La proposition de loi relative aux restitutions des restes humains appartenant aux collections publiques a été adoptée, le 8 juin, par la Commission de la culture du Sénat. Fruit des travaux d’une mission d’information, elle consacre les efforts qui sont menés à ce sujet depuis plus de dix ans.
La proposition de loi déposée au Sénat le 26 avril par Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias a été adoptée par la commission de la culture du sénat ce 8 juin. Elle doit maintenant être examinée en séance publique le 13 juin. Elle a vocation à devenir la deuxième des trois lois-cadres actuellement en préparation, pour être adoptée après celle dédiée aux spoliations antisémites (1933-1945), et avant celle relative aux biens acquis dans un contexte colonial. Ce tissu législatif permettra à la France de se doter d’un arsenal juridique adéquat pour appréhender au mieux les futures rétrocessions de biens publics. En effet, protégés par les principes d’insaisissabilité, d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité, ces derniers ne peuvent, en théorie, pas sortir des collections nationales.
Une nouvelle proposition sans comité scientifique
Une proposition similaire avait déjà été déposée par ses actuels signataires. Le texte, semblable sur de nombreux aspects, avait d’ailleurs été adopté en première lecture le 10 janvier 2022 par la haute assemblée. Il est toutefois resté à un stade embryonnaire, car non inscrit à l’ordre du jour par l’Assemblée nationale. Bis repetita ? Rien n’est moins sûr. Certes, lorsqu’il fut étudié, Roselyne Bachelot, alors en poste rue de Valois, avait émis un avis négatif. Ce qui a pu poser problème était l’article premier, relatif à la création d’un conseil scientifique chargé de donner son avis sur les demandes de restitution. Cependant, cette disposition est aujourd’hui supprimée. Du moins la mise en place de ce comité indépendant est-elle renvoyée à une loi ultérieure, celle relative aux biens acquis dans un contexte de colonisation. Il faut également préciser que, début 2022, le gouvernement n’avait pas encore affiché sa volonté de légiférer sur des lois-cadres. Rima Abdul-Malak, actuelle ministre de la Culture, a donc eu une attitude différente de sa prédécesseure et a demandé que cette proposition législative soit préparée à partir de l’ancien texte. Cette refonte, en collaboration avec les services du ministère, a été l’occasion de la préciser et de l’affiner.
Une procédure simplifiée
Le texte prévoit la création d’un article L.115-5 au sein du Code du patrimoine, qui viendra fixer les modalités de ces rétrocessions. Le Premier ministre aura dorénavant compétence pour les autoriser en passant par la voie d’un décret en Conseil d’État. La procédure pour obvier à l’inaliénabilité et permettre la sortie des collections publiques, s’en trouvera indéniablement facilitée. Il ne sera plus nécessaire d’avoir recours à des lois ad hoc, comme ce put être le cas en 2002 pour rendre la dépouille de la Vénus hottentote à l’Afrique du Sud ou, huit ans plus tard, avec le retour des têtes maories en Nouvelle-Zélande. À l’époque, ce mécanisme législatif avait d’ailleurs déjà été détourné au profit de la voie administrative. En effet, au prétexte d’une perte d’intérêt public, le squelette du cacique charrúa Vaimacá-Perú (1790-1833) avait pu être déclassé et rendu à l’Uruguay. De même, la complexité et la lenteur des délais imposés par la navette parlementaire avaient conduit le gouvernement à éluder ce processus en juillet 2020 pour 24 crânes d’insurgés algériens tués au XIXe siècle. L’intérêt de ce contournement était double : pouvoir agir de manière arbitraire et rapide, dans un timing serré, imposé par le 58e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Un escamotage procédural rendu possible via une convention de dépôt : en d’autres termes, le transfert physique a eu lieu sans que soit cédée pour autant la propriété juridique. Des ossements qui appartiennent aux collections publiques françaises se trouvent, de ce fait, inhumés à 2 000 kilomètres de nos frontières. Ce «bidouillage» juridique est porteur d’une certaine ambivalence : il correspond à une aliénation déguisée, à une restitution qui n’en a que le nom. Enfin, conséquence d’une action précipitée, comme une enquête du New York Times le révélera ensuite, seuls six de ces crânes ont pu être clairement identifiés… d’où l’intérêt de mettre en place un comité scientifique. Occasion manquée ? Gâchée ? Peut-être les deux. Quoi qu’il en soit, cette loi-cadre permettra de rompre avec un type de pratiques qui relève davantage du fait du prince. Elle offrira un juste compromis entre un mécanisme chronophage et des contournements hâtifs où la dimension diplomatique peut prendre le pas sur l’authenticité des retours ainsi que sur la rigueur scientifique qu’un tel processus exige.