Passée inaperçue, une ordonnance du mois de juillet vient compléter sensiblement la loi du 10 juillet 2000 sur le certificat d’exportation d’un bien culturel. L’impact devrait moins se mesurer dans l’immédiat que dans un changement des pratiques à long terme.
L’insouciance de la période estivale couve toujours son lot de surprises législatives (voir aussi page 30). L’été 2017 ne fait pas exception avec la publication par le ministère de la Culture, le 5 juillet, d’une ordonnance au titre aussi approximatif qu’inoffensif, «diverses dispositions communes à l’ensemble du patrimoine culturel». Dans le détail, l’article 2 modifiant les modalités de délivrance du certificat d’exportation d’un bien culturel bousculera les habitudes en place sur la circulation du patrimoine en France.
Des nuances de l’irrecevabilité et à propos des exigences accrues pour le demandeur
Le changement majeur introduit par le texte est la distinction, à compter du 1er janvier 2018, de deux procédures en cas de demande de certificat d’exportation. Face au traditionnel refus de délivrance, qui conduit au classement de l’œuvre et à son immobilisation pendant trente mois en vue d’une acquisition étatique, l’administration pourra désormais statuer sur une «irrecevabilité de la demande» et ainsi suspendre son instruction, « s’il existe des présomptions graves et concordantes que le bien appartient au domaine public, a été illicitement importé, constitue une contrefaçon ou provient d’un crime ou d’un délit ». Au ministère de la Culture, Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections, explique qu’il était nécessaire de pallier «une confusion entre le refus de certificat concernant les biens culturels auxquels on reconnaît le caractère de trésor national, et le fait de rejeter la demande portant sur un bien dans une situation illégale. […] L’irrecevabilité de la demande évite de devoir délivrer un permis de circuler pour des biens qui ne devraient pas être sur le marché». «Le problème qui se pose actuellement, observe l’avocate spécialiste du trafic des biens culturels Corinne Hershkovitch, est que le certificat d’exportation de la République française, volontairement demandé pour des objets peu importants pour le patrimoine national, est utilisé comme un document de circulation à l’étranger, c’est-à-dire comme un blanchiment.» Une nouvelle mention, apposée récemment sur le recto et le verso du certificat, précise que le document ne vaut pas caution de l’État français. Ces quelques lignes trilingues devraient également remédier au détournement du document. Autre point important, la demande ne sera irrecevable que si le demandeur n’a pas exercé les diligences requises quant à la légalité du bien et sa provenance. «Ce texte poursuit le transfert de la charge de la preuve de la régularité d’un bien qui incombe désormais au demandeur, et non plus à l’administration. Mais qu’est-ce qu’apporter la diligence ? Si en l’absence de précision, trop d’éléments sont laissés à l’appréciation du juge, le texte ouvrira du contentieux», prévient Jacques Fingerhut, avocat spécialiste du marché de l’art. Un décret au Conseil d’État devrait prochainement préciser l’ordonnance et la description des diligences requises, en sus de l’article L112-8 du Code du Patrimoine, mais rien n’est actuellement prévu pour le suivi des biens suspicieux. «Nous réfléchissons à la mise en place de l’action en revendication si le bien appartient au domaine public, aux moyens de passer le relais aux douanes ou à la police dans le cas d’une provenance de trafic ainsi que d’alerter le pays concerné, et enfin, en cas de contrefaçon avérée, à trouver un relais chez les titulaires de droit», confie Claire Chastanier. Le silence de l’ordonnance sur le devenir des dossiers déclarés irrecevables contraste avec le durcissement de la protection des biens immobilisés. Désormais, durant les trente mois de délai d’effet du refus de certificat, le propriétaire doit déclarer aux autorités le lieu de conservation du bien en question, son déplacement éventuel, obtenir une autorisation pour procéder à sa restauration et ne peut démanteler les biens en les vendant par lot. «Le renforcement du suivi de ces biens cherche à pallier un risque de «perte de vue» de l’objet auquel nous étions confrontés. Par exemple, nous avons eu des cas de très mauvaises restaurations, qui posaient la question de la pertinence de l’acquisition au moment où on devait formuler une offre d’achat. Il existe aussi la tentation de vendre à la découpe les ensembles, qui constitue à la fois une menace pour leur intégrité et une difficulté pour mener à bien un projet d’acquisition globale», précise Claire Chastanier.
Un exposé de bonnes pratiques
«Le texte introduit des éléments de contrainte pour ceux qui se voient refuser l’exportation. Mais, il faut relativiser l’impact, il ne concerne qu’un faible nombre de biens [235 mesures de refus de certificat d’exportation ont été prononcées en vingt-cinq ans, soit moins de 10 cas annuels, ndlr]. Si ce texte ne devrait pas modifier ce ratio, il devrait accroître la vigilance des services, obligés à examen plus approfondi des demandes», prévient Jacques Fingerhut. Au diapason, sa consœur Corinne Hershkovitch estime que «l’impact de cette ordonnance sera corollaire de la motivation des équipes au moment du contrôle des demandes. Les conservateurs ne devront plus s’interroger uniquement sur l’importance de l’objet au regard du patrimoine national, mais aussi sur sa provenance et la légitimité de sa présence en France». Ces bonnes pratiques devraient également concerner les acquéreurs. Seuls ceux qui exercent les diligences requises pour s’assurer de la disponibilité d’un objet pourront le défendre en cas de revendication ou de demande de certificat d’exportation. Ce changement de mentalité à long terme sur la recherche de provenance d’une œuvre que promet l’ordonnance est donc majeur. Mais, si le texte continue d’intégrer dans le droit français les dispositions de la convention Unidroit de 1995, elle se refuse à toucher aux conditions de délivrance du certificat (seuils de délivrance, délais…). Un temps envisagée, la réforme n’est plus dans les tiroirs. Rue de Valois, on explique qu’il n’y a «pas de souhait de modifier la procédure. C’est le statu quo ».