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Julie Binet, secrétaire générale de Platform : les FRAC ont 40 ans !

Publié le , par Céline Piettre

Les fonds régionaux d’art contemporain échapperont-ils à la crise de la quarantaine ? Julie Binet, la secrétaire générale de Platform, association qui en coordonne le réseau, revient sur cette épopée culturelle unique afin d’en cerner les enjeux actuels.

PHOTO Pauline Wallerich Julie Binet, secrétaire générale de Platform : les FRAC ont 40 ans !
PHOTO Pauline Wallerich

En 1982, Jack Lang et Claude Mollard initient l’aventure des FRAC. À quoi ressemble alors le paysage institutionnel de l’art contemporain ?
Les lieux dédiés à l’art contemporain étaient assez limités : le Musée de la Ville de Paris, le Centre Pompidou et, en province, les musées de Grenoble, Marseille, Toulon, Saint-Étienne et des Sables-d’Olonne. Les FRAC sont donc nés d’un souci volontariste de mettre à disposition de chaque collectivité territoriale un outil permettant d’entrer en contact avec l’art. Et ce, avec le moins d’intermédiaires possible. Claude Mollard était très attaché à cette idée de la rencontre directe avec l’œuvre. Jack Lang nous confiait, à l’occasion de la dernière assemblée générale de Platform, qu’il n’y croyait pas lui-même ! Or, quand Claude écrit à l’ensemble des conseils régionaux pour leur proposer de faire l’acquisition d’œuvres récentes et de les montrer au public, tous les élus, de gauche comme de droite, saisissent l’opportunité !

Les FRAC ont vite rencontré des résistances, Dominique Bozo essaie de les supprimer en 1987, quand il succède à Claude Mollard à la délégation aux arts plastiques. Que leur reproche-t-on alor ?
Les critiques venaient en partie du corps très structuré des conservateurs du patrimoine, qui considéraient que la mission de gestion des collections et de monstration des œuvres était leur domaine réservé. Ils ne pouvaient que difficilement imaginer une nouvelle institution ne reposant pas sur leur expertise. Il semblerait que, pour Dominique Bozo, l’argent dépensé pour les FRAC aurait gagné à être investi dans un nouveau musée en province. Or, Mollard et Lang avaient une vision beaucoup plus large. Ils voulaient un cadre plus souple pour initier quelque chose de nouveau. D’où le statut associatif et la création de «fonds», un système beaucoup moins contraignant que la collection. À l’époque, toute une génération d’artistes, de Buren à Villeglé, conteste l’institution muséale : ils investissent les rues, les panneaux d’affichages, souhaitant ramener l’art à son aspect le plus spontané. Consciemment ou non, je pense que les FRAC sont une réponse à ce mouvement. Tout le propos était de sortir les œuvres du musée !

Décentraliser et démocratiser l’art contemporain, telle est la vocation des FRAC. Quarante ans après, l’utopie s’est-elle concrétisée ?
Aujourd’hui, nous comptons toujours vingt-deux fonds régionaux, ce qui est tout de même une belle preuve de leur succès. Selon moi, l’aspect le plus pertinent des FRAC réside dans la composition même des comités d’acquisition. Ils reposent sur trois ou quatre experts, renouvelés tous les trois ans. Ceux-ci peuvent être des conservateurs, mais aussi des critiques d’art, des commissaires d’exposition, des enseignants-chercheurs, etc. Depuis la labellisation des FRAC en 2017, les comités doivent intégrer au moins un artiste. Ils comptent aussi des personnalités étrangères. Cela a permis d’éviter un écueil principal : celui de créer des fonds d’art régional, qui auraient entretenu un certain opportunisme local. Aujourd’hui, tous les artistes importants des quarante dernières années sont présents dans les FRAC. C’est un vrai marqueur de réussite car les collections sont représentatives de la création actuelle, avec 49 % d’artistes étrangers en moyenne. Chaque région a entre ses mains un précieux échantillon de l’art français et international !
 

