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L’art à la mode de la collection Maramotti

Publié le , par Mikael Zikos

En Italie du Nord, la famille d’achille maramotti, fondateur de max mara, met sa collection d’art à la portée de tous les publics et coproduit celui de demain, avec audace et bienveillance.

Vue intérieure de la Collection Maramotti, à Reggio d’Émilie (Italie).   L’art à la mode de la collection Maramotti
Vue intérieure de la Collection Maramotti, à Reggio d’Émilie (Italie).
 

Natif de Reggio d’Émilie, Achille Maramotti (1927-2005) n’a jamais cessé d’entreprendre… et de collectionner. En 1951, à 24 ans, il fonde la marque de mode Max Mara, «avec un seul manteau et un costume.» Du temps de l’après-guerre en Italie jusqu’à l’ère globale du XXIe siècle, le vêtement Max Mara devient un synonyme de modernité et de qualité. À mesure que sa société première manufacture de prêt-à- porter en Europe s’internationalise, son fondateur fait l’acquisition de parts auprès de plusieurs établissements bancaires italiens, comme le régional Credito Emiliano et le milanais Unicredito Italiano (Unicredit), qui lui permettent au même moment de concrétiser son intérêt pour l’art. En 1951, son acquisition de l’un des premiers travaux du plasticien Alberto Burri marque ainsi le début de la collection d’art de la famille Maramotti. Plus de deux cents œuvres peintures, sculptures et installations datant du milieu des années 1940 à nos jours, choisies parmi les plus de mille pièces constituant cette collection historique, forment aujourd’hui le parcours permanent du «musée privé» des Maramotti, ouvert en 2007 et accessible gratuitement. La Collection Maramotti a le bon goût d’avoir été implantée dans l’ancienne usine de la maison Max Mara, à Reggio d’Émilie. Le reste des œuvres, conservé dans un dépôt adjacent au bâtiment, est présenté au public environ une fois par an, et peut également se visiter sur demande. Construite en 1957 à partir d’un modèle architectural radical et performant constitué d’un plan libre et lumineux, dédié aux activités de confection à l’intérieur et aux sites utilitaires à l’extérieur pour un travail optimisé , la manufacture a connu une rénovation de haute volée en 2000. Il s’agissait d’accueillir cet espace d’exposition, selon le souhait d’ouverture d’Achille Maramotti concernant l’ensemble de ses activités : l’homme fut en effet très tôt soucieux que ses employés puissent accéder à des éléments de sa collection. De nombreuses œuvres étaient ainsi disposées dans les parties communes de l’usine, dans l’intention de croiser la sphère de l’industrie avec celle de la création artistique.
 

Vue de la collection Maramotti, avec des œuvres des artistes allemandsSigmar Polke et Anselm Kiefer. © Dario Lasagni
Vue de la collection Maramotti, avec des œuvres des artistes allemands
Sigmar Polke et Anselm Kiefer.

© Dario Lasagni

Un ensemble exceptionnel et à portée universelle
Pour Marina Dacci, en charge de l’établissement depuis sa création, «la Collection Maramotti a une responsabilité, celle d’ouvrir le public à ce qui s’est fait, et ce qui se fait, de plus pertinent en art». Également collectionneuse, à sa propre échelle, et défenseuse des pratiques émergentes de l’art contemporain italien qui n’a à ses yeux « jamais été aussi productif, mais reste encore peu connu à l’étranger» , elle a su saisir l’enjeu que représentait l’ouverture d’une telle collection au public : «Au lieu de privilégier une approche curatoriale voire critique de cet ensemble, le parcours, conçu avec nos équipes, regroupe des œuvres en lien avec la vie personnelle des collectionneurs ou leur impact dans l’histoire.» Art informel et arte povera, trans-avant-garde italienne, néo-expressionnisme allemand, pop art et néo-géo… Au fil de morceaux choisis dans une offre pléthorique et disposés dans une suite de grandes salles en enfilade, le visiteur fait l’expérience d’une passion pour l’art très personnelle, et dont la portée s’étend bien au-delà des associations présentées ici entre Lucio Fontana et Piero Manzoni, ou entre Richter, Kiefer, Polke et Baselitz. Ces regroupements témoignent de l’affection qu’avait Achille Maramotti pour des pratiques artistiques à l’écart de l’establishment comme celles de Claudio Parmiggiani, d’Enzo Cucchi et de Sandro Chia et pour l’expérimentation des matériaux ainsi que l’attention portée au corps ; comme si son appréciation de l’art, en tant qu’outil de représentation et de conceptualisation de l’état du monde, avait influencé la conception du prêt-à-porter élégant et tout-terrain de Max Mara. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à voir certaines sculptures de Fausto Melotti incluses en début du parcours, abstraites et libres comme l’air, et une installation sonore de Vito Acconci, diffusant des mots d’amour dans une structure de bois évoquant l’architecture du refuge. Ce fut l’une des dernières grandes œuvres de cette importance acquises par le collectionneur en 1978. Aujourd’hui, ses enfants ont repris le flambeau, et les nouvelles entrées importantes dans la collection à l’exemple d’un dispositif du sculpteur néerlandais Mark Manders sont dévoilées dans des expositions temporaires. Le Max Mara Art Prize for Women y participe également. La londonienne Whitechapel Gallery expose depuis 2005 la lauréate de cette récompense bisannuelle : une carte blanche et une résidence de six mois en Italie, offerte par la Collection Maramotti à une jeune artiste femme travaillant à Londres, un gage d’influence. Andrea Büttner et Laure Prouvost en ont été distinguées en 2009 et 2011, avant de remporter le prix Turner de 2013 pour la seconde. Un bel avenir est également promis à Emma Hart, gagnante de l’édition 2017, dont l’installation en céramique récemment montrée à la Collection et conçue entre Milan, Todi et Faenza est une retranscription visuelle et ludique de recherches menées à partir d’études cognitives et de comportements humains familiaux depuis la Rome antique.

