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L’art de Dom Robert en quatre tapisseries

Publié le , par Marielle Brie
Vente le 09 juin 2023 - 14:00 (CEST) - Salle 1-7 - Hôtel Drouot - 75009

Un ensemble aux couleurs remarquablement fraîches ouvre les portes du monde merveilleux du peintre cartonnier, alors à l’apogée de son art.

Guy de Chaunac-Lanzac, dit Dom Robert (1907-1997) cartonnier, et atelier Suzanne... L’art de Dom Robert en quatre tapisseries
Guy de Chaunac-Lanzac, dit Dom Robert (1907-1997) cartonnier, et atelier Suzanne Goubely à Aubusson, Plein Champ, 1970, tapisserie de basse lice en laine, tissage justifiée épreuve d’artiste réalisée au début des années 1970, 260 440 cm (détail). 
Estimation : 60 000/80 000 

Cela n’a rien d’un hasard : comment un biologiste pouvait-il résister au charme du monde captivant tissé par le moine Dom Robert ? C’est après le retour d’Angleterre de ce dernier – où il s’était retiré, afin d’échapper à l’effervescence de son succès parisien – que notre scientifique du vivant a acquis ces quatre tapisseries de basse lice ; elles constituaient pour lui un premier pas dans le monde des amateurs d’art contemporain. Cette expression a alors le vent en poupe et attire à elle la fine fleur des artistes modernes, exposés à La Demeure, galerie parisienne tenue par Denise Majorel : Lurçat, Coutaud, Grommaire, Saint-Saëns, Picart Le Doux et Dom Robert. Et à l’époque de cet achat, dans les années 1970, le bénédictin atteint justement l’acmé de son art. Ses carnets de dessin se couvrent d’ombelles délicates, esquissant des cartons magnifiant l’humilité fragile de la nature. Ses tapisseries sont alors empreintes d’une grande douceur et expriment, avec toute la délicatesse dont la lice est capable, un spirituel amour universel calme et gai, discret et pourtant plein de fantaisie. Les quatre œuvres sont d’abord accrochées dans l’appartement parisien de leur propriétaire, puis déménagent avec toute sa famille dans une maison en Sologne, nichée en pleine nature, et resteront toujours bien à l’abri de la lumière. Proposé aujourd’hui aux enchères, cet ensemble offre non seulement une clef de lecture plus riche de la personnalité de l’artiste que ne le ferait une seule tapisserie, mais il est aussi le portrait en ombre chinoise d’un amateur avisé, dont le caractère humble et sensible trouve en Dom Robert l’adéquation d’un pair.
 

Guy de Chaunac-Lanzac, dit Dom Robert (1907-1997) cartonnier, et Tabard frères et sœurs à Aubusson, Le Chat noir, 1969, tapisserie de bass
Guy de Chaunac-Lanzac, dit Dom Robert (1907-1997) cartonnier, et Tabard frères et sœurs à Aubusson, Le Chat noir, 1969, tapisserie de basse lice, tissage numéroté 7 réalisé en 1972, 250 130 cm. Estimation : 20 000/35 000 €

Un artiste majeur
Car ces quatre grandes tapisseries permettent de plonger dans un univers extraordinaire, un monde merveilleux peuplé d’animaux insouciants et de plantes multicolores, tissés de laines aux couleurs franches et vives. Dom Robert ne considérait pas autrement la nature qui l’entourait, pour lui spectacle permanent de la création divine, de beauté et d’harmonie dont l’homme se détournait trop souvent. Formé à l’école des Arts décoratifs de Paris, Guy de Chaunac-Lanzac devient Dom Robert en 1937, en même temps qu’il se fait moine et renoue avec la pratique artistique. Observateur patient et respectueux de ses modèles champêtres, il remplit des carnets de croquis, choisissant rapidement d’écarter la figure humaine. En 1941, Jean Lurçat, de passage à l’abbaye d’En Calcat, découvre ses aquarelles et invite le moine à se faire peintre cartonnier pour les métiers d’Aubusson. C’est l’atelier Tabard qui retranscrit la même année son premier carton, L’Été. Par sa maîtrise délicate des tissages et des nuances de la laine teinte, l’atelier donne aux jardins d’Éden du moine une présence enveloppante sur de très grands formats. Ce sont des battages qui expriment le velouté, des hachures le piquant et des aplats, qui ne le sont jamais vraiment, qui créent des perspectives savantes. On en oublie l’absence moderne de profondeur des plans. C’est aussi une manière élégante de ne privilégier aucun sujet. Comme le plus intègre des scientifiques, Dom Robert n’applique pas de hiérarchie au vivant.

