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Jean-René Gaborit, au cœur du Grand Louvre

Publié le , par Vincent Noce

Le 4 mars 1989, François Mitterrand inaugurait la pyramide du Louvre. Trente ans plus tard, Jean-René Gaborit, alors conservateur général, responsable du département des sculptures, se souvient du projet lancé par le président dès son élection, en 1981.

Jean-René Gaborit Jean-René Gaborit, au cœur du Grand Louvre
Jean-René Gaborit


Jean-René Gaborit, archiviste paléographe, faisait partie de l’équipe des chefs de département que Pierre Quoniam, ancien directeur du musée du Louvre (1972-1978), avait réunie pour préparer le redéploiement des collections. Fort de son expérience à Orsay, Michel Laclotte, alors à la tête du département des peintures, s’était rapidement imposé comme son principal animateur (1987-1995). À l’occasion du 30e anniversaire de l’ouverture de cette architecture de verre, le spécialiste de la statuaire italienne évoque ce chantier «colossal» qui a transfiguré le musée hérité de la Révolution française.
 

La pyramide du Louvre.
La pyramide du Louvre. © Musée du Louvre/Olivier Ouadah


Comment I.M. Pei a-t-il été choisi ?
Tout s’est fait selon la volonté de François Mitterrand. Ce fut son choix, et un choix très personnel. L’architecte était venu visiter le Louvre trois fois, mais dans le plus grand secret. Le président suivait régulièrement les avancées des travaux et s’est rendu plusieurs fois sur le chantier.
Ce choix ne faisait pas l’unanimité, loin de là…
Certains auraient voulu un concours interne réservé, pourquoi pas, aux architectes en chef des monuments historiques. À la rigueur, quelques-uns auraient admis la création d’un espace en sous-sol, mais sans que rien ne dépasse le niveau du dallage de la cour Napoléon. À l’époque, Jack Lang était très ambigu envers Pei. Il se serait bien vu lancer un concours international qu’il aurait pu arbitrer. Mais enfin, c’est Mitterrand qui a décidé. À partir de là, c’était le feu vert absolu.
La controverse a été passionnelle…
Trois auteurs ont publié à titre anonyme un pamphlet, sous le titre Paris mystifié : la grande illusion du Grand Louvre. On connaît leurs noms, ils sont tous disparus : Antoine Schnapper, Sébastien Loste et Bruno Foucart. Les chefs de département n’étaient pas opposés au projet, mais on sentait une hostilité latente émanant de certains de leurs collaborateurs. Il y avait aussi des raisons politiques : tout ce qui pouvait venir de Mitterrand, un socialiste, était mauvais, c’était une question de principe. En réalité, Pei était parfaitement légitime.
Le23 janvier 1984, la commission supérieure des monuments historiques s’est réunie pour se prononcer sur le projet architectural. Cette séance fut extrêmement pénible…
J’ai rarement vu une telle violence. Pei a été traité de «petit Chinois»… Il aurait souhaité exposer son projet aux rapporteurs de la commission avant la rencontre, mais quelqu’un s’était arrangé pour que le rendez-vous n’ait pas lieu. Tous ont émis un avis négatif. La tension était extrême. Les gens parlaient ou riaient durant sa présentation. Quand la lumière s’est éteinte pour la projection d’images, les plaisanteries ont fusé. C’était affreux. Le président de la commission a fait ce qu’il fallait pour que cela passe : il a fait voter le projet du Grand Louvre par une très faible majorité, avec des réserves expresses pour la pyramide. Beaucoup pensaient qu’elle ne se ferait jamais.
Quelle était la grande idée du projet ? Ménager une entrée unique ?
En fait, elle avait été émise plusieurs années auparavant au ministère de la Culture par un architecte, Patrick O’Byrne. Il n’y a pas d’entrée historique à ce palais, depuis Henri II en tout cas. Avant les travaux, pour accéder à un Louvre étiré en longueur, existaient trois entrées et même quatre, mais l’une d’elles, porte Trémoille, peu empruntée, avait été abandonnée. Certaines n’avaient pas de vestiaire. À la porte Denon, qui donnait accès à la Joconde, la file d’attente était interminable. Vous connaissez l’expression : quand on voit le Louvre, on en voit la queue… À l’intérieur, il était également extrêmement compliqué pour le visiteur d’aller d’un point à un autre. Trente ans plus tard, je trouve que la pyramide fonctionne assez bien. L’irrigation du public est sans comparaison, même si la Joconde reste un point noir. La pyramide n’était pas un achèvement mais un point de départ. Ce chantier colossal, qui a marqué notre génération, s’est déroulé en trois grandes étapes. Quand le ministère des Finances a fini par libérer l’aile Richelieu, nous avons pu faire redémarrer le projet, qui avait connu des mois au ralenti. En 1993, année du bicentenaire de la fondation du Muséum central des arts, le Louvre révolutionnaire, ce fut l’ouverture des 40 000 mètres carrés de l’aile Richelieu, dans laquelle, peut-être faut-il le rappeler, une section était dévolue aux arts de l’Islam. Les travaux ont duré jusqu’à la présentation du département égyptien. Ce n’est qu’alors que le projet, lancé dix-sept ans plus tôt, s’est achevé. Il intégrait le jardin des Tuileries, la galerie du Carrousel et le parking, ainsi que des services comme les vestiaires, des espaces de restauration, une galerie d’exposition…

