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Le musée Lambinet, un autre Versailles

Publié le , par Valentin Grivet

L’ancien hôtel particulier de la famille Lambinet, devenu musée en 1932, s’est offert une nouvelle jeunesse. Une délicieuse plongée dans l’art de vivre au XVIIIe siècle, au fil d’un parcours repensé qui croise art et histoire, peinture, sculpture et arts décoratifs.

Gustave Boulanger, Portrait de Madame Lambinet, née Nathalie Sinclair (1857-1926),... Le musée Lambinet, un autre Versailles
Gustave Boulanger, Portrait de Madame Lambinet, née Nathalie Sinclair (1857-1926), 1887, huile sur toile, 150,3 90,3 cm (détail).
© Ville de Versailles/Pierrick Daul
C’est un musée de proximité, un lieu de charme. On ne prétend pas rivaliser avec le château ! », précise d’emblée François de Mazières, maire de Versailles et ancien président de la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris. Derrière sa façade classique ouvrant sur un petit jardin, le musée Lambinet est une demeure de collectionneurs et un musée d’art et d’histoire de la Ville, qui abrite une collection de tableaux, de sculptures, de mobilier et d’objets d’art, du XVIIe au milieu du XXe siècle. Installée dans un hôtel particulier construit en 1752 pour Joseph-Barnabé Porchon, entrepreneur des Bâtiments du Roi sous Louis XV, l’institution créée en 1932 s’est offert une cure de jouvence après trois années de travaux de rénovation du bâtiment et la refonte complète du parcours de visite. Porté par les élus et l’équipe de la conservation, le projet s’avérait ambitieux dans un contexte compliqué. « Le château de Versailles a récemment récupéré les recettes des parkings de la place d’Armes, qui jusqu’ici allaient dans les caisses de la Ville. C’est un énorme manque à gagner. Notre budget était serré. Nous avons mobilisé les équipes des services techniques et des ateliers municipaux pour l’électricité, la menuiserie, la peinture, jusqu’à la réalisation du nouveau mobilier muséographique. Cela a créé une formidable synergie », poursuit François de Mazières.
 
Henry Moret, L’Ile d’Ouessant, la chaussée Keller, 1897, huile sur toile, 60 x 73 cm. © Ville de Versailles
Henry Moret, L’Ile d’Ouessant, la chaussée Keller, 1897, huile sur toile, 60 73 cm.
© Ville de Versailles

Un hôtel du XVIIIe
Les interventions sur le bâti – remplacement des fenêtres de la façade côté rue Baillet-Reviron, reprise des parquets, remise en peinture et dorure des boiseries – ont impliqué le déménagement des collections et suscité une réflexion de fond sur le ré-accrochage : que montrer, et comment ? Labellisé « musée de France » depuis 2004, le musée Lambinet n’avait encore jamais fait l’objet d’une campagne de rénovation d’une telle ampleur. Il devait réaffirmer son identité et rendre plus lisible la manière dont ses collections ont été constituées au fil du temps. Jusqu’ici, les salles présentaient essentiellement des peintures, au détriment des arts décoratifs. « Il fallait rééquilibrer. Mais surtout, beaucoup de visiteurs quittaient le musée sans savoir qui étaient les Lambinet, explique Émilie Maisonneuve, conservatrice du Patrimoine et directrice de l’établissement. Il n’y avait ni introduction, ni fil directeur. Aujourd’hui, nous racontons une histoire. » Dès le vestibule, les visiteurs sont accueillis par le Portrait de Madame Lambinet, née Nathalie Sinclair, peint en 1887 par Gustave Boulanger. C’est à cette femme, représentée en robe de bal constellée de roses, que le musée doit sa naissance. Au printemps 2019, peu avant la fermeture pour travaux, une exposition retraçait l’histoire de sa famille, en s’appuyant sur les recherches menées par Charlotte Bellando, directrice adjointe responsable de la valorisation du musée et de ses collections. Originaires de l’est de la France, les Lambinet arrivent à Versailles dans les années 1780. Le père, Jean-Baptiste (1753-1842), est tailleur d’habits, comme le sera son fils Jean-François (1783-1864), un temps maire de Versailles. Le fils de celui-ci, Victor (1813-1894), acquiert l’ancien hôtel particulier de Joseph-Barnabé Porchon pour s’y installer à la fin des années 1850. Son épouse lui donne un enfant, Félicien (1846-1908), qui prendra pour femme Nathalie Sinclair (1857-1926). Veuve d’un premier mariage et âgée de 40 ans, elle met au monde un fils, qui mourra à l’âge de 12 ans. Voulant laisser une trace et préserver la maison où elle vécut heureuse jusqu’à cette tragédie, Nathalie Lambinet décide de léguer l’hôtel particulier à la Ville, qui en devient officiellement propriétaire trois ans après son décès, en 1929. Selon la volonté de la défunte, la demeure devient un musée en 1932. Mais à cette date, il ne reste presque rien des collections qu’elle avait réunies, l’essentiel – cent-soixante tableaux, dessins et pastels, quarante objets d’art et quatre-vingt-treize meubles – ayant été dispersé en ventes publiques par ses exécuteurs testamentaires à Versailles, en 1927. Lors de son ouverture au public, le musée présente à peine une dizaine de pièces ayant appartenu aux Lambinet, mais expose une large part des collections des beaux-arts conservées depuis 1888 au musée Houdon (au sein de la bibliothèque municipale). Ces œuvres éclectiques – d’une crosse médiévale de l’abbaye Notre-Dame-du-Lys à un tableau d’Hubert Robert en passant par un cartel d’époque Louis XV en vernis Martin – constituent le premier noyau des collections que l’on voit aujourd’hui. Elles sont présentées pour la plupart au rez-de-chaussée, dédié à l’histoire des collections.
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Crosse de l’abbaye Notre-Dame-du-Lys, XIIIe-XVe siècle, bois, cristal de roche, vermeil, cuivre, jaspe et papier, h. 177 cm © Ville de Ver
Crosse de l’abbaye Notre-Dame-du-Lys, XIIIe-XVe siècle, bois, cristal de roche, vermeil, cuivre, jaspe et papier, h. 177 cm
© Ville de Versailles/Thierry Ollivier

