté.
Vous parlez toujours du luxe avec décontraction. Alors que la plupart des collectionneurs ont peur d’ouvrir leur porte, cela n’est jamais un problème pour vous…
Des femmes me disent : «Vous êtes mon modèle». Cela fait extrêmement plaisir, mais crée aussi des devoirs, comme l’obligation de partager ce que je vis. Je suis très perturbée par les personnes qui n’existent que par ce qu’ils possèdent. Je déteste les collectionneurs qui ont des chefs-d’œuvre et qui ne les prêtent pas ; j’en connais et je trouve cela très égoïste.
Est-ce aussi votre façon de remercier un destin qui vous a gâtée ?
Je le fais parce que j’ai beaucoup travaillé et que je suis chanceuse. La bonne étoile, cela n’a rien à voir avec les moyens.
Ce qui vous différencie également, c’est que vous vivez cela avec gaité et légèreté…
Je le vis avec beaucoup de distance, consciente que tout peut disparaître, sans être pour autant angoissée. Mais je n’ai aucun instinct de propriété.
Cela vient-il de votre enfance ?
Peut-être. Mes parents appartenaient à une grande famille du Caire. Ils ont fui l’Égypte en 1956 et sont arrivés à Paris, sans rien. Ma grand-mère me disait que la seule chose que l’on ne m’enlèverait jamais, c’est ma joie de vivre et mon intelligence. J’ai été élevée dans le culte des musées, de la culture. Mon père était un scientifique, ma mère lisait tout le temps. J’ai commencé des études de médecine, puis je me suis inscrite aux Beaux-Arts, en architecture. Un stage chez les sœurs Carita, durant l’été, a fait basculer mon destin.
Vous entrez ensuite chez Yves Saint Laurent, où vous restez quinze ans. Est-ce lui et Pierre Bergé qui vous donnent l’envie de collectionner ?
Je l’avais déjà bien avant. À 14 ans, j’accompagnais ma tante à Drouot. J’achetais de la vaisselle au kilo, et j’ai fait des affaires ! Plus tard, tous les samedis matin, j’étais aux Puces, «au cul du camion». Dès que j’avais un peu d’argent, je le dépensais pour des objets art déco, de la céramique, des pièces d’orfèvrerie, des bijoux d’artistes, des photos. Je faisais des publicités avec Dominique Issermann et Bettina Rheims : ça payait bien, mais j’étais toujours fauchée ! Collectionner est un plaisir, je ne pourrais pas vivre sans.
Avec Yves Saint Laurent, votre regard devient peut-être plus exigeant…
Oui bien sûr, mais mon statut de «maquilleuse star» m’amenait à m’occuper de beaucoup de femmes du monde, et je pénétrais dans de très beaux appartements. Je me souviens de mon premier choc quand je suis entrée à l’hôtel Lambert… J’allais chez Hélène David-Weill et chez Nan Kempner, à New York. De plus, quand vous travaillez avec Helmut Newton ou Guy Bourdin, votre œil se façonne aussi…
Vous souvenez-vous de votre premier objet cher ?
Oui, une céramique de Picasso, que mon neveu vient de casser. C’est la vie.
En épousant Jean de Gunzburg, votre terrain de jeu s’est considérablement élargi…
J’ai amené mon mari à ce que j’aimais et non pas le contraire. Il appréciait l’art et avait hérité d’une collection, mais il ne collectionnait pas lui-même.
J’imagine qu’au début vous couriez les ventes avec enthousiasme ?
Mais on ne s’est jamais arrêtés ! Jean considère que l’on a trop acheté. Depuis le premier jour, il me répète : «Maintenant, il faut qu’on se calme». Mais je n’aime pas me mettre un frein et, en règle générale, il me laisse faire.
Vous rappelez-vous de votre premier achat commun ?
C’était un Poliakoff de 1955, l’année de notre naissance. Puis, il y a eu Les Trois Marcheurs de Giacometti. Je le voulais absolument. Je nous revois sur notre lit, à deux heures du matin, en train d’enchérir au téléphone
Je poussais Jean : «Encore une fois, juste une fois »… C’était beaucoup d’argent, mais rien à voir avec aujourd’hui. Idem pour le triptyque de Bacon.
Est-ce difficile de se fixer une limite ?
C’est comme jouer et, quand on n’a pas la dernière enchère, on pousse un ouf de soulagement, en se disant qu’on a finalement fait une économie… Mais les grandes acquisitions sont toujours des achats qui font mal, allant au-delà de ce que l’on pensait mettre.
Aujourd’hui, tout le monde parle du coût d’une œuvre. Cela ne vous gêne-t-il pas ?
C’est horrible. Lorsque je vais dans une galerie et qu’on me dit qu’il faut acheter maintenant tel artiste parce qu’il va valoir bientôt une fortune, je réponds : gardez-le.
Avez-vous eu recours à un conseiller ?
Au début, notre amie Dominique Lévy nous a épaulés. Elle nous a fait acheter par exemple l’autoportrait de Bacon, le Rothko… Désormais, mon conseiller, c’est ma fille Éloïse, qui travaille chez Gagosian à Londres. Elle achète des œuvres très contemporaines, toutes galeries confondues. Ce qui me permet de me consacrer aux arts décoratifs.
Revendez-vous parfois pour épurer la collection ?
On a seulement vendu un tableau de Mark Grotjahn, acheté sur photo et qui s’est révélé finalement décevant, ainsi qu’une œuvre extrêmement importante que nous avons cédée à un ami qui la voulait absolument, pour nous permettre de financer un projet immobilier.
Certains disent que vous êtes boulimique…
Peut-être, mais pas au point de me faire vomir ensuite. Je ne me punis pas ! [rires] Et je ne suis pas insatiable. Mais j’avoue ressentir un plaisir fou à acheter. On vient de me proposer des lanternes en murano noir et blanc de 1930, qui étaient dans un palais. C’est tellement beau que je ne peux pas passer à côté. J’ai presque eu un orgasme en les voyant, cela ne m’est jamais arrivé devant un sac en croco !
Vous aimez aussi mettre en scène vos acquisitions, décorer vos différentes maisons…
Oui, je viens d’ailleurs de tout réaménager à Paris. Jacques Grange, qui avait fait la décoration, m’a félicitée ! Il adore ma folie. On travaille très bien ensemble, nous sommes en osmose depuis tellement longtemps. J’avais tout juste 20 ans quand nous nous sommes connus.
Vous n’êtes pas du genre à stocker les œuvres en port franc...
Il faut dédramatiser les choses. L’art, c’est pour le plaisir, collectionner doit être gai. Je déteste le poids de l’argent. Nous n’avons pas l’impression d’avoir constitué une collection importante, ce sont les compagnies d’assurances qui nous le rappellent ! Nous l’avons fait avec passion, pour vivre avec. Les enfants jouaient avec les marcheurs de Giacometti, et j’ai aujourd’hui douze petits-enfants, à qui l’on dit : «Chez Mamie Terry, on fait attention»… mais ils font quand même du patin à roulettes au milieu des œuvres.