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La saga Berès au féminin

Publié le , par Anne Doridou-Heim

Anisabelle Berès-Montanari s’est lancée dans l’aventure familiale avec détermination et passion. Cette digne héritière a su à son tour imprimer sa marque.

Anisabelle Berès-Montanari devant une œuvre de l’artiste coréenne Kyung Ae Hur (née... La saga Berès au féminin
Anisabelle Berès-Montanari devant une œuvre de l’artiste coréenne Kyung Ae Hur (née en 1977).
© Galerie Berès

La famille Berès a livré de fortes personnalités. Les lecteurs de la Gazette connaissent parfaitement Pierre et Huguette Berès, tous deux ténors dans leur domaine respectif des livres et des estampes japonaises. Pour rendre hommage au premier, expert de nombreuses ventes à Drouot, évoquons simplement la vente à la BnF, en 2000, du manuscrit des Mémoires d’outre-tombe, et le don à la même institution, en 2006, de celui, autographe et annoté par Stendhal, de La Chartreuse de Parme. Si la seconde était plus discrète, elle n’en demeure pas moins la grande dame de l’estampe japonaise en France ; elle fut aussi l’une des premières à promouvoir l’art des nabis. Après avoir travaillé à ses côtés, Anisabelle Berès-Montanari a repris le flambeau de sa mère… et a poussé plus loin l’aventure.
Impossible de commencer cette discussion sans évoquer vos parents, deux figures incontournables du monde de l’art de la seconde moitié du XXe siècle…
Mon père Pierre Berès, libraire et expert, était un homme d’une culture phénoménale. Mes parents se sont rencontrés par hasard. Ma mère tenait le journal de son école et est allée interviewer celui qui était alors le plus jeune expert de France. Voilà comment l’histoire a commencé… C’était véritablement une autre époque, où certaines personnes plaçaient la culture au-dessus de toutes les valeurs. Je leur dois énormément, même si face à deux telles personnalités, il m’a fallu faire mes preuves !

 

Simon Hantaï (1922-2008), Sans titre, 1971, aquarelle sur toile, monogrammée et datée en bas à droite «S.H.71», 46 x 46,5 cm (détail).  
Simon Hantaï (1922-2008), Sans titre, 1971, aquarelle sur toile, monogrammée et datée en bas à droite «S.H.71», 46 46,5 cm (détail).
 © Archives Simon Hantaï / Adagp, Paris, 2019

Vous êtes vice-présidente de la Biennale Paris. Comment voyez-vous sa prochaine édition ?
Figurez-vous que je suis plutôt confiante, et les retours déjà validés de nouvelles inscriptions me permettent cet optimisme. Je pense que ce nouvel acte sera plus facile que le précédent. Je sais que le contexte intérieur en France n’est pas des plus roses. Mais regardez à l’international : pensez-vous que cela soit mieux ailleurs ? Entre le Brexit dont, à cette heure, on ne connaît pas l’issue et la situation politique aux États-Unis… Les marchands étrangers sont prêts à prendre le risque de revenir à Paris, qui demeure une place centrale et mérite un beau salon. Je n’étais pas favorable à l’annualisation, même si j’en comprends les raisons. Maintenant qu’elle est en place, il faut tout mettre en œuvre pour qu’elle fonctionne, et le recalage de la date (du 13 au 17 septembre, soit une semaine plus tard que les deux précédentes éditions, ndlr) est une très bonne chose.
Quelle est votre relation avec les ventes aux enchères ?
Je suis bien évidemment l’actualité du marché et achète parfois aux enchères, mais lorsque c’est le cas, je conserve un moment mes acquisitions avant de les montrer. Et j’essaie surtout de trouver des pièces qui sortent de collections privées. En revanche, je mets un point d’honneur à ne jamais rien mettre aux enchères qui soit en relation avec mon activité professionnelle. Les ventes consécutives aux successions de mes parents sont d’un autre ordre. Pour moi, cette activité n’est pas compatible avec notre métier. De la même manière, toutes les œuvres exposées dans les salons auxquels je participe m’appartiennent : je n’emprunte rien. C’est un luxe suprême qui me coûte cher, mais qui m’offre une grande liberté. Il me permet de tout contrôler, de tout choisir pour arriver avec une véritable cohérence, et je crois que cela se ressent.
Je sais que c’est une erreur économique, mais la liberté passe avant tout.