 

Le premier étage de la Collection Maramotti, avec des œuvres d’Anselm Kiefer et d’Ettore Colla. © Dario Lasagni
Le premier étage de la Collection Maramotti, avec des œuvres d’Anselm Kiefer et d’Ettore Colla.
© Dario Lasagni

Une ville en mouvement
Alors que de nombreuses institutions culturelles internationales s’investissent depuis peu dans la production de performances, assurées par des compagnies de danse dans leurs murs, la collection Maramotti collabore depuis près de dix ans avec le festival Aperto, organisé par la fondation locale I Teatri, en invitant des chorégraphes à développer une œuvre inédite, en rapport avec une ou plusieurs de ses pièces. La compagnie de Trisha Brown, en 2009, fut la première à inaugurer ce cycle de spectacles vivants, qui comprend plusieurs représentations au sein de la collection et dans le théâtre de la ville. Ce fut aussi l’une des premières incursions en Italie de la chorégraphe américaine postmoderne, disparue en mars dernier. Autre figure du radicalisme des années 1980, Saburo Teshigawara, avec sa compagnie Karas, a dévoilé cet automne au Teatro Ariosto la première européenne de Tristan et Iseult, une puissante réinterprétation spirituelle de l’opéra de Wagner, et Pointed Peak, une création originale… Une œuvre poétique et existentialiste saisissante, voyant un couple entamer une danse, entre la vie et la mort, sur le verre brisé d’une installation de Claudio Parmiggiani. Avec la collection Maramotti, Reggio d’Émilie dispose ainsi d’une offre culturelle originale. Dans cette cité vouée à l’éducation en matière d’agriculture et d’ingénierie et plutôt connue pour ses produits gastronomiques comme le fameux parmigiano reggiano , la municipalité finance et gère un réseau de près d’une douzaine de musées, construits par d’autres figures clés de la région. Situé dans un ancien couvent du XVIIe siècle, le palazzo San Francesco est un Muséum d’histoire naturelle, imaginé par le médecin et collectionneur Lazzaro Spallanzani (1729-1799), et qui présente aujourd’hui une extension flambant neuve, accueillant les collections modernes et contemporaines des Musées municipaux. Une autre collection, tout aussi étonnante, est celle du marchand d’art Luigi Parmeggiani (1860-1945) : un cabinet de curiosités, confié à la municipalité en 1925 et qui allie des spécimens d’objets d’art et de peintures issus des revivals néoclassiques, néogothiques et néo-Renaissance dont certains ont été exposés dans des institutions comme le Victoria & Albert Museum de Londres. Une alternative historique à «Invito a», un programme d’œuvres d’art in situ en ville, conçu par Marina Dacci lorsqu’elle fut en charge des affaires culturelles celle-ci, et dont Max Mara est le sponsor. Une sculpture de Robert Morris, installée dans les cloîtres de San Domenico, et un Wall Drawing de Sol LeWitt, ornant le plafond de la bibliothèque Panizzi, font désormais partie du surprenant patrimoine de ce petit chef-lieu d’Émilie-Romagne.

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