Louis XVII, l’Aiglon et le prince impérial… Ces figures juvéniles de l’histoire de France ont connu une existence brève et bouleversée. Un dénominateur commun qui a incité le collectionneur à en rassembler tous les témoignages, bientôt livrés au feu des enchères.
Dans l’univers fascinant des collections de souvenirs historiques, cet ensemble réuni par Amaury Taittinger occupe une place à part, se distinguant par un fort supplément d’âme. Pour une fois, ce ne sont pas des empereurs, des rois ou des reines qui revivent à travers les vestiges, mais des enfants certes princiers. Promis à un avenir brillant, ils ont été entraînés malgré eux vers une destinée tragique, qui continue à fasciner «un cercle choisi de collectionneurs non seulement français, mais également internationaux», comme le constate l’expert Thierry Bodin.
Les reliques du prisonnier du Temple
Né le 27 mars 1785, Louis-Charles de France va subir dès l’âge de 4 ans les aléas du sort réservé à ses parents, Louis XVI et Marie-Antoinette, contraints de s’installer au palais des Tuileries en octobre 1789. «L’extrême rareté des objets lui ayant appartenu, et plus encore de ses autographes due à une très courte existence en font la figure la plus recherchée des trois princes», souligne Thierry Bodin. Parmi ces vestiges précieux, un devoir d’écriture rédigé en 1790-1791, où le petit garçon écrit son nom, entre des lignes tracées au crayon ; sur le second feuillet, il inscrit les mots suivants : « Gouvernement. Gouvernement. Harmonique. Impassibilité. Louis Charles ». Pour ce témoignage, il faudra prévoir 8 000/10 000 €. L’enfant est encore considéré comme l’héritier du trône ; l’atteste ici une tabatière en or et en écaille, attendue autour de 5 000 €, qui est ornée du portrait du petit prince portant le grand cordon du Saint-Esprit, la fête de la Fédération du 14 juillet 1792 étant évoquée à l’arrière-plan. Mais, le 13 août suivant, la famille royale est transférée à la prison du Temple. Une fois Louis XVI exécuté, l’enfant, considéré par les royalistes comme Louis XVII, va concentrer toutes les haines. Le 1er juillet 1793, il est séparé définitivement de sa sœur, Madame Royale, de sa tante Élisabeth et de sa mère ; des derniers instants de Marie-Antoinette, on pourra d’ailleurs acquérir le «ruban du bonnet que la Reine portait la veille de sa mort», comme l’indique un manuscrit l’accompagnant, préservé dans une tabatière en or et émail au portrait de Louis XVI peint par Louis Marie Sicard (20 000/25 000 €). Dès lors, la santé de l’enfant livré à son gardien Simon, puis isolé dans un cagibi aveugle, se dégrade en raison des mauvais traitements, psychologiques et physiques. Le 29 juillet 1794, le conventionnel Paul Barras qui rend visite aux prisonniers du Temple, consigne sur deux feuillets, estimés 3 000/4 000 €, l’état pitoyable dans lequel se trouve le garçon de 9 ans, incapable de se lever. Malgré des soins tardifs, Louis XVII qui semble de surcroît avoir développé la tuberculose osseuse, dont était mort son frère aîné Louis-Joseph décède le 8 juin 1795.
