Miro, Léger, Utrillo, Lurçat, Hodé… Autant de noms réunis par un couple qui a marqué la création de son temps : celui que formaient Henri Laugier et Marie Cuttoli.
Si le nom de Bélime ne vous dit peut-être rien, il en va certainement différemment de celui de Laugier. Mais pour comprendre le lien entre ces deux familles, un peu de généalogie s’impose. Mme Bélime (née Bernadette Fortin), dont la collection est ici dispersée, était la belle-fille de Jean Bélime (1891-1976) – auteur, traducteur littéraire et musicologue, fondateur en 1920 avec Henry Prunières de la Revue musicale, dont il fut rédacteur en chef jusqu’en 1937 – et de son épouse Lucile, née Laugier (1892-1991) – professeure honoraire à l’école hôtelière de Paris et autrice de quelques ouvrages spécialisés tels Le Livret de puériculture (1924) ou Les Clés de la cuisine française (1951). Lucile était elle-même sœur d’Henri Laugier (1888-1973). Physiologiste de son état, bourreau de travail, fervent défenseur de l’école unique, il contribua à la fondation de nombreuses institutions d’ampleur nationale et internationale. Cet amoureux des arts et de la littérature constitua, sur près d’un demi-siècle, une très importante collection d’art avec sa compagne Marie Cuttoli (1879-1973). C’est une partie de cette fameuse collection qui sera bientôt soumise au feu des enchères, dont une toile de 1922, inédite, de Maurice Utrillo, La Gendarmerie à Bessines, prisée 20 000/30 000 € € (voir page 15). Et la boucle est bouclée. 1923 est une année charnière pour Henri Laugier, de celle qui bouscule toute une vie. C’est effectivement en octobre de cette année qu’il rencontre Marie Cuttoli, de neuf ans son aînée, et qui partagera sa vie pendant cinquante ans. Entre eux, l’entente et la complicité sont immédiates. Comment ne pas parler ici de celle qui ressuscita l’art de la tapisserie, le faisant entrer dans la modernité en même temps qu’elle se met à collectionner des artistes ayant pour noms Braque ou Picasso ? Fille de limonadier, Marie Bordes partage sa vie entre la France et l’Algérie, où elle se rend pour la première fois en 1920, après son mariage avec Paul Cuttoli, maire de Philippeville (actuelle Skikda). Là, découvrant le travail des jeunes brodeuses de la médina, elle a l’idée de leur faire réaliser des pièces d’après des dessins d’artistes qu’elle choisit personnellement. C’est ainsi que naissent en Algérie les première broderies réalisées sur des croquis de Natalia Gontcharova. Voulant faire connaître ses créations à Paris, Marie Cuttoli ouvre en juillet 1922, dans le 8e arrondissement, une boutique de mode et de décoration qu’elle baptise Myrbor, acronyme de Myriam Bordes. Gontcharova en dessine le logo et les encarts publicitaires. Si les débuts sont difficiles, le succès finit cependant par être au rendez-vous. La boutique connaîtra trois agrandissements successifs jusqu’en 1929, année où Marie décide de faire appel aux tapissiers d’Aubusson. Elle passe commande, auprès d’artistes tels que Rouault, Lurçat, Coutaud, Dufy, Picasso où Laurens, de cartons qu’elle transforme en chefs-d’œuvre textiles. Elle compte dans sa clientèle Helena Rubinstein, une amie proche, ou encore Jacques Doucet.
Fernand Léger sort du cadre
Ce Portrait de femme peint par Fernand Léger en 1929, précède d’un an la Composition proposée dans la même vente (100 000/150 000 €), et le retour de l’artiste à la grande tradition picturale et à la figure. C’est grâce à ses multiples collaborations que Léger s’est ouvert à d’autres champs de création. Sa fascination pour le cinéma l’amènera à travailler avec les réalisateurs Abel Gance et Marcel L’Herbier, et à réaliser en 1924 Le Ballet mécanique, considéré comme «le premier film sans scénario». Il retiendra de cette expérience le principe du gros plan dans ses peintures et celui du sujet unique. C’est le cas ici avec cette femme représentée en buste – il s’agit de Maria Lani, actrice polonaise, modèle pour de nombreux artistes – occupant la quasi-totalité de la toile et seulement isolée du fond uni par un épais trait jaune, semblable à un halo. Si la femme apparaît dans l’œuvre de Léger comme sujet unique de ses tableaux dès 1912-1913, c’est à la fin des années 1920 qu’il multiplie ce type de représentations avec le cycle des «objets dans l’espace» (1928-1932), où des personnages et des objets usuels flottent dans un espace indéterminé. Empreinte d’une dimension dramatique certaine – la position des mains sur le visage de la femme semblant souligner un mal-être intérieur – et se démarquant par l’intensité de son sujet, l’œuvre ne laisse pas indifférent. Elle fut prêtée au musée des Arts décoratifs de Paris dans le cadre de l’exposition Léger, de juin à octobre 1956. Inédite sur le marché, elle devrait sans peine dépasser son estimation.