L’annonce par le Metropolitan Museum de la restitution d’un sarcophage ptolémaïque doré, qu’il exposait depuis quelques mois seulement, constitue un rappel brutal du danger que les trafics représentent pour le monde des antiquités. L’Égypte proclame que la pièce a été volée lors des troubles de 2011, sans qu’on ne sache rien des circonstances. Le parquet de New York assure que les documents d’origine dont une licence d’exportation d’Égypte datée de 1971 seraient falsifiés, ce que conteste l’expert parisien Christophe Kunicki, qui l’a vendue pour 3,5 M€. Celui-ci se montre stupéfait, en disant l’avoir obtenue d’une collection privée. Il serait alors la dernière victime d’un mal qui ronge le marché. Certains marchands orientalistes redoutent ainsi un mouvement de paranoïa à l’encontre de leur métier, exacerbé par l’émotion soulevée par les horreurs du Moyen-Orient, en faisant remarquer que très peu d’exemplaires frauduleux ont été saisis en Occident. Fausse alerte ? L’enquête visant un antiquaire catalan jette néanmoins une lueur inquiétante sur les routes tortueuses que peuvent emprunter les trésors de ces anciennes civilisations. Jaume Bagot, fils de bonne famille qui s’est aménagé un petit palais près de Barcelone et apprécie les Porsche Cayenne, clame son innocence en attendant son procès. L’enquête s’étend à des restaurateurs en Allemagne, des marchands libanais à New York, des galeristes et maisons de ventes à Londres. Des marbres grecs de Libye, mais aussi des mosaïques romaines et des sarcophages égyptiens ont été saisis dans son stock. Il était déjà accusé par l’Italie d’avoir écoulé des œuvres dérobées par des tumbaroli au Latium. Il était en relation avec deux fournisseurs, un Jordanien et un Iranien installés à Dubaï, devenue une place forte du marché parallèle.
Dans un mail, il demande au premier de lui facturer une tête en marbre provenant d’Apollonia en Libye, «en donnant comme provenance, pour simplifier la déclaration en douane : collection particulière, avant 1970». Pour expédier en Europe une autre tête féminine cyrénaïque, acquise à Dubaï pour 30 000 €, il demande de la faire transiter par Bangkok. Son contact suggère alors d’éviter de faire apparaître le nom de la galerie sur la facture. La pièce aurait finalement été déclarée comme venant de Munich pour une valeur de 500 $. Peut-être le marché de l’art a-t-il longtemps choisi de considérer la fraude fiscale comme un passe-temps de nature à justifier de telles facéties, mais ce qui rend l’accusation beaucoup plus grave dans ce cas précis, c’est que ces marbres ont été achetés en 2014 et 2015, alors que les sites se trouvaient sous contrôle de l’État islamique en Libye. «C’est la première fois que nous trouvons suffisamment de pistes pour relier ainsi un marchand à Daesh», proclame la police espagnole à Vanity Fair. Son attention avait été attirée par la vente par cet antiquaire à un confrère belge d’un sarcophage revendiqué par l’Égypte. L’enquête en Belgique a été classée sans suite. En France, tout professionnel est obligé de justifier de la légitimité des provenances, mais cette règle n’a pas cours chez notre voisin toujours plus accueillant. Jaume Bagot a été suspendu du syndicat espagnol des antiquaires et de la confédération internationale CINOA. Entre-temps cependant, il a fait ses affaires à la Brafa, où il a été admis en 2013. La foire de Bruxelles fait observer que son vetting porte sur l’authenticité des objets, mais non sur leur origine. C’est un tort. Si les associations d’antiquaires et leurs foires qui représentent désormais près de la moitié des ventes des galeries veulent protéger leurs adhérents et leur clientèle, à l’instar des maisons de ventes aux enchères, elles seraient bien inspirées de renforcer leurs contrôles. À défaut, tout le monde en paiera le prix.
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