Des Tuileries à Schönbrunn, l’Aiglon solitaire
Plus nombreux, «les souvenirs de la jeunesse du roi de Rome connaissent un grand engouement aujourd’hui, affichant une forte cote qui ne se dément pas», analyse l’expert Bernard Croissy. Né le 20 mars 1811, Napoléon François Joseph Charles embrassera pour la dernière fois son père, Napoléon Ier, le 24 janvier 1814, jour où l’Empereur part pour la campagne de France. Durant ces trois premières années, son existence s’écoule au palais des Tuileries, sous la surveillance de sa gouvernante, la comtesse de Montesquiou. Donné à cette dame surnommée «Maman Quiou» par le bambin un dessin aquarellé de Jean-François Tourcaty montre Le Roi de Rome à l’âge de deux ans faisant ses premiers pas à l’aide d’un trotteur (10 000/15 000 €). Évoquant l’entourage du prince, une série de tabatières recèle une superbe pièce en or par Étienne Nitot, ornée d’une miniature de Napoléon Ier exécutée sous la direction de Robert Lefèvre (voir l'article Nitot et Lefèvre : à la gloire de Napoléon En couverture de la Gazette n° 23, page 8). Le 23 avril 1814, Marie-Louise rentre à Vienne avec son fils. À l’issue des Cent-Jours, le 22 juin 1815, Napoléon Ier abdique en faveur de son fils, qui devient Napoléon II… l’espace de deux semaines. Commence une enfance mélancolique en Autriche pour celui que Victor Hugo nommera «l’Aiglon». Son grand-père, l’empereur François Ier, congédie la gouvernante du garçon de 4 ans, qui lui écrit ce billet : “Chère maman Montesquiou je pense à vous toute la journée et vous aime de tout mon cœur” (2 500/3 000 €). Et si le monarque autrichien le chérit et le nomme duc de Reichstadt, sa mère Marie-Louise, qui vit désormais en Italie, devenue duchesse de Parme et remariée au général Neipperg, s’en désintéresse. Dans une lettre aimante à sa mère, datée du 4 février 1827 et aujourd’hui prisée à 4 000/5 000 € , le jeune homme se plaint de ne la voir que tous les deux ans… Le 22 juillet 1832, le prince s’éteint, vaincu par la tuberculose.
Un prince impérial paré de toutes les qualités
Louis-Napoléon demeure celui qui a laissé le plus de traces. «Dès la fin du XIXe siècle, des admirateurs ont constitué des collections importantes autour du prince impérial, tel l’abbé Misset ; plus près de nous, Christopher Forbes avait acquis plusieurs de ses souvenirs, dispersés lors de la vente des 5 et 6 mars 2016 par Me Jean-Pierre Osenat », rappelle Amaury Taittinger. Adulé par ses parents, Napoléon III et l’impératrice Eugénie, l’héritier, né le 16 mars 1856 et surnommé «Loulou», grandit au sein de la cour des Tuileries. Des éléments de l’histoire paternelle plantent ici le décor, comme le suggère une tabatière en or, de 1851-1852, au portrait de Louis Napoléon Bonaparte (encore président de la République), requérant 15 000/20 000 €. Doté d’un physique avantageux, le petit prince fait le bonheur des artistes, qui en ont laissé de multiples représentations. À l’instar de Jean-Baptiste Carpeaux : son buste du jeune garçon en bronze patiné, fondu par Ferdinand Barbedienne, constituera le clou de cette séquence. L’œuvre, frémissante de vie, est datée «Pâques 1865» (12 000/15 000 €). Autre célèbre représentation, due au même sculpteur : Le Prince impérial avec son chien Néro, une terre cuite estimée autour de 11 000 €. Cette enfance dorée elle aussi s’achève, avec la guerre engagée contre la Prusse en 1870, puis l’exil en Angleterre. Lorsque son père meurt, en 1873, Louis-Napoléon devient prétendant au trône impérial, sous le titre de Napoléon IV. Volontaire, il décide de s’engager aux côtés des Britanniques dans les opérations menées contre les Zoulous en Afrique du Sud. Un engagement fatidique : le 1er juin 1879, à Itelezi, il tombe transpercé de dix-sept coups de sagaies. La minute du procès-verbal d’identification du corps du prince impérial, dressé par les docteurs Corvisart et Larrey le 11 juillet suivant, sera accessible pour 2 500/3 000 €. «Non, l’avenir n’est à personne !», martelait en 1835 Victor Hugo dans Les Chants du crépuscule. Les souvenirs, eux, demeurent, passant de main en main
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