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Veerle Thielemans, plaisirs partagés

Publié le , par Annick Colonna-Césari

Pour son 10e anniversaire, le Festival de l’histoire de l’art, qui se tient durant trois jours au château de Fontainebleau, se place sous le signe du plaisir. Une bouffée d’oxygène aussi instructive que réjouissante, comme l’explique sa directrice scientifique.

© Didier Herman Veerle Thielemans, plaisirs partagés
© Didier Herman

Chaque édition du festival traite d’un sujet universel comme le rêve, la nature, la folie, le rire… Le thème retenu cette année est celui du plaisir. Pour quelles raisons ?
Parce que c’est l’un des éléments fondamentaux de notre rapport à l’art : le plaisir que nous ressentons, en tant que spectateurs, à observer des objets et des images, celui qu’éprouvent les artistes à les produire. De plus, quelles que soient les époques, l’iconographie mettant en scène les plaisirs sensoriels est extrêmement riche. Les historiens de l’art s’attachent ainsi depuis toujours à leur interprétation, en s’intéressant à la figuration des émotions et aux gestes qui leur sont associés. Cette thématique des cinq sens que sont la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût  nous amènera à aborder des questionnements de tous ordres, esthétique, social, politique, sans oublier ceux que soulèvent les études de genre contemporaines, sur les regards masculin et féminin. Et pour un tel propos, quel lieu plus approprié que le château de Fontainebleau, dont les jardins, les décors, le mobilier, l’architecture, sont l’incarnation même des plaisirs de la Cour ?
Peut-on imaginer moment plus opportun, après ces longs mois de confinement ?
En fait, ce thème était à l’origine envisagé pour l’édition 2020, que nous avions dû annuler en raison de la pandémie. Mais nous l’avons conservé car, cette année, la manifestation pourra se tenir, même si elle prendra un format hybride : en présentiel, fondé sur le respect de jauges réduites, et en virtuel, appuyé sur des visioconférences diffusées en direct, avec traduction simultanée si nécessaire. Ce qui n’enlèvera rien au caractère festif que nous souhaitons lui donner. Comme d’habitude, nous avons veillé au bon équilibre entre tables rondes, débats, visites, ateliers, concerts et projections de films. Durant trois jours, des artistes de différentes disciplines viendront parler de leur pratique et livrer leur ressenti. Pour la conférence inaugurale, le 4 juin, la plasticienne Annette Messager, invitée d’honneur, évoquera, dans un dialogue avec l’historienne de l’art Catherine Grenier, l’ambiguïté du plaisir sensoriel au cœur même de son travail. Le peintre Gérard Garouste ouvrira l’université de printemps, dont le programme, « L’histoire des arts à l’école : le plaisir à l’œuvre », reprend le thème fédérateur du festival. Dans leur sillage, toute une délégation donnera voix à ce « plaisir » de la création, tous médiums confondus : peinture, bande dessinée, performance, céramique, architecture… Le cinéma occupera lui aussi, bien sûr, une large place. Dans ce cadre, la comédienne Jeanne Balibar, autre invitée d’honneur, évoquera le plaisir de jouer, tandis qu’une quinzaine de longs métrages autour de la séduction et des sens seront projetés, du Voyeur de Michael Powell à La Grande Bouffe de Marco Ferreri. Puisque tous les plaisirs seront convoqués, une table ronde sera consacrée à la représentation du festin à travers les époques. Et, pour la première fois, des visites traitant du plaisir olfactif seront organisées dans les jardins du château. À l'intérieur de l'édifice, d’autres visites physiques ou virtuelles sont prévues, pour découvrir le boudoir turc, espace intime de Marie-Antoinette, ou le théâtre impérial récemment restauré, haut lieu du plaisir musical. Des historiens de l’art interviendront également sur le rôle des représentations du nu féminin dans les arts occidentaux, à partir des fresques de Primatice ornant les salles Renaissance. Enfin, de grands collectionneurs prendront la parole pour décrire leur passion, comme Pierre Rosenberg, ancien directeur du musée du Louvre, ou Laurent Dumas, président du groupe Emerige.