Une maison de collectionneurs
Le fonds est rapidement étoffé grâce à la générosité de donateurs comme Claude Saint-André, en 1936, avec les portraits de deux enfants de Louis XIV et Madame de Montespan, peints par Pierre Mignard, et, surtout, de donatrices. Parmi elles figurent deux actrices : Louise Thiry, qui fit don à la Ville de ses œuvres des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, et Julia Bertet, pensionnaire de la Comédie-Française dont la collection de porcelaines et de scènes d’intérieurs intimistes est entrée au musée en 1942. Le musée ne cessera ensuite de s’enrichir : don Edmond de Rothschild en 1988, dépôt d’un ensemble de pots à pharmacie de la manufacture de Sèvres par le centre hospitalier de Versailles en 1994… et un petit salon consacré aux collectionneurs d’aujourd’hui, où sont réunies notamment des œuvres de Charles-Joseph Natoire, Amedeo Modigliani, Pablo Picasso et Paul Cézanne. « Il est possible que ces prêts, consentis par un seul propriétaire, se transforment un jour en legs », confie Émilie Maisonneuve. Le parcours se poursuit au premier étage, en une série de period rooms. La salle à manger, la chambre, le boudoir et le salon doré témoignent de l’art de vivre à Versailles à la fin du XVIIIe siècle. Entre autres merveilles – horloge de Jean-Noël Bigand, porcelaines de Chine, fauteuils de Jean-Baptiste Claude Sené – figure une harpe à huit pédales, fabriquée par Henri Naderman, luthier de Marie-Antoinette. « Peu de ses instruments sont conservés dans les collections publiques, et celui-ci est le seul dont le mécanisme est d’origine. Le son est celui que l’on entendait à l’époque », précise la directrice. Un cabinet révèle quelques trésors d’ivoire, d’argent ou de pierres dures (boîtes, éventails, montres, épingles, etc.) tandis qu’une galerie de sculptures du XVIIIe siècle met en scène des plâtres d’atelier de Jean-Antoine Houdon et des bas-reliefs d’Augustin Pajou. Une salle dédiée au XIXe siècle dévoile deux chefs-d’œuvre de Louis Boilly, des tableaux de la collection Eugène Asse – dont de jolies toiles de petits maîtres – et de la collection Guy, composée d’œuvres d’Eugène Carrière, Henry Moret, Maximilien Luce, Maxime Maufra ou Armand Guillaumin. Autre ambiance au second étage, qui conte l’histoire de Versailles, du règne de Louis XIII à la Seconde Guerre mondiale, en mettant l’accent sur la période révolutionnaire, documentée grâce à la donation faite en 1883 par l’historien Charles Vatel. Riche d’œuvres étonnantes – les cloches commandées par Louis XIV provenant du couvent des Récollets, les Œufs surprise de Madame Victoire – et de toiles de Joseph-Marie Vien, François Boucher ou Auguste-Alexandre Baudran, cette partie très pédagogique est moins convaincante pour le XXe siècle, par manque d’œuvres significatives. À l’exception d’un très beau tableau d’Henri Le Sidaner représentant le musée Lambinet, offert par l’artiste en 1939.
à voir
Musée Lambinet,
 54, boulevard de la Reine, Versailles (78), tél. : 01 30 97 28 75.
www.versailles.fr
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