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Restes humains et restitutions : une loi-cadre à venir

Publié le , par Léopold Vassy
Cet article vous est offert par la rédaction de la Gazette

La proposition de loi relative aux restitutions des restes humains appartenant aux collections publiques a été adoptée, le 8 juin, par la Commission de la culture du Sénat. Fruit des travaux d’une mission d’information, elle consacre les efforts qui sont menés à ce sujet depuis plus de dix ans.

En 2012, vingt têtes momifiées maories conservés dans les musées, comme celles collectionnées... Restes humains et restitutions : une loi-cadre à venir
En 2012, vingt têtes momifiées maories conservés dans les musées, comme celles collectionnées par le militaire Horace Robley (photo ci-contre prise par Harry stevens en 1895) ont été restituées à la Nouvelle-Zélande par la France.

La proposition de loi déposée au Sénat le 26 avril par Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias a été adoptée par la commission de la culture du sénat ce 8 juin. Elle doit maintenant être examinée en séance publique le 13 juin. Elle a vocation à devenir la deuxième des trois lois-cadres actuellement en préparation, pour être adoptée après celle dédiée aux spoliations antisémites (1933-1945), et avant celle relative aux biens acquis dans un contexte colonial. Ce tissu législatif permettra à la France de se doter d’un arsenal juridique adéquat pour appréhender au mieux les futures rétrocessions de biens publics. En effet, protégés par les principes d’insaisissabilité, d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité, ces derniers ne peuvent, en théorie, pas sortir des collections nationales.
Une nouvelle proposition sans comité scientifique
Une proposition similaire avait déjà été déposée par ses actuels signataires. Le texte, semblable sur de nombreux aspects, avait d’ailleurs été adopté en première lecture le 10 janvier 2022 par la haute assemblée. Il est toutefois resté à un stade embryonnaire, car non inscrit à l’ordre du jour par l’Assemblée nationale. Bis repetita ? Rien n’est moins sûr. Certes, lorsqu’il fut étudié, Roselyne Bachelot, alors en poste rue de Valois, avait émis un avis négatif. Ce qui a pu poser problème était l’article premier, relatif à la création d’un conseil scientifique chargé de donner son avis sur les demandes de restitution. Cependant, cette disposition est aujourd’hui supprimée. Du moins la mise en place de ce comité indépendant est-elle renvoyée à une loi ultérieure, celle relative aux biens acquis dans un contexte de colonisation. Il faut également préciser que, début 2022, le gouvernement n’avait pas encore affiché sa volonté de légiférer sur des lois-cadres. Rima Abdul-Malak, actuelle ministre de la Culture, a donc eu une attitude différente de sa prédécesseure et a demandé que cette proposition législative soit préparée à partir de l’ancien texte. Cette refonte, en collaboration avec les services du ministère, a été l’occasion de la préciser et de l’affiner.
Une procédure simplifiée
Le texte prévoit la création d’un article L.115-5 au sein du Code du patrimoine, qui viendra fixer les modalités de ces rétrocessions. Le Premier ministre aura dorénavant compétence pour les autoriser en passant par la voie d’un décret en Conseil d’État. La procédure pour obvier à l’inaliénabilité et permettre la sortie des collections publiques, s’en trouvera indéniablement facilitée. Il ne sera plus nécessaire d’avoir recours à des lois ad hoc, comme ce put être le cas en 2002 pour rendre la dépouille de la Vénus hottentote à l’Afrique du Sud ou, huit ans plus tard, avec le retour des têtes maories en Nouvelle-Zélande. À l’époque, ce mécanisme législatif avait d’ailleurs déjà été détourné au profit de la voie administrative. En effet, au prétexte d’une perte d’intérêt public, le squelette du cacique charrúa Vaimacá-Perú (1790-1833) avait pu être déclassé et rendu à l’Uruguay. De même, la complexité et la lenteur des délais imposés par la navette parlementaire avaient conduit le gouvernement à éluder ce processus en juillet 2020 pour 24 crânes d’insurgés algériens tués au XIXe siècle. L’intérêt de ce contournement était double : pouvoir agir de manière arbitraire et rapide, dans un timing serré, imposé par le 58e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Un escamotage procédural rendu possible via une convention de dépôt : en d’autres termes, le transfert physique a eu lieu sans que soit cédée pour autant la propriété juridique. Des ossements qui appartiennent aux collections publiques françaises se trouvent, de ce fait, inhumés à 2 000 kilomètres de nos frontières. Ce «bidouillage» juridique est porteur d’une certaine ambivalence : il correspond à une aliénation déguisée, à une restitution qui n’en a que le nom. Enfin, conséquence d’une action précipitée, comme une enquête du New York Times le révélera ensuite, seuls six de ces crânes ont pu être clairement identifiés… d’où l’intérêt de mettre en place un comité scientifique. Occasion manquée ? Gâchée ? Peut-être les deux. Quoi qu’il en soit, cette loi-cadre permettra de rompre avec un type de pratiques qui relève davantage du fait du prince. Elle offrira un juste compromis entre un mécanisme chronophage et des contournements hâtifs où la dimension diplomatique peut prendre le pas sur l’authenticité des retours ainsi que sur la rigueur scientifique qu’un tel processus exige.

