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À l’Est, peu de nouveau

Publié le , par Alain Quemin

Pourtant grande métropole, Moscou apparaît généralement en retrait pour l’art contemporain. Tour d’horizon de l’offre locale avec un focus sur les galeries de la friche de Winzavod.

Vue de l’exposition de Sergey Geta à la galerie Pop/off/art.  À l’Est, peu de nouveau
Vue de l’exposition de Sergey Geta à la galerie Pop/off/art.
© pop/off/art gallery, Moscou

Au XVIIIe siècle, les tsars ont œuvré auprès des géographes pour que Moscou devienne une ville d’Europe. Même si, aujourd’hui, de plus en plus de Moscovites éprouvent du mal à la rattacher à un continent particulier, il n’en reste pas moins qu’au regard des manuels de géographie Moscou est bien une ville européenne. C’est même la plus grande d’entre elles, avec une population de douze millions d’habitants. La métropole est connue pour ses splendeurs urbanistiques et architecturales  au premier rang desquelles la place Rouge et le Kremlin , ou encore muséales  avec la galerie Tretiakov et le musée Pouchkine. Mais, qu’en est-il de l’art contemporain ?
Le Garage, symbole moNdial de l’art contemporain à Moscou
Le premier lieu qui viendra à l’esprit des amateurs d’art interrogés sur la scène contemporaine russe sera très probablement le Garage, situé en plein cœur du parc Gorki. Si, pour l’art désormais ancien, Moscou et Saint-Pétersbourg entretiennent une rivalité remontant à la création de la cité du bord de la Baltique par Pierre le Grand en 1703, l’offre contemporaine nationale se trouve, pour sa part, concentrée à Moscou. Le Garage est né, en 2008, d’une initiative de la collectionneuse Daria Joukova, alors épouse du milliardaire Roman Abramovitch. Un bâtiment historique constructiviste de 1927, ancien dépôt de bus  d’où son nom , a été aménagé en centre d’art contemporain, inauguré par une exposition d’Ilya et Emilia Kabakov. Bien qu’originaire d’Ukraine et établi de longue date à New York, Ilya Kabakov a été un artiste majeure de la scène underground soviétique avant d’émigrer aux États-Unis et reste, aux yeux de l’étranger, la figure la plus reconnue de l’art «russe» d’aujourd’hui. Le Garage a abandonné son espace initial en 2011 pour investir son lieu actuel : Rem Koolhaas a réaménagé un ancien bâtiment, parallélépipède de deux niveaux couvrant une superficie totale de 5 400 mètres carrés, revêtu de polymère semi-transparent. Depuis s’y sont succédé les expositions qui font la part belle aux grands noms de l’art international… essentiellement occidental.
Winzavod : une friche de galeries
Comparée au Garage, la scène des galeries apparaît en retrait. Pour l’essentiel, elles se concentrent dans la friche industrielle de Winzavod, créée voilà tout juste dix ans. Très proche de l’hypercentre de Moscou, à deux pas d’une station de métro, elle se niche contre des voies ferrées, dans un environnement urbain dénué de charme. Si, en règle générale, les galeries et centres d’art contemporain apprécient ce type d’espace, qui leur offre un entre-soi culturel bienvenu, ceci apparaît encore plus appréciable en Russie : dans un pays où l’art contemporain est encore régulièrement exposé au rejet, voire aux agressions, il vaut mieux se tenir à l’écart. Winzavod regroupe autour d’une cour centrale un ensemble varié d’activités créatives, telles que des ateliers d’artistes ou boutiques de design et de matériel pour créateurs, une librairie, des cafés et… des galeries d’art contemporain. À ce titre, ce district apparaît clairement comme celui des galeries de la ville, un peu à l’image, mais à une échelle bien plus réduite, de Chelsea à New York ou du Marais à Paris. Dans un petit dépliant édité en russe et en anglais que proposent gratuitement les différents espaces, le lieu revendique pas moins de onze enseignes d’art contemporain. La visite de celles-ci se révèle toutefois très contrastée et, considérées d’un point de vue occidental, toutes ne se verraient pas décerner le label de «galerie contemporaine». Trop souvent fait défaut une maîtrise des codes actuels, ou la dimension commerciale prend très fortement le pas sur le contenu culturel et esthétique : certaines présentations tendent davantage vers le chromo que vers l’art contemporain proprement dit. De façon étonnante, plusieurs adresses étaient fermées le jour de notre visite  un samedi après-midi , alors même qu’elles n’étaient pas en période d’installation et qu’un panneau annonçait un retour prochain du responsable. Tout aussi surprenant pour un public familier de la scène contemporaine internationale, aucune galerie ne disposait d’une personne à l’accueil parlant anglais. Difficile, dans de telles conditions, d’espérer entrer en contact avec la plupart des visiteurs étrangers… au demeurant, très peu nombreux. Si Winzavod connaissait bien une certaine affluence, elle était due à des gens extrêmement jeunes, non pas de potentiels collectionneurs comme on aurait pu l’escompter, mais surtout des étudiants, ou plutôt des étudiantes. C’est qu’en Russie la fréquentation de l’art contemporain apparaît extrêmement genrée et fortement dévolue aux  jeunes, donc  femmes. À Winzavod, plusieurs d’entre elles s’affairaient à réaliser des selfies dans les espaces communs de la friche, signe de la valeur culturelle attribuée au lieu par les jeunes Moscovites. Les collectionneurs potentiels étaient d’autant plus absents que bien des Russes fortunés vivent, au moins en partie, à Londres, où ils effectuent leurs achats d’œuvres d’art, privant leur marché national de cette demande. Les galeries en sont affectées, mais aussi les artistes du pays.
Et les meilleures galeries ?
En lien avec cette faiblesse de la demande, de petites galeries semblent désireuses de plaire aux clients potentiels en proposant un art facile. D’autres enseignes, à l’inverse, affichent une radicalité telle que l’aspect lucratif paraît largement hors de portée. C’est ainsi que pratiquement tout l’espace de la galerie XL était ce jour-là occupé par une vaste installation. Semblant parfois renoncer d’entrée de jeu à effectuer des ventes, certaines enseignes de Winzavod évoquent une caricature de galeries berlinoises soignant leur image pour vendre uniquement en foires. Indice de cette influence, un café de Winzavod s’appelle d’ailleurs… Kraftwerk («centrale électrique» en allemand). Winzavod ne fait pas exception à une règle générale : les meilleures galeries sont souvent celles qui disposent des plus grands et des plus beaux espaces. Pourtant, ici, certains détails détonnent parfois. Par exemple, la brique laissée apparente sur certains murs, recouverte en partie de plaques de plâtre pour permettre un accrochage plus épuré, des plinthes peu soignées ou un escalier intérieur en carrelage blanc évoquant davantage des bureaux de la Sécurité sociale ou un hôpital… Fort heureusement, deux enseignes ressortent nettement du lot par la qualité de leur  vaste  espace et de leur accrochage, répondant bien aux critères des bonnes galeries internationales d’art contemporain. Pop/off/ art présentait les œuvres hyperréalistes de Sergey Geta, originaire d’Ukraine. La galerie Regina proposait le travail d’un autre Ukrainien, Stas Volyazlovsky, récemment disparu, aux influences underground, punk et finalement assez… berlinoises. Berlin, donc. La scène des galeries moscovites gagnerait toutefois à regarder plus à l’Ouest encore  du côté de Londres, Paris et New York, évidemment  pour significativement renforcer son marché. 

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