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Patrick Paillet, commissaire d’ « Arts et Préhistoire »

Publié le , par Annick Colonna-Césari

La préhistoire et les hommes préhistoriques n’ont pas fini de livrer leurs secrets. Et fascinent toujours certains collectionneurs. Comme l’explique ce chercheur au Muséum national d’histoire naturelle, co-commissaire de l’exposition « Arts et préhistoire » du musée de l’Homme à Paris.

© Didier Herman Patrick Paillet, commissaire d’ « Arts et Préhistoire »
© Didier Herman

Depuis quand la préhistoire existe-t-elle en tant que science ?
Elle s’est réellement constituée dans les années 1840-1850, avant même d’être encadrée par des professionnels. Ce sont surtout les travaux de Boucher de Perthes, directeur des Douanes dans la Somme, qui vont inaugurer cette science balbutiante. En effet, les premiers à s’y intéresser ne sont pas les archéologues, focalisés sur l’Antiquité. La préhistoire qui, rappelons-le, désigne la période censée précéder l’apparition de l’écriture, remontant à trois millions d’années au moins, a été révélée par des amateurs cultivés, ouverts sur les choses du passé : des notables, des instituteurs et des prêtres, qui vivaient dans des territoires où des labours et des exploitations de carrières faisaient émerger des silex taillés, des ossements fossiles humains ou animaux. Et on s’est mis à collectionner ces « objets de curiosité ». Lorsqu’on en trouvait, on prenait et souvent on gardait, ou on vendait. Pour les agriculteurs et les ouvriers, c’était parfois un moyen d’arrondir les fins de mois. Et des faux ont rapidement circulé. On taillait notamment des silex pour façonner de prétendus bifaces, très appréciés.
Ces temps anciens ont donc rapidement fasciné ?
Oui, d’autant que ces objets questionnaient. Car à l’époque, on s’interrogeait sur l’origine de l’humanité, particulièrement en France et en Angleterre. On se demandait si elle était aussi peu ancienne que la Bible et son interprétation le laissait supposer. Et deux camps s’affrontaient : d’un côté, les partisans d’une chronologie courte, respectueuse du dogme religieux, de l’autre, les défenseurs d’une chronologie plus longue, qui n’allait pas dans le sens de la création du monde par Dieu. Mais, au fil des découvertes, le dogme religieux s’est effrité. De toute manière, lorsqu’on dégageait des stratigraphies de sédiments, déposées sur plusieurs dizaines de mètres de hauteur, on comprenait bien que les couches profondes étaient beaucoup plus anciennes que celles du dessus. Et on donnait des datations par des approximations d’ordre géologique. Une découverte essentielle a alors été réalisée, au moment où l’Académie des sciences débattait âprement sur la contemporanéité de l’homme et des espèces animales disparues. En 1864, un ouvrier travaillant pour le paléontologue Édouard Lartet a trouvé en Dordogne, dans l’abri de la Madeleine, un morceau de défense de mammouth, sur lequel était gravé un mammouth, pourvu de détails anatomiques prouvant que son auteur avait vu l’animal vivant et de près. Cette reconnaissance officielle a marqué un tournant.

 

Petit cheval de Lourdes, grotte des Espélugues (Hautes-Pyrénées), Magdalénien moyen/supérieur, ivoire de mammouth, 3,5 x 7,2,cm.@ RMN-GRAN
Petit cheval de Lourdes, grotte des Espélugues (Hautes-Pyrénées), Magdalénien moyen/supérieur, ivoire de mammouth, 3,5 x 7,2,cm.
@ RMN-GRAND PALAIS – MAN - LOÏC HAMON

Comment la discipline a-t-elle évolué ?
On a d’abord fouillé un peu au hasard et on a profité des carrières pour récupérer les beaux objets, en négligeant ceux que l’on supposait sans valeur. Puis dans la seconde moitié du siècle, certains vont commencer à étudier les collections. La discipline va associer l’expertise de différents spécialistes, géologues, paléontologues, anthropologues, archéologues. Et dans les années 1870-1880, la pratique du terrain s’est intensifiée. En France, on a investi en priorité le Périgord et ses alentours, l’Ariège et les Hautes-Pyrénées, le grand Sud-Ouest. Bien sûr, on s’est intéressé aux grottes, aux abris naturels, là où on pensait que des hommes avaient pu vivre. Quant aux collections privées, elles ont continué à se développer et à s’enrichir. On recherche les beaux outils, grattoirs, racloirs et les belles armes, harpons ou pointes de sagaie, en pierre, en bois de renne, en os ou en ivoire. Et on accorde une valeur ajoutée aux objets ornés, aux statuettes à l’instar de la Vénus impudique, dépourvue de tête et de bras mais dotée de longues jambes et d’un sexe très affiché. Trouvée en 1863 à Laugerie-Basse, en Dordogne, par Paul de Vibraye, cette sculpture en ivoire de mammouth est la première représentation humaine préhistorique découverte. Par la suite, nombre de ces pièces sont entrées dans les musées. Ainsi Édouard Piette, ancien magistrat, qui avait exploré plusieurs sites pyrénéens, a fait donation en 1902 de sa prestigieuse collection de plus d’un millier d’objets au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, rebaptisé musée d’Archéologie nationale (voir Gazette n° 30 du 8 septembre 2017, page 182 ). Entre-temps, la discipline avait pris du galon. Dans les années 1870-1880 sont créées les premières chaires d’enseignement d’anthropologie préhistorique.

