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La photothèque Doucet de l’INHA : une mine d’or pour la recherche

Publié le , par Léa Saint-Raymond
Cet article vous est offert par la rédaction de la Gazette

Les collections photographiques de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art livrent des pépites moins connues, mais précieuses pour remonter la piste des provenances, et comprendre le marché de l’art.

Vue de l’«Exposition de cent pastels du XVIIIe siècle», galerie Georges Petit, 1908.... La photothèque Doucet de l’INHA : une mine d’or pour la recherche
Vue de l’«Exposition de cent pastels du XVIIIe siècle», galerie Georges Petit, 1908. Photographie contrecollée sur carton, 46 36 cm. Paris, bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, Photothèque Dessin II, 247.

Certains moments redonnent le frisson de l’enfance. Si les cartons d’archives brillent moins qu’un cadeau de Noël, ils offrent à l’imagination un terrain de jeu extraordinaire, riche en mystères et en potentielles surprises : devant les collections photographiques conservées par la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), la petite fille de huit ans renaît aussitôt. Depuis leur remise en valeur à partir des années 2000, cette sensation est largement partagée par celles et ceux qui les consultent in situ ou en ligne, sur le site de la bibliothèque numérique. Pourtant, ces fonds n’ont pas fini de livrer leurs secrets, en particulier pour la recherche de provenance et l’étude du marché de l’art. Au commencement était un amoureux du beau n’ayant pas peur de rêver en grand, le couturier Jacques Doucet (1853-1929). Collectionneur et bibliophile, il fonde une bibliothèque d’art et d’archéologie et l’ouvre au public en 1909. Mais très vite, les imprimés lui paraissent insuffisants. Pour asseoir la discipline de l’histoire de l’art et «renseigner sur l’art de tous les temps et de tous les pays», il faut en effet des images, beaucoup d’images. Aidé par son collaborateur René Jean et par un archéologue d’Étampes, Louis-Eugène Lefèvre, Jacques Doucet se lance dans un projet démiurgique : rassembler des photographies documentant tous les domaines artistiques, de l’Antiquité à l’époque contemporaine. L’histoire «globale» des arts étant anachronique à cette époque, ceux dits «primitifs» sont exclus de l’entreprise.

Le rêve d’un homme

En 1909, c’est-à-dire en un temps record, la «photothèque» est inaugurée. Ses fonds proviennent d’acquisitions massives auprès de grands éditeurs photographiques comme Bulloz ou les Monuments historiques, complétées par des campagnes méthodiques de prises de vue dans les musées français puis à l’étranger. Dans un souci d’exhaustivité empreint de patriotisme, Doucet poursuit l’enrichissement des collections et charge Lefèvre de constituer le «répertoire archéologique français», un inventaire visuel du patrimoine bâti et du mobilier national. L’Inventaire général n’existant pas encore – il faudra attendre 1964 et l’impulsion d’André Malraux pour un recensement systématique, «de la cathédrale à la petite cuillère» –, Lefèvre envoie aux communes une circulaire pour susciter des images et des dons. En juillet 1910, quelque 3 000 photographies composent ce répertoire, joyau de la photothèque. Fort de tous ces succès, Jacques Doucet décide de passer à une phase de production quasi industrielle. Il équipe sa bibliothèque d’un atelier dédié, qui produit 6 379 négatifs avant la Grande Guerre. Lorsqu’il est impossible de faire venir les objets à Paris, le couturier en finance la prise de vue et subventionne divers organismes, comme l’École française d’Athènes ou l’École française d’Extrême-Orient.