Pour cela, il faut un vrai stock…
Oui, c’est certain, et j’ai conscience de la chance qui est la mienne de pouvoir faire ce choix. En matière d’estampes japonaises, je dispose d’un fonds très important qui me vient de ma mère. N’oubliez pas que sa première galerie remonte à 1952. C’était sa véritable passion. Aujourd’hui, ce marché est très difficile. Clairement, il n’est plus en France, il s’est déplacé au Japon et aux États-Unis. Bien le pratiquer nécessite une connaissance immense. Le Japon étant un monde de symboles, d’histoires, il faut les clés. Pour les appréhender, je me suis fait enfermer plusieurs jours dans les musées d’Honolulu et de Chicago. Une expérience incroyable. Désormais, on trouve beaucoup d’estampes de faible qualité, le marché ayant quasiment disparu pour les pièces moyennes et la demande se concentrant sur les pièces exceptionnelles, évidemment rarissimes. Les Japonais sont prêts à payer très cher leur patrimoine et l’estampe est leur ADN. Mes filles, (Florence Levy-Montanari, qui travaille avec elle à la galerie, et Capucine Fleury-Montanari, qui a repris l’activité de son père pour les cadres, ndlr) sont également dans le commerce de l’art, mais ce domaine ne les intéresse pas et il s’arrêtera avec moi.

 

Édouard Vuillard (1868-1940), Misia dans un bois, vers 1897-1899, huile sur carton, 42,1 x 56 cm.
Édouard Vuillard (1868-1940), Misia dans un bois, vers 1897-1899, huile sur carton, 42,1 56 cm. © Galerie Berès


Comment est arrivée l’aventure avec l’art moderne ?
Petit à petit, ma mère s’est ouverte à lui : celui qu’elle aimait, la peinture des nabis essentiellement, sur lesquels elle a construit sa notoriété. Ils étaient très à la mode et relativement abordables encore. Lorsque je l’ai rejointe, je l’ai poussée à exposer dans les foires. Notre première participation à la Biennale date de 1978, et ce sont des tableaux que nous y avons montrés. J’étais alors, et suis toujours, tout particulièrement sensible à l’art des avant-gardes, celles de la fin du XIXe siècle et celles du XXe. Des artistes cubistes, mais aussi abstraits, et plus récemment quelques contemporains, Soulages, Hantaï, Zao Wou-ki. Peu à peu néanmoins, mes goûts ont évolué et je suis allée vers plus d’épure. Cela dit, à 19 ans déjà et sans savoir du tout de qui il s’agissait, j’ai eu un coup de cœur pour un tout petit tableau de Geneviève Asse. Je l’ai acheté et le possède toujours. Ensuite, je me suis intéressée à une autre figure féminine de l’art abstrait, Judit Reigl. Ce sont deux grandes dames de la peinture moderne, et les rencontrer dans leur atelier fut une très belle expérience.

Que montrez-vous aujourd’hui dans votre galerie du quai Voltaire ?
Je demeure fidèle aux nabis, aux peintres cubistes et aux abstraits des années 1950-1970… avec quelques incursions dans le XXIe siècle. Florence a exposé l’année dernière une jeune artiste coréenne, Kyung-Ae Hur, dont j’aime tout particulièrement les fulgurances colorées. Mais je ne peux pas tout présenter, il faut se concentrer. J’aime aussi organiser des expositions pour en faire des références, c’est pourquoi je prends mon temps. «Les peintres graveurs», en 2002, «Au temps des cubistes» en 2006, pour n’en citer que deux, ont été saluées par la critique. Elles étaient accompagnées de livres qui sont devenus autant de références sur le sujet. Je prépare un nouvel ouvrage, mais ne vous en dirai pas plus pour l’instant !
Comment voyez-vous l’évolution du monde de l’art ?
Il y a encore des collectionneurs, qui sont de deux types : d’un côté, les investisseurs, qui ont moins de connaissances mais qu’il ne faut pas dédaigner car ils achètent, et de l’autre, les vrais connaisseurs, passionnés souvent pour un artiste ou un mouvement. Je pense donc que l’art restera une valeur dans un monde qui évolue très vite. Il le doit, d’ailleurs. Que serait notre connaissance des temps anciens sans la grottes de Lascaux, les manuscrits de la mer Morte ou encore le trésor de Toutankhamon ? Mais, et je le déplore, il n’y a plus guère de place pour le moyen de gamme. La demande se concentre sur les objets sérieux, ceux qui valent beaucoup d’argent, ce qui ne laisse pas la possibilité aux gens disposant de moyens moins importants de venir acheter.
Et quelle est votre âme de collectionneuse ?
Effrénée ! Je collectionne des artefacts de partout, inuits, égyptiens, des Marquises… Tout m’intéresse. Et lorsque j’ai envie d’un objet, je ne lâche pas. Je le garde dans un coin de ma tête et j’attends, même si cela peut prendre vingt ans. Le magnifique Bonnard qui était sur mon stand à Maastricht cette année en est un exemple. Ce que j’aime avant tout, c’est acheter : vendre ne m’amuse pas. Je dois être une anomalie !

Anisabelle Berès-Montanari
en 5 dates
1952 Ouverture de la galerie Berès
1978 Première participation à la Biennale des Antiquaires
1990 «Au temps des Nabis» exposition à la galerie
2002 «Les peintres graveurs»
2006 «Au temps de cubistes»
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