Guy de Chaunac-Lanzac, dit Dom Robert (1907-1997) cartonnier, et Tabard frères et sœurs à Aubusson, Chèvrefeuilles, 1973, tapisserie de ba
Guy de Chaunac-Lanzac, dit Dom Robert (1907-1997) cartonnier, et Tabard frères et sœurs à Aubusson, Chèvrefeuilles, 1973, tapisserie de basse lice en laine, tissage numéroté 2/6 réalisé en 1974, 250 367 cm. Estimation : 50 000/70 000 

Hymne à la nature
À travers le regard de cet artiste, c’est l’étonnante légèreté du nôtre qui saute aux yeux ; chaque tapisserie recèle des myriades de mouvements et de couleurs, de détails et de subtilités, que nous voyons pourtant quotidiennement sans vraiment les regarder. À la croisée de la contemplation spirituelle et de l’observation botanique, ces tapisseries sont le témoignage heureux d’une foi sereine en la perfection de la création divine. En écartant toute figure humaine, Dom Robert s’extrait du discours religieux ou du prosélytisme, en faveur d’une humilité sincère, curieuse des mystères d’une nature foisonnante et parfaitement ordonnée. Comment expliquer autrement que les chèvres soient suffisamment acrobatiques pour dévorer les feuilles supposées inaccessibles ? Les unes ne vont pas sans les autres, et la tapisserie Chèvrefeuilles (50 000/70 000 €) s’en amuse avec poésie. Sur un fond brun marbré, comme la terre mouillée après la pluie, huit chèvres d’espèces différentes cabriolent à travers les feuillages rougeoyants. Cette tapisserie réalisée en 1974, mais dont le carton date de l’année précédente, évoque celle de L’Automne (1943), conservée au musée Dom Robert de Sorèze, et précède celle des Chèvres du Larzac (1993).

Tout au long de sa vie, Dom Robert s’applique à restituer ce qu’il décrit comme « la nature toute pure, toute simple et toute proche, celle qui nous entoure et se rencontre sous nos pas, à laquelle on oublie le plus souvent de prêter la moindre attention, [qui] peut être un champ de recherche et de trouvailles aussi inépuisable que le champ des étoiles ». Sous son égide, le spectateur découvre dans ce trait presque naïf une précision botanique déconcertante qui fait identifier sans difficulté les feuilles de chêne, de noisetier, de platane, de hêtre et de tilleul.
Chèvrefeuilles devient un jeu à plusieurs niveaux de compréhension. Il en est de même dans le foisonnant Plein Champ (60 000/80 000 €), pièce majeure du corpus de l’artiste, initialement commandée pour le lycée agricole d’Angers en 1969. Difficile d’imaginer un sujet plus approprié à l’établissement scolaire que cette tapisserie évoquant celle des Mille Fleurs sauvages imaginée en 1961 et hommage délicat aux verdures aubussonnaises médiévales. Le lycéen studieux peut y exercer son œil et y reconnaître les espèces de la faune et de la flore locales qui sont déjà son quotidien et seront bientôt son avenir. Sans échelle et sans perspective, des graminées aux couleurs pastel prospèrent aux côtés de coquelicots rouge vif et de pissenlits bien jaunes qui forment une prairie fleurie abritant des volailles pleines de panache, crêtes dressées et plumages chamarrés. Parmi elles, une chèvre débonnaire et un agneau, évocation pascale renvoyant sans doute à la sereine plénitude de ce Plein Champ, aussi qu’au plain-chant grégorien, liturgique et a cappella, hommage de la voix naturelle à son créateur.

Sans mièvrerie ni dévoterie, Dom Robert retranscrit son amour de l’autre, de l’altérité qui vit dans toutes les créatures. Si l’on devine des cœurs dans les coquelicots, ce n’est peut-être pas un hasard, et sûrement ces cœurs rendent inoffensif
Le Chat noir (20 000/35 000 €) au pelage brillant et à la silhouette minimaliste sur cette tapisserie qui se lit comme un vitrail. Si une petite caille blanche s’éloigne du chemin du félin, ce dernier indiffère une basse-cour colorée et, surtout, un dindon qu’on devine heureux du festin qu’il vient de dénicher ! Là encore, s’offre à nous un monde davantage représenté à l’aune de la faune et de la flore qu’à celle de l’homme. Les herbes et les fleurs sont hautes, sans échelle ni proportion, mais sont à hauteur de ces créatures qui l’habitent. Et lorsque la nature s’éveille, c’est une joie sans mots qui anime Avril douce espérance (40 000/60 000 €). Sur un fond brun vert couvant l’explosion végétale à venir, des moutons aux épaisses toisons hivernales savourent les premiers rayons printaniers, chaperonnés par un chien de berger frétillant. Au centre, un petit cheval heureux galope gaiement, tandis que des chèvres goûtent précautionneusement aux premiers chardons. Dom Robert n’aurait pu mieux trouver que la matérialité moelleuse de la laine pour exprimer toutes les subtilités de cette nature qui le fascine. Médium mêlant la chaleur animale et la palette végétale, la basse lice révèle en ce moine singulier un artiste majeur de la tapisserie du XX
e siècle.

à voir
Musée Dom Robert et de la tapisserie du XX
e siècle.
Cité de Sorèze, 1, rue Saint-Martin, 81 540 Sorèze
musees-occitanie.fr
vendredi 09 juin 2023 - 14:00 (CEST) - Live
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