Cette chasse aux images porte ses fruits. En 1918, la photothèque Doucet compte 150 
000 tirages et 16 545 négatifs. Après une phase d’euphorie, l’élan est coupé net. En décembre 1917, Doucet cède sa bibliothèque – donc sa photothèque – à l’université de Paris, laquelle décide de supprimer l’atelier photographique en 1921. Dans ces conditions restrictives, l’institution étant – déjà – en pénurie de personnel et d’argent, la collection survit alors sous oxygène : celui des dons et des bonnes volontés. En 1930, le marchand Georges Wildenstein offre des armoires, des casiers et des fiches à la photothèque. La même année, Clotilde Brière-Misme, assistée d’étudiantes bénévoles, modifie le classement des images selon des séries thématiques (peintures, sculptures, dessins, manuscrits à peintures, archéologie, architecture et arts décoratifs), elles-mêmes subdivisées par noms d’artiste et par pays – à l’exception des arts décoratifs, classés par typologie. Mais le marasme s’accentue un peu plus après la Seconde Guerre mondiale : au-delà du manque de crédits, les épreuves en noir et blanc apparaissent surannées et les 2 750 boîtes de la photothèque prennent la poussière. Le coup de grâce sera donné au moment du déménagement de la bibliothèque d’art et d’archéologie, en 1992, de la rue Michelet vers le quadrilatère Richelieu. La photothèque est alors reléguée dans un sous-sol inaccessible. Les collections photographiques renaissent de leurs cendres en 1999 avec l’affectation d’un conservateur, Jérôme Delatour, et le rattachement de la bibliothèque à l’Institut national d’histoire de l’art en 2003. À la mission d’inventaire s’ajoute un chantier ambitieux de numérisation des fonds – une partie est désormais en ligne, sur le site de la bibliothèque numérique de l’INHA. Mais rien ne remplace la consultation physique de ces exceptionnelles collections patrimoniales, rendue possible dans l’espace Jacques-Doucet, situé au 58, rue de Richelieu.

 

Pablo Picasso (1881-1973), Le Poète et Tête d’homme. Clichés Kahnweiler nos 100 et 103, photographies contrecollées sur carton, 46 x 36 cm
Pablo Picasso (1881-1973), Le Poète et Tête d’homme. Clichés Kahnweiler nos 100 et 103, photographies contrecollées sur carton, 46 36 cm (carton), Paris, bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, Photothèque Peinture II, 303.

Les dons de grands marchands d’art
«La photothèque est un précieux outil de traçabilité», explique Christelle Chefneux, responsable au service du Patrimoine des collections photographiques de la bibliothèque. Ce sésame pour la recherche de provenance concerne principalement la peinture, la partie la plus importante numériquement et la plus légendée. En manipulant les photographies contrecollées sur carton, il n’est pas rare en effet de trouver des inscriptions manuscrites, indiquant succinctement dans la marge le pedigree de l’œuvre. Dans la plupart des cas, cette mention se résume au nom du collectionneur ou de la collectionneuse de l’objet au moment où le cliché a été pris. «Ce travail de légendage n’a pas été systématique à l’époque de Jacques Doucet, car il y a eu un énorme afflux en très peu de temps, et le traitement ne suivait pas toujours», poursuit Christelle Chefneux. Pour d’autres segments que la peinture, le marché de l’art se lit en négatif, au gré des dons et des campagnes photographiques. En 1913, par exemple, une partie de la collection du docteur Édouard Mène a été soigneusement photographiée, permettant d'en documenter les émaux cloisonnés chinois, les tsubas et les précieuses armures japonaises.

Parmi les autres trésors de la photothèque collectés par Doucet et son équipe se trouvent les clichés des objets d’art – tous légendés du nom de leur propriétaire – prêtés par des particuliers aux expositions des arts de l’Asie de 1911 à 1914 du musée Cernuschi. Il en va de même pour quelques présentations organisées à la galerie Georges Petit, dont l’«Exposition de cent pastels du XVIII
e siècle», en 1908. Les enrichissements postérieurs aux années 1910 ne sont pas moins enthousiasmants pour l’étude du marché de l’art et la recherche de provenance. En 1931, la photothèque a reçu un magnifique album constitué par Martial Caillebotte, documentant les peintures de son frère Gustave avec, en marge, le nom de leur propriétaire. «Nous disposons également de fonds ou d'ensembles photographiques que certains marchands ont donnés à la photothèque et qui documentent leurs galeries» : parmi les noms cités par Christelle Chefneux, ceux de Daniel-Henry Kahnweiler et de la galerie Rosenberg fils – donateurs de certains tirages – font battre le cœur un peu plus vite. Décidément, la bibliothèque de l’INHA n’a pas fini de raviver l’esprit de Noël, ni ses collections photographiques d’allumer des étincelles de curiosité.
 

Gustave Caillebotte (1848-1894), La Seine à Argenteuil. Photographie contrecollée sur carton, album «Photographies de tableaux de Gustave
Gustave Caillebotte (1848-1894), La Seine à Argenteuil. Photographie contrecollée sur carton, album «Photographies de tableaux de Gustave Caillebotte», 25,5 26 cm, Paris, bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, 4 Phot 8 (2).
à savoir
Bibliothèque de l’INHA,
58, rue de Richelieu, Paris IIe,
tél. : 01 47 03 76 29
bibliotheque.inha.fr