Les critères pour déroger au principe d’inaliénabilité
Si le décès entraîne l’anéantissement de la personnalité juridique, le doyen Carbonnier précisait à juste titre : «Cette vérité est si affreuse que l’on s’efforce de la dissimuler.» Fort heureusement, le respect de la dignité humaine sacralise le corps et transcende la mort : il est au droit ce que l’âme est au spirituel. C’est précisément ce principe qui motive ici les rétrocessions. Elles doivent par conséquent s’inscrire dans une finalité funéraire (inhumation, rituel, hommage ou dépôt dans des lieux sacralisés tels que des mémoriaux), excluant la faculté d’exposer les dépouilles dans leurs pays d’origine. De même, les restitutions doivent être justifiées «au regard des atteintes portées à la dignité humaine lors de [la] collecte ou au regard du respect dû aux croyances et cultures des autres peuples [sous réserve qu’elles soient toujours actives]». Enfin, pour que ne soit pas ouverte une boîte de Pandore, principale crainte associée aux lois-cadres, la proposition énumère d’autres critères de restituabilité pour instaurer un garde-fou. À cette fin, les réclamations devront nécessairement être formulées par un État pour être admises. Elles seront circonscrites aux restes humains identifiés d’origine étrangère, ce qui comprend les individus nommés ou anonymes mais dont l’origine est clairement établie. De même, le champ d’application est limité dans le temps : n’entrent dans sa ligne de mire que les personnes présumées mortes depuis moins de cinq cents ans. Pourquoi ce délai et pas un autre ? Il correspond à une limite purement scientifique : une fois passée, en raison des métissages culturels, il devient extrêmement délicat d’identifier avec précision le rattachement à un groupe humain particulier. Sur les 150 000 dépouilles humaines patrimonialisées du domaine public, quelques milliers d’entre elles sont d’origine étrangère, l’objectif n’étant bien sûr pas de toutes les déclasser. En premier lieu, cette loi permettra de régler la polémique des crânes algériens. En outre, elle rendra possible le retour des crânes aborigènes, réclamés depuis près de dix ans par l’Australie. La sénatrice Catherine Morin-Desailly souligne également un cas moins connu, celui de cinq crânes amenés en France après le génocide arménien dans le cadre d’une mission scientifique. La parlementaire, qui exerce depuis vingt ans, confie à ce sujet que la loi de restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande a été le plus bel acte législatif qu’elle ait eu à porter : «Il a fallu faire preuve de ténacité, se battre, débattre, faire avancer les mentalités, c’était un combat loin d’être gagné.» Ce nouveau texte-cadre, cette fois pour l’ensemble des restes humains, signera sans doute la genèse d’un dialogue fécond avec les pays demandeurs, dont nous partageons pour certains une histoire commune. Il est la promesse d’une meilleure coopération, et l’aboutissement d’une amorce initiée au début des années 2000 en faveur de la restitution de ces biens sensibles.
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La proposition de loi sur Sénat.fr