Sors de ta réserve #3, vue de l’exposition «Rivage chromatique» au FRAC Ile-de-France Les Réserves, à Romainville, 2023.  PHOTO MARTIN ARG
Sors de ta réserve #3, vue de l’exposition «Rivage chromatique» au FRAC Ile-de-France Les Réserves, à Romainville, 2023. 
PHOTO MARTIN ARGYROGLO

Pourtant, certains pensent qu’ils ne sont pas suffisamment représentatifs de la diversité de la création. On y trouve peu de street art par exemple…
Encore une fois, la composition des comités d’acquisition permet de répondre en toute tranquillité à ces critiques. On compte sur l’impartialité, l’ouverture et la curiosité des experts, remplacés tous les trois ans pour assurer une diversité de choix et de points de vue.
Pouvez-vous nous citer les «belles prises» de ces dernières années ?
Je peux mentionner Mimosa Echard, lauréate du prix Marcel Duchamp 2022, achetée par plusieurs FRAC, dont le FRAC Corse en 2012. On pourrait encore citer de très nombreux exemples comme Julien Creuzet [qui représentera la France à la Biennale de Venise, ndlr] ou Katinka Bock…



La plupart des FRAC dits de «deuxième génération» ont des bâtiments dédiés à la présentation au public. Désormais, on peut aussi visiter les réserves du FRAC Ile-de-France, à Romainville. Peut-on parler de FRAC «troisième génération»?
L’avenir est peut-être en effet aux FRAC multisites, à l’image de celui d’Ile-de-France, dont l’action se répartit en plusieurs lieux : le Plateau à Paris, qui investit principalement dans la commande artistique ; le château de Rentilly où sont présentées des œuvres du fonds en dialogue avec d’autres collections ; et les réserves visitables, à Romainville, inaugurées en 2021. Elles incarnent cet ADN collaboratif des FRAC, puisque le public peut lui-même choisir les œuvres rendues visibles avec l’opération «Sors de ta réserve !». Cette polyvalence pourrait être une piste pour les FRAC de demain.
Qu’en est-il de la possibilité pour les FRAC de vendre les œuvres de leurs fonds ?
Il demeurait jusqu’ici un flou juridique. La majorité des FRAC étant de statut associatif, les «fonds» n’étaient pas protégés par la clause d’inaliénabilité. Le ministère a été alerté sur ce point, au moment des campagnes électorales notamment, où la cession des œuvres avait été envisagée dans le programme de certains partis politiques. C’est pour cela, entre autres, qu’a été créé le «label FRAC 2017», qui encadre le statut des collections : les œuvres de l’ensemble des FRAC labellisés doivent être destinées à être montrées au public, et ne peuvent donc être vendues qu’à des musées. Et même dans ce cas, il faudrait passer par une procédure de déclassement.

 

Les réserves du FRAC IDF, à Romainville. PHOTO MARTIN ARGYROGLO 
Les réserves du FRAC IDF, à Romainville.
PHOTO MARTIN ARGYROGLO 

Quel est le principal défi à l’heure actuelle ?
Les FRAC sont très loin d’avoir les moyens de leur ambition. C’est la question que l’on veut poser très clairement pour ces 40 ans. La mission de démocratisation culturelle n’a jamais été mise de côté. C’est un travail énorme qui demande beaucoup d’énergie. Il va donc falloir nous dire quelle est notre priorité : le soutien aux artistes, la diffusion sur le territoire ? Et nous donner ensuite les moyens de mener à bien ces objectifs. D’autre part, à chaque nouveau mandat, on réinvente la politique culturelle, alors que les institutions existantes ne sont même pas dotées à la hauteur de leurs besoins. Cela ne sert à rien de lancer «la culture près de chez vous» [initiée par Françoise Nyssen, ndlr] alors que des structures compétentes font le boulot depuis trente ans, et ont développé réseau et expertise pour être les plus à même d’impulser des dynamiques réellement efficientes !
Les critiques sur l’institutionnalisation des FRAC sont-elles légitimes ?
Nous avons surtout besoin de communiquer sur nos actions, or nous n’avons jamais eu le budget pour le faire. Sur France Culture, certains invités reprochaient aux FRAC d’être devenus des musées, dotés de beaux bâtiments, et d’avoir délaissé leur mission première auprès des publics. C’est complètement faux ! Nous avons répondu en créant une carte de France qui recense tous les projets d’une année. On peut la retrouver sur notre nouveau site : www.lesfrac.com. Les actions y sont mises à jour en temps réel. À titre d’exemple : en 2019, 550 expositions ont été initiées sur l’ensemble du territoire, sans compter celles tenues dans nos murs !
Qu’avez-vous prévu pour fêter cet anniversaire, reporté à l'année présente ?
Nous saisissons l’opportunité pour poser la question de l’avenir des FRAC par l’intermédiaire d’un séminaire au Palais de Tokyo. Nous avons le projet d’un guide pratique destiné au public pour montrer à quel point la création est aux prises avec le quotidien de tout un chacun. Nous rencontrons encore beaucoup de réticences, du côté des élus et de certains conseils d’administration. Défendre nos missions et l’importance de l’art contemporain est une lutte constante.

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