Un bâti rénové, une exposition inaugurale d’envergure, et plus encore… Sous la direction de Miren Arzalluz, le palais Galliera entend confirmer sa légitimité scientifique et exposer sa collection permanente dans de nouvelles galeries.
À l’angle de l’avenue Pierre-1er-de-Serbie et de la rue de Galliera, ses façades ensoleillées, inspirées de l’Antiquité et de la Renaissance, semblent n’avoir jamais autant brillé. Depuis 2018, ce bâtiment du XIXe siècle, abritant la prestigieuse collection de mode de la société de l’Histoire du Costume, se refaisait une beauté à l’abri des regards. « Musée de la Mode et du Costume » depuis 1977, devenu « musée de la Mode de la Ville de Paris » en 2013, il rouvre cette année en présentant l’événement « Gabrielle Chanel. Manifeste de Mode » dans les galeries du rez-de-chaussée et, nouveauté, celles, voûtées, donnant sur le jardin. À sa tête depuis janvier 2018, l’Espagnole Miren Arzalluz en dessine les grandes lignes.
Le palais Galliera rouvre au public après deux années de rénovation. Quels en furent les motifs ?
Après une première campagne de restauration en 2013, mon prédécesseur Olivier Saillard a pensé que les espaces en rez-de-jardin, habituellement réservés au stockage d’archives ou au personnel, pouvaient être aménagés pour agrandir notre surface d’exposition de 700 mètres carrés, et doubler la surface totale du musée proprement dit. Il a aussi voulu prendre en compte une demande très forte, émanant de connaisseurs fidèles, de pouvoir admirer notre fonds riche de plus de deux cent mille œuvres textiles, en majeure partie françaises. Avec la Ville de Paris, il a donc décidé de réhabiliter les espaces du sous-sol en galeries d’exposition et atelier pédagogique. Le Palais a conjugué ces travaux avec le ravalement de cinq mille mètres carrés de façades et la consolidation des balustres.
Comment s’est fait le choix des architectes ?
En juillet 2016, la Ville de Paris, avec Paris Musée et le palais Galliera, a lancé un appel public à la concurrence d’architectes. Parmi les projets de cinq agences présélectionnées, celui de L’Atelier de l’île + CIEL Architectes a été retenu car il dissimulait des éléments techniques complexes pour laisser apparaître les voûtes en pierre et briques du sous-sol. De plus, pour relier le rez-de-chaussée ornementé et le niveau inférieur plus brut, minéral, des « galeries Gabrielle Chanel », les architectes ont créé un escalier dont les agrégats du béton poli rappellent le sol minéral du péristyle extérieur. Ces nouveaux espaces, comprenant également une librairie-boutique, mettent en valeur le bâti patrimonial et permettent beaucoup de latitude pour imaginer différents projets.
« Galeries Gabrielle Chanel », cette appellation est-elle en lien avec l’exposition d’ouverture ?
Le choix de célébrer l’œuvre de cette grande icône de la haute couture française a été décidé par Olivier Saillard et son équipe bien avant les travaux. Il s’est naturellement imposé, car Gabrielle Chanel reste l’une des créatrices les plus influentes du XXe siècle qui n’a jamais fait l’objet d’une rétrospective à Paris. En outre, nous voulions marquer ce temps fort que constitue la réouverture par un événement d’envergure. Dans cette logique, le Palais a proposé à la maison Chanel un partenariat et un soutien pour l’exposition. Son engagement pour la rénovation du bâtiment est venu ultérieurement. En hommage à la maison de luxe qui, avec la Ville de Paris, a soutenu les rénovations à hauteur de plus de huit millions d’euros, ces nouveaux espaces portent son nom.
Ce type de partenariat implique-t-il une intervention de la maison Chanel sur l’exposition, ou vous a-t-elle laissé carte blanche ?
La maison Chanel n’est pas du tout intervenue dans le commissariat scientifique de l’exposition. Nous avons fait nos propres choix, qu’il s’agisse des pièces empruntées ou de leur présentation.
Gabrielle Chanel est une personnalité aujourd’hui controversée : allez-vous aborder cet aspect ?
Non, notre exposition ne s’intéresse ici qu’à son travail et à son œuvre.
