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T comme tabletterie

Publié le , par Marielle Brie

Son étymologie renvoie à la confection des tablettes d’écriture en buis ou en ivoire, ses matériaux emblématiques. De l’Antiquité à nos jours, la longévité de la tabletterie n’a pourtant d’égale que la diversité de sa production.

France, époque Louis XIV. Bilboquet royal en ivoire gravé, 15,5 cm. Paris, 6 octobre... T comme tabletterie
France, époque Louis XIV. Bilboquet royal en ivoire gravé, 15,5 cm. Paris, 6 octobre 2020, Daguerre OVV, 33 800 €.
M. Derouineau.

Les objets de fouille en corne, en bois de cervidé ou en os, tels que le superbe peigne découvert en 2013 à Obernai (Bas-Rhin), ou les plus ordinaires cuillères et osselets médiévaux, illustrent bien ce qu’est la tabletterie : un agrégat de petites productions mêlant une multitude de formes, d’usages et de matières. Il est bien difficile d’en donner une définition précise. Au XIIIe siècle, une ébauche d’organisation propose de distinguer des communautés d’artisans selon les objets produits plutôt qu’en fonction des matières travaillées. C’est un début, et les patenôtriers, aussi bien que les tabletiers, déciers, peigniers ou boutonniers s’emploient à tourner, sculpter, graver et parfois teinter le bois, l’os, la corne et l’ivoire en maniant des techniques, outils et matériaux très proches, sinon identiques. Si bien qu’en 1507, l’organisation est remaniée et regroupe désormais les peigniers, tabletiers, tourneurs et tailleurs d’images sous un seul et même statut. La tabletterie concerne ainsi pléthore d’objets s’enrichissant continuellement de modes nouvelles, surtout dans le domaine des jeux et du domestique, les objets de piété préférant à la fantaisie du changement une rassurante pérennité des formes et des usages. Les tables de jeux, les pions, les dés et les cornets sont une production emblématique de la tabletterie, aussi bien que les queues et les boules de billard ou de mail. Les peignes, boîtes, chandeliers, écritoires ou coffrets, crucifix, christs, chapelets, statuettes de saints et, jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les cadrans solaires portatifs, sont encore caractéristiques, et ce quelle que soit la corporation en charge de les réaliser. Désormais, les artisanats sont regroupés en fonction des matériaux qu’ils travaillent. Ainsi, dans leurs statuts renouvelés en 1741, les tabletiers sont autorisés à « façonner la baleine, l’écaille, l’ivoire, l’os, la corne, les ergots, l’ébène, la violette, la grenadille, le palissandre, le buis, la nacre, l’ambre et les autres bois exotiques qui se tirent des Indes ». Déjà, de nouveaux usages exigent de nouveaux objets, comme le laissent deviner ces mêmes statuts autorisant les tabletiers à réaliser et orner des tabatières et des lorgnettes. Certaines boutiques parisiennes sont célèbres pour leurs spécialités, comme celle du tabletier Thomas Compigné, qui s’illustre au « Roi David », entre 1760 et 1780, dans le travail de l’écaille blonde, créant des tabatières et de petits tableaux d’étain estampés sur écaille.
L’artisanat du pauvre
Néanmoins, les productions courantes ne sont pas aussi luxueuses. Les épingles à cheveux et les brosses, les jetons, les pyxides et manches de couverts sont généralement en os, en corne ou en bois, et font l’objet d’une activité saisonnière, notamment dans le Jura. Les hivers rudes sont propices à la confection d’objets pour lesquels sont employés des matériaux locaux comme le buis, l’os et la corne. À Saint-Claude, la tradition médiévale des objets de piété est concurrencée aux XVIIIe et XIXe siècles par les tabatières et les tuyaux de pipes. À quelques kilomètres, la petite ville d’Oyonnax se fait capitale du peigne en os ou en corne et ce depuis au moins le XVIIe siècle. Dans l’Oise, les dominos sont la spécialité des tabletiers de Méru. Généralement en os et parfois en ivoire ou en nacre, les pièces sont assemblées à des plaquettes d’ébène ou de hêtre teinté à l’aide de deux rivets et d’un pivot central, qui sont la signature de cette fabrique. Une fine couche de cire était souvent appliquée sur le bois pour lui donner un lustre pimpant. Depuis la fin du XVIe siècle, les ateliers parisiens de tabletterie attirent une population toujours grandissante de Méruviens qui alimentent la production de la capitale et transmettent leurs savoirs dans l’Oise. Combiné à l’avènement de l’éventail, ce phénomène va bouleverser la tabletterie de Méru lorsqu’en 1678 les statuts de la corporation des éventaillistes stipulent que les bruns et montures seront l’œuvre des seuls tabletiers.
L’éventail, fleuron de la tabletterie
En moins d’un siècle, les ateliers méruviens vont se voir confier le dégrossissage de matériaux précieux tels que l’ivoire, utilisé par les tabletiers dieppois. Ces derniers, profitant du succès des armateurs, voient affluer de prodigieuses quantités d’ivoire dont ils font des objets de tabletterie et des montures d’éventails. Puis ce sont les bois précieux et la nacre qui sont confiés aux tabletiers méruviens. Ce travail monotone leur permet d’acquérir un savoir-faire précieux. Au lendemain de la Révolution, les corporations tombent et la région de Méru se libère de sa condition auxiliaire. Ses tabletiers sont désormais libres d’exprimer leurs talents artistiques et leurs réseaux tissés dans la capitale leur donnent l’avantage. À la fin du XIXe siècle, ils reproduisent à la perfection les décors du XVIIIe siècle mais peinent cependant à innover. L’un d’eux va pourtant rénover profondément la tabletterie. Georges Bastard (1881-1939) absorbe les nouveaux courants modernes, innove et fait de l’éventail une œuvre d’art, ce dont témoigne son chef-d’œuvre Les Épis d’orge (musée d’Orsay). Parallèlement, la bourgeoisie friande de petits luxes quotidiens sollicite fortement cet artisanat, ce qu’avait déjà bien compris le tabletier Martin-Guillaume Biennais avant même de se faire orfèvre. Hélas, l’industrie du plastique, plus rapide et moins cher à mettre en œuvre, sonne le glas de la tabletterie au XXe siècle. Malgré les délicatesses de Christian Fjerdingstad (1891-1968) et de quelques artisans, cet artisanat vivote aujourd’hui difficilement, bien loin du raffinement des siècles précédents.

à voir
Le musée de la Nacre et de la Tabletterie à Méru, dans l’Oise, et le musée de l’Éventail à Paris.
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