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Le petit dossier vert

Publié le , par Vincent Noce

Le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, ouvert en 1998 à l’initiative de Jacques Chirac, est remarquablement animé par une équipe multipliant les conférences, les concerts et les expositions, telles celles sur Rembrandt, et, plus récemment, Freud. Le visiteur y trouvera une monographie dédiée à Jules Adler, dont le premier...

Jules Adler, La Mère, Paris, 1899, huile sur toile, Poznan, fondation Raczynski du... Le petit dossier vert
Jules Adler, La Mère, Paris, 1899, huile sur toile, Poznan, fondation Raczynski du musée national 
© ADAGP, Paris 2019

Le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, ouvert en 1998 à l’initiative de Jacques Chirac, est remarquablement animé par une équipe multipliant les conférences, les concerts et les expositions, telles celles sur Rembrandt, et, plus récemment, Freud. Le visiteur y trouvera une monographie dédiée à Jules Adler, dont le premier tableau au Salon s’intitulait Misère, ou encore les photographies d’Adolfo Kaminsky. Il peut découvrir l’aventure de ce clandestin impénitent, qui se mit à fabriquer des faux papiers pour la France libre et la résistance juive, activité qu’il poursuivit pour les groupes sionistes, puis pour les partisans de l’indépendance algérienne et, enfin, pour les victimes des dictatures, de la Grèce au Chili. Le musée jette ainsi une lumière bienvenue sur des artistes qui n’ont pas l’honneur des grandes expositions. Un passage particulièrement émouvant est la petite salle ouverte aux dessins de Rosine Cahen. Fille d’un petit commerçant lorrain qui choisit la France en 1871, elle fut notamment élève de William Bouguereau. Surmontant les réticences montrées envers les femmes, elle trouva place à l’académie Julian et fut plusieurs fois primée par la ville de Paris. Elle réalisa aussi des lithographies pour Jules Adler. Pendant quelques années, elle fit le tour des hôpitaux pour dessiner le portrait des blessés de la Grande Guerre. Le ton pudique contraste avec la peinture de dénonciation d’un Otto Dix.

Le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme jette une lumière bienvenue sur des artistes qui n’ont pas l’honneur des grandes expositions

L’héritage de Rosine Cahen a en grande partie disparu et, aujourd’hui encore, sa biographie reste lacunaire. Comme dessinatrice, elle avait pourtant du talent, comme en atteste cette suite de feuilles. Leur redécouverte tient du miracle. Rendant visite à une sœur en Bretagne, Jean-Yves Martel, un concepteur réalisateur audiovisuel, aperçut dans la cave, sur le dessus d’un sac-poubelle promis à la décharge, un dossier vert, contenant treize dessins et une peinture. Il ignorait tout de l’existence de cette artiste, qui avait été une amie de leur mère. Avec l’assistance de Maryline Assante di Panzillo, conservatrice au Petit Palais – qui détient des lithographies correspondant à trois de ces dessins –, il s’est efforcé de retisser les fils. La plupart des feuilles portent une date, le nom de l’hôpital, parfois du blessé, son arme, sa nationalité, voire la date de ses blessures ou celle de sa mort quand il a succombé. «Rosine Cahen, dit-il, revenait donc régulièrement dans ces salles. Il faudrait imaginer la relation entre cette femme, qui avait la soixantaine, et ces jeunes gens foudroyés, avant de commencer à dessiner, pendant le temps du dessin.» Ces portraits ont été exposés à Manchester et à la Tate Britain, à l’occasion de commémorations de la Grande Guerre (un événement que la France s’est montrée incapable d’organiser). Nos pensées vont aussi à Fédor Löwenstein, dont trois peintures saisies par l’armée allemande au port de Bordeaux ont été retrouvées au Centre Pompidou, grâce à un chargé de recherche, Alain Prévet, ouvrant la voie, avec le concours du conservateur Didier Schulmann, à un hommage dans cette ville en 2014. Ou encore à un autre artiste de l’école de Paris, Jezekiel David Kirszenbaum, dont l’œuvre devrait être accueillie en fin d’année au musée des Années trente à Boulogne-Billancourt. Par deux fois, ses tableaux furent brûlés par les miliciens nazis, à Berlin puis devant son atelier de Boulogne, tandis que les Français l’enfermaient dans un camp d’internement et envoyaient son épouse à la mort en déportation. Depuis des années, son petit-neveu Nathan Diament s’est donné pour mission de sortir de l’inconnu cet héritage, lequel a été exposé en Allemagne avant de se frayer une voie en France. Ces gestes sont autant de réparations symboliques que notre temps doit à ces artistes, dont certains ont presque tout perdu au long du siècle.

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