Ses œuvres ont logiquement séduit les plus grands peintres du XXe siècle : les paysages du douanier se situent à la charnière de l’impressionnisme et du cubisme.
L’herbe haute, presque dansante, occupe le premier plan telle une barrière, donnant sur la vue d’une scierie dans un paysage boisé et vallonné. Un vieillard est assis sur un tronc d’arbre devant un tas de grumes et un promeneur, tout de blanc vêtu, est arrêté sur le chemin, bordé sur un côté d’arbres à grandes feuilles. On pourrait se croire dans un pays exotique si le ciel couvert n’indiquait une localisation sous nos climats tempérés. Les plans successifs apportent de la profondeur, ponctués par un réverbère solitaire suscitant une certaine mélancolie. Henri Rousseau, surnommé «le Douanier» en raison de son poste d’employé d’octroi, se veut peintre à l’instar des grands maîtres qu’il admire au Louvre, ayant obtenu une carte de copiste. Des supérieurs tolérants lui accordent un supplément de temps libre pour brosser les paysages environnants. Au gré de ses postes quai d’Auteuil, pont de la Tournelle, porte de Vanves par exemple , il nous propose des vues de la banlieue parisienne et même plus loin. Alors que les impressionnistes tiennent leurs dernières expositions, Rousseau envoie des œuvres au Salon des indépendants. En 1889, visitant l’Exposition universelle, il est subjugué par la nature luxuriante des colonies. Ses premières «Jungles» figureront aux Indépendants deux ans plus tard. Vallotton note, pour un journal suisse : «Rousseau devient de plus en plus stupéfiant d’année en année, mais il s’impose et en tout cas se taille une jolie réclame : les dos moutonnent devant ses envois et les rires retentissent […] Son tigre surprenant une proie est à voir : c’est l’alpha et l’oméga de la peinture». En 1893, l’artiste est mis à la retraite et se lie avec le jeune Alfred Jarry, natif de Laval comme lui. Le monde des avant-gardes l’accueille plus ou moins, incertain de son talent mais impressionné par sa vision très singulière du paysage comme saisi sans ciel ou presque, centré sur le sujet. Rousseau voulait quant à lui retrouver la foi des maîtres de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance dans leur art. Ses tableaux, dits naïfs, sont emplis de poésie et d’une tendresse certaine pour les humbles maisons de banlieue, les joueurs de football courant sous des auvents d’arbres, les pêcheurs à la ligne, les portraits de ses proches ou de personnes admirées Pierre Loti, Guillaume Apollinaire, Joseph Brummer… Tout comme Gauguin, il recherchait une nouvelle fraîcheur dans la peinture, une manière de se passer des artifices. En 1895, Henri Rousseau rédige sa propre notice biographique, dans laquelle on peut lire : «Il s’est perfectionné, de plus en plus, dans le genre original qu’il a adopté». Un fini minutieux, des plans plats qui se chevauchent composent son style ; il n’en a jamais dévié.