 

La cour Marly,dans l’aile Richelieu du Grand Louvre.
La cour Marly,dans l’aile Richelieu du Grand Louvre.


Laquelle n’est guère commode…
Avec 1 100 mètres carrés, celle-ci est restée limitée. Michel Laclotte ne tenait pas à des expositions internationales au Louvre. Il préférait les expositions-dossiers ou ne comprenant qu’un nombre d’œuvres assez réduit. À ses yeux, les grands événements devaient prendre place aux galeries nationales du Grand Palais. Et puis, il avait beaucoup de respect pour Irène Bizot, qui avait la haute main sur ces espaces et la Réunion des musées nationaux. Il fallait aussi considérer cela.
Comment se sont déroulées les procédures de réaménagement ?
Fin janvier 1984 s’est tenu un séminaire de trois jours à Arcachon, où fut discutée la répartition des collections en fonction des nouvelles circulations, organisées en trois grandes directions. À partir du moment où était établie autour de l’entrée la position des grands départements, l’Égypte, la sculpture gréco-romaine et la peinture française, le processus était lancé. Il était surtout question d’escaliers, d’accès et de circulation. La peinture française, par exemple, a changé de niveau. Ce sont les grands ensembles qui ont déterminé les grands espaces. Les chevaux de Marly ont été placés dans une cour de l’aile Richelieu ; la tapisserie avait besoin de hauteur ; la sculpture égyptienne, extrêmement lourde, devait logiquement se placer au rez-de-chaussée. Chaque mois, nous rencontrions les architectes : nous apportions nos listes d’œuvres et eux venaient avec leurs plans, et les échanges sont restés nourris. Il y a bien eu quelques heurts entre architectes et conservateurs, et les départements ont parfois joué au jeu de taquin, mais très peu.
Des changements importants ont-ils été apportés ?
On a bien émis l’idée d’une salle des chefs-d’œuvre, dans un esprit napoléonien si vous voulez, réunissant la Joconde avec la Vénus de Milo, les Esclaves de Michel-Ange, le Scribe accroupi, que sais-je… Cela ne tenait absolument pas : cela aurait créé un point d’une densité absolue. Il y a également eu des tentatives pour placer une grande sculpture en hauteur, sous la pyramide de verre. On a effectué des essais avec des modèles : la Victoire de Samothrace, la Diane d’Anet, le Coq de Brancusi, le Penseur de Rodin… vu d’en bas, cela n’allait vraiment pas. L’un des changements néanmoins a été d’alléger la vis de l’escalier.
Sept milliards de francs : le coût du Grand Louvre n’était-il pas exorbitant ?
Les coûts étaient colossaux, mais, pour Mitterrand, c’est la culture qui passait avant, pas l’argent. Le budget a été tenu, ce qui n’est pas si courant en France. Cela dit, nous avons bien compris que c’était la dernière fois que l’État assumait un tel budget. Le mécénat a pris de plus en plus d’importance, y compris pour les réaménagements ou extensions.
Le Louvre en est-il sorti métamorphosé ?
Au fond, il était formé de six musées, et les réunir en un seul ne s’était jamais vu. Le poste de directeur n’était apparu qu’après 1968, et il avait été confié à un archéologue. Cette charge revenait à des administrateurs civils, peu connus, qui relayaient la direction des musées nationaux. C’est elle qui était toute-puissante. Quand on voit le service des musées de France aujourd’hui, c’est le jour et la nuit… Michel Laclotte a été le premier conservateur nommé directeur. Mais personne à cette époque ne se considérait au-dessus du lot : c’était un primus inter pares, ayant surtout un rôle de coordinateur. Il était nommé pour une durée limitée, ce qui n’était pas le cas des chefs de département. François Mitterrand avait en fait des réserves quant à l’idée d’un établissement public, qui n’a vu le jour qu’en 1993. Et encore, le musée ne maîtrisait pas son budget ni son personnel. Progressivement, les chefs de département ont été dépouillés de beaucoup de responsabilités. On leur a laissé tous les ennuis ! Et il était évident que nous cédions aux pressions du tourisme, qui était de toute manière incontournable. Auparavant, nous avions le sentiment de vivre en famille. Alors oui, il y a une part de nostalgie.

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