Alors que la préhistoire devient une branche officielle de l’archéologie, comment imagine-t-on les hommes préhistoriques ?
Au début, même les esprits les plus avancés les considéraient comme une humanité à part et primitive. Cette image sera battue en brèche, au vu de leurs productions, notamment leurs œuvres figuratives qui apparaissent vers 40 000 av. J.-C., durant la période du Paléolithique supérieur, quasi simultanément en art mobilier et en art pariétal. En France, les premières grottes ornées avec leurs bestiaires fabuleux ont été découvertes à partir des années 1880-1890 : Ebbou en Ardèche, Chabot dans le Gard, Pair-non-Pair en Gironde, la Mouthe et Font-de-Gaume en Dordogne… bien avant Lascaux et Chauvet. Actuellement, on en recense environ 180. En tout cas, ces hommes étaient de véritables artistes, doués de savoir-faire et de sensibilité, capables de projeter leur imaginaire sous différentes formes, de délivrer des messages. L’art préhistorique fait partie intégrante de l’histoire des arts car, outre sa dimension esthétique, il témoigne d’une maîtrise de toutes les techniques connues à ce jour, peinture, gravure, sculpture et modelage.
 

Vénus dite impudique, de Laugerie-Basse, Les Eyzies ( Dordogne),Magdalénien moyen/supérieur, ivoire de mammouth, 7,7 cm.@ MNHN - J.-C. DOM
Vénus dite impudique, de Laugerie-Basse, Les Eyzies ( Dordogne),
Magdalénien moyen/supérieur, ivoire de mammouth, 7,7 
cm.

@ MNHN - J.-C. DOMENECH

Pratique-t-on toujours des fouilles aujourd’hui ?
Oui, elles sont soit « programmées », à la demande de scientifiques, soit « préventives », réalisées en amont de travaux d’urbanisation ou d’aménagements, comme la construction d’autoroutes ou de chemins de fer. On a ainsi récemment exhumé, dans les faubourgs d’Amiens, une vingtaine de statuettes féminines appartenant sans doute à un atelier de production. En réalité, des découvertes sont faites partout dans le monde, comme ces derniers temps les peintures rupestres de l’île de Sulawesi en Indonésie et les grottes ornées de Romualdova en Croatie. Dans cette exposition, nous avons souhaité mettre en évidence l’universalité de ces pratiques artistiques préhistoriques, œuvres des Homo sapiens qui ont progressivement conquis tous les territoires habitables de la terre.
Ces objets plurimillénaires suscitent-ils encore la convoitise de collectionneurs ?
Absolument, même s’ils concernent un public étroit de connaisseurs. En fait, il n’y a pas de marchands spécialisés comme dans le domaine des arts premiers. D’abord parce que les vestiges à haute valeur marchande ne sont pas si nombreux, beaucoup se trouvent déjà dans les musées. De toute manière, aux yeux d’un préhistorien, la valeur d’un objet archéologique ne se calcule que par son contexte, elle est scientifique. Mais il existe bien des amateurs et des collectionneurs, et des transactions se font souvent entre particuliers. Dans les ventes aux enchères en région, on trouve aussi parfois des lots d’objets en silex ou en os, dont on ignore la plupart du temps les lieux de découverte. En 2021, a été dispersée à Drouot une collection importante, celle de François Bigot (voir Gazette n° 33 du 24 septembre 2021, page 37), mise en vente par ses descendants. Mais c’est un fait exceptionnel. Certaines pièces ou lots, aux provenances ou conditions d’acquisitions parfois douteuses, ont atteint plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’euros. La marchandisation du patrimoine archéologique peut avoir des effets pervers et désastreux et encourager le pillage : elle mérite d’être très encadrée.

à voir
« Arts et préhistoire », musée de l’Homme,
place du Trocadéro, Paris XVIe, tél. : 01 44 05 72 72.
Jusqu’au 23 mai 2023.
www.museedelhomme.fr/


 

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