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Brexit : les conséquences sur le marché de l’art européens

Publié le , par Pierre Naquin

In extremis... le Royaume-Uni et l’Union Européenne ont réussi à harmoniser leurs positions, plus de quatre ans après un référendum aux conséquences bien mal préparées. Quelles implications pour le monde de l’art européen ?

Photo Étienne Godiard Brexit : les conséquences sur le marché de l’art européens
Photo Étienne Godiard

23 juin 2016. L’Union européenne se retrouve face à un dilemme à multiples bandes. Au lendemain du référendum britannique, devant le résultat d’un suffrage démocratique qu’elle pratique finalement très peu – tout en louant ses vertus – la voilà bien embarrassée : comment juguler toute velléité d’autres pays de se « libérer » du « joug » européen tout en préservant une relation économique et diplomatique (à défaut de politique) avec l’un de ses membres les plus importants ? Ce fut la mission confiée à Michel Barnier avec un soutien unanime et sans faille des vingt-sept autres membres de l’UE. 24 décembre 2020. Alors que les Européens n’aspirent plus qu’à recouvrer leur liberté, revoir leurs proches et échapper aux confinements et autres couvre-feux, l’on apprend que l’UE et le Royaume-Uni ont finalement réussi à trouver un accord de libre-échange, une semaine seulement avant la mise en place des barrières douanières. Là où ce type de traité nécessite généralement plusieurs années, voire des décennies, de négociations, quelques mois auront ici suffi. Quel type de convention peut être scellé dans ces conditions ? Et surtout, qu’en est-il finalement pour les professionnels du marché de l’art ?

