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Les gentlemen du commerce de l'art

Publié le , par Vincent Noce

Simon de Pury plaide sa cause devant un tribunal de Londres. Rapporté par The Telegraph, le contentieux a l’avantage de mettre en valeur la part factice du commerce de l’art aujourd’hui. Il porte sur le rôle du commissaire-priseur et collectionneur dans la vente d’un Gauguin à l’émir du Qatar par la famille bâloise Staechelin....

  Les gentlemen du commerce de l'art
 

Simon de Pury plaide sa cause devant un tribunal de Londres. Rapporté par The Telegraph, le contentieux a l’avantage de mettre en valeur la part factice du commerce de l’art aujourd’hui. Il porte sur le rôle du commissaire-priseur et collectionneur dans la vente d’un Gauguin à l’émir du Qatar par la famille bâloise Staechelin. Il y a deux ans, le New York Times avait avancé le prix fabuleux de 300 M$. Le Kunstmuseum de Bâle, où la peinture était accrochée avec d’autres de la collection depuis 1947, ne put qu’exprimer «ses regrets». Nafea faa ipoipo ? («Quand te maries-tu ?») devenait l’œuvre d’art la plus chère au monde aux yeux des médias, qui ont un faible pour ce genre d’histoires. Las. Le prix, révélé par les conclusions des avocats à Londres, était en fait de 210 M$  un montant toujours exorbitant, mais, quand même, une différence de 30 %, qui en dit long sur la valeur relative des interprétations statistiques du marché mondial. On ne sait qui a colporté le chiffre flatteur de 300 millions. Du moins, contrairement à Rudolf Staechelin, Simon de Pury ne fit-il rien pour le corriger. Sa mince silhouette à la calvitie précoce a longtemps été une figure obligée des cocktails et des fêtes de l’art contemporain. Il n’était pas le dernier à en organiser, jusqu’à un banquet couché à la galerie Saatchi, à Londres, pour son dernier mariage avec une dame qu’il a surnommée «la girafe». Lui préfère se faire appeler «le Mick Jagger du monde des enchères» (peut-être pensait-il que le surnom de «Michel-Ange du commerce» ou de «Mozart de l’art» était déjà pris). Dans son autobiographie parue en français approximatif, il entend exposer «la cupidité effrénée» de ce monde. Il assure avoir fait la fortune de Jeff Koons, Damien Hirst, Murakami et autres, tout en offrant une «reconnaissance inespérée» à Helmut Newton et Andreas Gursky. Les artistes ont dû apprécier. Les collectionneurs aussi, puisque, par le jeu des enchères, il clame avoir piqué «l’argent dans la poche» des grandes fortunes, pour « le faire passer dans celle des artistes ». Bernard Arnault a dû être particulièrement ravi, lui qui a englouti 250 M$ dans Phillips, convaincu par l’intéressé qu’il pouvait casser le duopole Sotheby’s-Christie’s, à coups de garanties délirantes proposées aux vendeurs. Il faut avouer que Simon de Pury peut faire preuve d’un certain humour quand il s’amuse des catastrophes industrielles dans lesquelles il a été entraîné avec ses partenaires, et notamment ses épouses. De toute manière, estime-t-il, «Bernard Arnault n’a pas été lésé», puisqu’il a enrichi sa propre collection, ayant été forcé de racheter lui-même les lots phares, dont personne ne voulait à ce prix. L’auteur sort un peu de son flegme en laissant planer un soupçon de trahison à l’encontre de l’homme d’affaires, quand celui-ci décida de se retirer de cette folle entreprise : « séduit », il s’est « senti abandonné ».

Il faut avouer que Simon de Pury fait preuve d’un certain humour quand il s’amuse de ses catastrophes industrielles.

À Londres, Simon de Pury réclame 10 M$ de commission qui lui auraient été promis pour la vente du Gauguin. Rudolf Staechelin lui reproche d’avoir manœuvré, en lui faisant miroiter un prix d’achat à 230 millions, avant de le harceler pour conclure l’affaire pour 20 millions de moins. « Ce n’est pas mon genre », a-t-il rétorqué. Simon de Pury n’a pu produire aucun contrat, mais le marché de l’art, à l’en croire, reste gouverné par la parole donnée  même pour une somme de 10 M$. « C’est un monde de gentlemen. » En effet, dit comme cela…

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