Disparu en 1988, le galeriste reste une personnalité emblématique dont le nom résonne aux oreilles des amateurs. Il sera le saint patron d’une vente des pièces de la collection familiale.
Conservées depuis plusieurs décennies par les membres de la famille Bresset, une quinzaine de pièces ont été confiées à la vente par ceux-ci, après avoir longtemps constitué le cœur historique de leur collection. Rares et discrètes, certaines ont été vues pour la dernière fois lors des expositions organisées au musée Cantini, à Marseille, dans les années 1950. C’est dans cette ville qu’est né Louis-Pierre Bresset (1902-1988). Si ses études d’ingénieur ne le prédestinent pas à une carrière dans le monde de l’art, il y est pourtant sensibilisé dès son plus jeune âge. Jules Olive, son oncle maternel, peintre et marchand de tableaux dans la cité phocéenne, reçoit d’ailleurs les visites assidues de son neveu. Il ne faudra pas longtemps pour que ce dernier délaisse la fonderie familiale et ouvre sa première galerie en 1924, rue Paradis – un toponyme prophétique pour celui qui allait devenir une référence de l’art médiéval. Avant la guerre, et après la naissance de ses fils Édouard et Gabriel, il acquiert le château de la Rochelambert en Haute-Loire. À force de patience, d’exigence et d’achats éclairés, le marchand remeuble entièrement la demeure, qui se fait si bien musée que Louis-Pierre Bresset l’ouvre au public. Tout un chacun peut y admirer sa riche collection d’œuvres aux provenances variées : France, Italie, Allemagne, Espagne et Flandres brossent un panorama fouillé de l’art Haute Époque avec des objets d’art, des tapisseries, des sculptures et du mobilier du Moyen Âge et de la Renaissance. En 1954, il s’installe à Paris, reprenant la galerie d’Arthur Sambon, également marchand Haute Époque avant la guerre, et installé quai Voltaire. En 1968, il ouvre une autre adresse boulevard Saint-Germain tandis que son fils Édouard s’installe dans la première.
Avec le soutien des anges
Ces trois vitrines deviennent incontournables aussi bien pour les collectionneurs que pour les musées ; le Louvre, notamment, acquiert plusieurs pièces auprès du marchand, dont Le Christ des Rameaux, sculpture en bois polychrome datée du XVIe siècle et un temps exposée au château de la Rochelambert. Dans la sphère privée, la collection se poursuit dans l’appartement de Bresset, rue du Bac, où il mêle des œuvres Haute Époque à l’art contemporain. Cette scénographie, inédite alors, ne manque pas d’audace et offre pour la première fois un nouvel éclairage sur les qualités stylistiques des pièces anciennes. Pierre Minussi, responsable de la vente, a l’enthousiasme communicatif. Et pour cause, selon lui, «cette collection est exceptionnelle et sa vente l’est également. On retrouve l’esprit des ventes érudites et le grand goût Haute Époque que l’on connaissait au siècle dernier, dans les années 1960-1980, mais devenues rares aujourd’hui». Toutes les pièces provenant de la collection Bresset sont d’une haute qualité et dans un état de conservation remarquable. Parmi ces œuvres phares se distingue une rare sculpture, en bois polychrome et doré, un Christ descendu de la croix par les anges (30 000/50 000 €), attribué à la production de l’est de la France et daté de la seconde moitié du XVe siècle. Jésus, au corps meurtri et au visage supplicié, est délicatement soutenu par quatre anges christophores dans une composition aussi simple que savante, où les plis des angéliques vêtements donnent seuls le sentiment de mouvement descendant. Ce sujet, rare à cette époque, enrichit la dévotion du fidèle, lui offre une profondeur toute nouvelle et bien différente de celle inspirée par les personnages sacrés en majesté, dont les visages impavides sont bien éloignés du quotidien de l’humanité. L’émotion suscitée face à la souffrance visible du Christ doit guider le spectateur vers une méditation sur la résurrection, l’inviter à affermir sa foi dans le salut, dans la victoire de la vie sur la mort.
Madones romanes et Christ giottesque
Deux très belles vierges romanes auvergnates, sculptées à la charnière du XIIIe siècle, devraient aussi éveiller l’intérêt. Celle dont la polychromie a le mieux traversé le temps (60 000/80 000 €) est d’ailleurs considérée par l’experte Jacqueline Boccador, dans son livre Statuaire médiévale de collection (1972), comme «une des plus parfaitement représentatives du symbolisme de cet art sacré du XIIe siècle». Assises en majesté sur leur Sedes Sapientiae – leur trône de sagesse –, ces madones protégeaient à l’époque romane une relique. C’est ce que rappelle l’expert en Haute Époque Benoît Bertrand : «Les statues reliquaires auvergnates apparaissent très tôt dans la production de ces majestés. Car la foi en l’Assomption de Marie, qui est montée au ciel avec son propre corps, ne permet pas d’honorer des reliques de ses restes, les statues vont perdre leur fonction reliquaire, même si ces dernières contenaient des reliques d’autres saints. La présence des niches atteste donc de l’ancienneté plus grande encore de ces sculptures par rapport à d’autres majestés.» Une autre Vierge à l’Enfant polychrome (10 000/15 000 €), aux traits plus rudes que ses consœurs, dégage néanmoins une grande douceur, impose le silence et imprègne de solennité la présentation de l’Enfant. Attribuée à la production ombrienne vers 1200-1230, cette madone témoigne de la liberté des sculpteurs d’Ombrie et, Jacqueline Boccador, qui l’avait déjà remarquée, invitait à en apprécier le «goût de terroir» d’Italie centrale. Enfin, un bijou de la Renaissance italienne s’ouvre, sur fond d’or, à une nouvelle forme de spiritualité, intime et domestique. Un triptyque à volets fermants (30 000/50 000 €) attribué au Maître des Effigies dominicaines –peintre et enlumineur travaillant à Florence entre 1325 et 1345 – dépeint sur les vantaux un Saint François d’Assise et un Saint Pierre autour d’une Vierge à l’Enfant ; tous sont imprégnés de la manière de Giotto. L’expertise réalisée par le cabinet Turquin a permis d’identifier plusieurs emprunts de l’artiste florentin aux modèles giottesques qu’il a pu admirer en son temps : les fresques d’Assise (église supérieure) du Maître de Sainte-Cécile ainsi que la Stigmatisation de saint François du triptyque Cagnola, signé par Jacopo di Casentino, dont il a repris entièrement la scène sur le volet gauche. Aux côtés d’objets laïcs, les exceptionnelles œuvres religieuses de cet ensemble sont à l’image de celui qui les a réunies : raffinées, savantes et audacieuses. Nul doute, les collectionneurs seront au rendez-vous !