Red tape et TVA
Si le traité ne fait pas spécifiquement mention du domaine de l’art – hormis pour préciser que le Royaume-Uni et l’Union européenne continueront de collaborer dans le cadre de la lutte contre le trafic de biens culturels –, les professionnels du secteur seront nécessairement impactés. Au premier chef, la sortie du Royaume-Uni de l’Union douanière signifie que les objets, à chaque passage de frontière, devront désormais être exportés. Les marchands participant aux foires de Bâle savent exactement de quoi il retourne : des carnets ATA, ce fameux document douanier international à remplir pour chacune des pièces, accompagnés des déclarations d’exportation en cas de vente dans le pays, etc. Si l’on ne doit pas craindre l’établissement de taxes liées au déplacement d’œuvres d’art des deux côtés de la Manche – un no deal n’aurait d’ailleurs pas eu d’impact à ce niveau, l’art faisant partie des catégories de l’Organisation mondiale du commerce dont les taux d’import/export sont à zéro –, la complexité administrative qui découle de cette sortie de l’union douanière fera nécessairement réfléchir tous les professionnels quand il s’agira de participer à des salons londoniens. Avec la sortie du Royaume-Uni du système de TVA intracommunautaire, Londres perd un de ses avantages sur le marché européen, son très faible taux de TVA à l’importation. Si celui-ci n’évoluera pas dans les faits de l’autre côté du Channel, il ne permettra plus de faire circuler les objets dans toute l’Europe comme auparavant. « Cela aura probablement un impact sur tout un pan des transactions à l’importation qui se déclaraient à Londres pour des raisons purement fiscales. Même si la différence de taux n’était pas toujours conséquente, cela payait l’accompagnement juridique, le transport et les assurances, explique Antoine Cadeo de Iturbide, associé du cabinet Oplus. Cela pourrait bénéficier à Paris ou Bruxelles qui ont aussi des taux plutôt faibles. » La place française, avec son écosystème très développé, semble effectivement particulièrement bien placée pour profiter de la situation. Cela paraît confirmé par les multiples ouvertures de bureaux d’acteurs britanniques ou américains qui avaient initialement fait le choix de Londres pour couvrir le continent européen (Zwirner, PACE, etc.). « Ce développement sur le continent est un phénomène à sens unique. Depuis le Brexit, je n’ai pas connaissance de galeries européennes qui auraient exprimé le souhait de s’installer au Royaume-Uni », confie encore l’auteur de L’Art et la fiscalité du collectionneur dans le monde (éditions A&F Markets). La lourdeur administrative va certainement aussi freiner les ardeurs de certaines maisons de ventes internationales à privilégier systématiquement la place londonienne pour des objets « sourcés » sur le continent. La question se posera pour eux en termes simples : y a-t-il davantage de potentiel pour ces œuvres dans l’ensemble des pays de l’UE réunis ou sur le seul marché britannique (voire à l’export) ? Quelle que soit la réponse à cette question, il apparaît évident que les ventes aux enchères ne pourront faire l’impasse d’une évolution géographique. « Londres est une capitale mondiale. Elle va – quoi qu’il arrive – conserver une place de hub planétaire du marché de l’art grâce à l’expertise, les services, la logistique et les capitaux déjà présents sur place. Sous certaines conditions, la fin de l’applicabilité systématique des normes européennes pourrait même faire bénéficier la métropole d’un regain d’intérêt des investisseurs », nuance l’avocat.
Dumping ou dumpling
Entré en application en 2012 sur une directive européenne de 2006, le droit de suite semble conservé, du moins à court terme. Les Britanniques, qui avaient été très réticents à l’intégrer, se sont en effet engagés à le maintenir. Pas de dumping à attendre de ce côté-là. Pour le trafic de biens culturels ou la protection des espèces en danger, le Royaume-Uni et l’Europe étant tous deux signataires des Conventions Unesco (1970, 140 pays concernés) et de Washington (1973, 183 pays signataires), il ne devrait pas y avoir là non plus « d’avantages » à prendre à court terme. Le droit des contrats va quant à lui évoluer, principalement car la réglementation européenne ne sera plus applicable pour les contrats britanniques. Il ne sera ainsi plus possible de saisir la Cour de justice de l’Union. « Cela va certainement impacter des micro-parties de contrats, mais le principal de ceux-ci restera en vigueur, précise Antoine Cadeo de Iturbide. Pour les nouveaux contrats, cela aura en revanche certainement un impact. Les Européens devront faire davantage attention aux tribunaux applicables et à la compétence de ceux-ci. Néanmoins, pour le moment en tout cas, cette question paraît annexe par rapport à d’autres considérations. »
Visa
Les personnes vont également être impactées. Le Royaume-Uni devenant un pays tiers par rapport au reste de l’Europe, nous voici revenus au temps des visas. Si les déplacements ponctuels ne devraient pas être entravés – et ainsi ne pas empêcher la participation à des foires ou des ventes aux enchères –, le recrutement de citoyens britanniques nécessitera l’obtention d’une autorisation de travail. En France, cela signifie faire une demande aux services de l’État (qui a deux mois pour répondre et l’absence de réponse vaut pour refus), informer le préfet et payer une taxe (jusqu’à 55 % du salaire brut mensuel). Là aussi, il y a de quoi en refroidir plus d’un. « Malgré tout, il s’agit surtout de ne pas fantasmer le Brexit, poursuit Antoine Cadeo de Iturbide, on n’en est qu’aux balbutiements. Beaucoup de choses – notamment en ce qui concerne les formalités administratives – sont encore entièrement à définir. » Il est clair que le Brexit crée de l’incertitude, n’étant, malgré le traité, tout simplement pas solvable dans l’immédiat. De même, il est impossible de dire s’il y aura une véritable hémorragie du marché londonien vers l’Europe. Il faudra plusieurs années de pratique pour y voir plus clair. Et l’avocat de conclure : « Il n’est pas sûr qu’un no deal aurait véritablement changé grand-chose. Celui-ci aurait nécessairement abouti à une forme de collaboration. Les échanges ne se seraient de toute manière pas arrêtés brutalement. On a obtenu un accord, celui-ci n’est peut-être pas meilleur qu’un autre construit dans la durée. » On fera donc avec !

en savoir plus
Les 177 pages de l’accord de retrait entre l’UE et le Royaume-Uni
sont téléchargeables gratuitement sur le site de la Commission européenne :
www.ec.europa.eu/info/relations-united-kingdom/eu-uk-withdrawal-agreement_fr
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