Après avoir dirigé la fondation Balenciaga pendant dix ans, en Espagne, vous êtes arrivée à la direction du musée en 2018. Quelles sont ici vos ambitions ?
Je souhaite m’inscrire dans la continuité de mon prédécesseur qui a fait un travail remarquable en imaginant, entre autres, des projets hors les murs, des expositions alliant mode et performances… Toutefois, j’aimerais aussi renforcer les liens avec les milieux académiques, afin de promouvoir la recherche. Les musées sont pour moi des lieux de présentation, de diffusion et de conservation, mais aussi de production de contenu scientifique. Il nous tient également à cœur de renforcer les collaborations internationales ébauchées sous sa direction et de songer, peut-être, à des productions communes. Fréquente dans le monde de l’art contemporain, cette politique l’est beaucoup moins dans le domaine de la mode en raison de la fragilité des collections. Mais tout ceci dépend également de l’évolution du contexte sanitaire…
La collection permanente sera donc, pour la première fois, révélée au printemps 2021. Quels défis avez-vous dû relever ?
Les exigences en matière de conservation textile étant strictes, il est habituel que les musées consacrés à la mode organisent seulement des expositions temporaires, ce que d’ailleurs nous faisions auparavant. Les pièces requièrent une température d’environ 20°C dans les salles d’exposition, avec un taux d’hygrométrie d’environ 50 %, et doivent surtout être protégées de la lumière. Tous les six mois, nos équipes vont donc se mobiliser pour imaginer des accrochages dynamiques et attractifs de notre collection, considérée comme l’une des plus importantes au monde. Un challenge à la fois fascinant et exigeant ! Pour notre première présentation, nous allons sélectionner environ une centaine de silhouettes, présentées sur des mannequins, mais aussi des accessoires et photographies, afin d’en relever sa valeur historique, rappeler ses origines, mais aussi révéler au public le rôle du Palais dans la reconnaissance de cet art. Ce florilège, coïncidant avec le centenaire de notre corpus balayant l’histoire de la mode du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours, permettra également de faire venir un nouveau public, moins connaisseur.
Et comment allez-vous plus précisément l’aborder ?
Dans toute sa complexité, à la lumière du politique, du social et de l’art, et avec une approche diversifiée. Ayant étudié la politique internationale à la London School of Economics, puis l’histoire de l’art et la mode au Courtauld Institute de Londres, je considère la mode comme une discipline artistique mais aussi un outil politique, d’expression et de construction des identités. J’aimerais promouvoir également l’interdisciplinarité en invitant des plasticiens à interagir avec elle. Le Palais va confier des cartes blanches à des créateurs travaillant dans divers domaines, afin qu’ils portent un regard neuf sur une sélection de nos œuvres. La diversité de notre fonds va permettre d’imaginer ce type d’échanges. En même temps, il est nécessaire de continuer à mettre en avant la création artistique, mais aussi les savoir-faire et métiers d’art d’un point de vue historique, à Paris, capitale internationale de la mode.
Depuis quelques années, on assiste à une déferlante d’expositions sur le sujet dans de nombreuses institutions internationales, à l’instar de celles du MAD de Paris qui vient de rénover ses galeries de mode. Comment votre collection se positionne-t-elle en regard de celle du MAD et que signifient ces expositions pour la discipline ?
Le MAD n’étant pas un musée entièrement dédié à la mode, nos collections et institutions sont complémentaires. Cette « déferlante », dont vous parlez, existe depuis environ 2004, avec, en 2011, l’exposition consacrée à l’œuvre d’Alexander McQueen au Met de New York, qui fut marquante. Les musées d’arts décoratifs, de mode mais aussi de grandes institutions artistiques lui ont emboîté le pas. Une tendance qui s’explique, peut-être, par le fait que ce type de manifestation draine un public plus important et que son approche didactique est intéressante.
Après « Gabrielle Chanel. Manifeste de Mode », quelles seront vos prochaines expositions temporaires ?
Viendront « Vogue 1920-2020 », l’exposition sur le magazine iconique qui fêtera son centenaire en même temps que notre collection permanente, en avril 2021, puis une rétrospective sur l’œuvre du photographe italien Paolo Roversi. Nous espérons ainsi attirer un public diversifié !