 

Le château de Fontainebleau, cadre de la 10e édition du Festival de l’histoire de l’art.@ MATHILDE HEROUET 
Le château de Fontainebleau, cadre de la 10e édition du Festival de l’histoire de l’art.
@ MATHILDE HEROUET
 



Parallèlement au thème sélectionné, le pays mis à l’honneur cette année est le Japon. Existe-t-il des passerelles entre les deux ?
Oui, même si les choix du thème central et du pays invité sont toujours réalisés indépendamment l’un de l’autre. Concernant l’édition 2021, elles sont en effet évidentes, bien que nous ne les ayons pas recherchées. Très sensorielle, l’esthétique japonaise se prête particulièrement à l’expression des émotions quelles qu’elles soient : colère, tristesse, joie, mais aussi plaisir. L’agencement des formes et des couleurs, le soin apporté aux matières, trouvent ainsi des résonances affectives auprès des spectateurs. Dans cet ordre d’idées, nous avons préparé des ateliers de composition florale, d’origami ou d’essayage de kimono. Sont également prévues des cérémonies du thé, dans la tradition de l’école Urasenke, accompagnées d’une médiation expliquant ce rituel ancestral d’hospitalité et de réveil des sens. Les visiteurs pourront par la même occasion découvrir le pavillon de thé dessiné par l’architecte Kengo Kuma. Et, retransmise en duplex depuis Tokyo, une table ronde sera spécialement dédiée à l’expression picturale de la joie. Le cinéma japonais sera représenté par le biais de chefs-d’œuvre historiques ou contemporains. Dans une master class virtuelle, Kiyoshi Kurosawa, notre troisième invité d’honneur, parlera du plaisir de filmer et de la fabrique des récits cinématographiques. Quant à l’importance du plaisir érotique dans le cinéma nippon, elle fera l’objet de débats après la projection de films au cinéma l’Ermitage de Fontainebleau, en particulier L’Empire des sens de Nagisa Oshima. Il y aura en somme autant à voir qu’à écouter, l’expérience sensorielle sous toutes ses facettes étant la source première du plaisir.
 

Gérard Garouste (né en 1946), Le Maître Panetier, Le Maître Échanson, 2016, huile sur toile, 195 x 270 cm, diptyque (un panneau reproduit)
Gérard Garouste (né en 1946), Le Maître Panetier, Le Maître Échanson, 2016, huile sur toile, 195 x 270 cm, diptyque (un panneau reproduit).
Courtesy galerie Templon, Paris-Bruxelles


Le festival se prolongera-t-il hors de la ville de Fontainebleau ?
Oui. Durant la semaine suivant la manifestation, des visites thématiques centrées sur le plaisir se dérouleront dans les galeries du musée du Louvre, à Paris. De même, la maison de la culture du Japon, dans le 15e arrondissement, accueillera des conférences sur l’histoire des jardins et du cinéma japonais au travers de la question des sens. Plus tard, à l’automne, les conférences du Festival de l’histoire de l’art trouveront une suite à la collection Lambert d’Avignon, mais aussi aux musées des beaux-arts de Dijon et de Reims.
Comment définiriez-vous la manifestation ?
Depuis sa création, en 2011, sous l’égide de l’Institut national de l’histoire de l’art, le festival se veut une rencontre entre le public, les historiens de l’art et les professionnels des métiers adjacents. Il offre donc l’opportunité de transmettre des connaissances et de faire un état des lieux de la recherche. Mais il répond surtout à un enjeu primordial, correspondant à l’une des missions de l’INHA : ouvrir le champ de l’histoire de l’art, rendre la discipline visible et accessible au plus grand nombre, grâce à sa gratuité, afin de montrer qu’elle n’est pas repliée sur elle-même et qu’elle continue d’évoluer. J’espère que les visiteurs prendront plaisir à participer à ce dixième anniversaire. Si un sentiment devait dominer, après ces mois de privation de culture, et grâce à la possibilité d’assister enfin à un événement artistique, j’aimerais que ce soit celui de la joie, de se retrouver, d’être là.

à voir
Festival de l’histoire de l’art,
château de Fontainebleau (Seine-et-Marne),
Du 4 au 6 juin 2021.
www.festivaldelhistoiredelart.com
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