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Florence Gétreau, tout pour la musique

Publié le , par Valentin Grivet

Conservatrice, enseignante, directrice de recherche, commissaire d’exposition… L’auteure du livre Voir la musique, paru chez Citadelles & Mazenod, conjugue à l’envi ses deux passions : la musicologie et l’histoire de l’art. 

Florence Gétreau Florence Gétreau, tout pour la musique
Florence Gétreau
© didier Herman


Nombre des travaux menés au cours de votre carrière concernent l’étude des liens entre la peinture et la musique. Comment est née l’envie de vous intéresser à ces deux domaines ?
D’une incapacité à me décider. Après des études musicales d’orgue et de piano, j’ai préparé une licence en lettres et une autre en histoire de l’art. Je n’envisageais pas une carrière de musicienne, et ne souhaitais pas me cantonner à un domaine. Arrivée d’Aix-en-Provence à Paris pour préparer le concours des musées nationaux, j’ai débuté aux côtés de Jacques Thuillier, qui m’a confié le catalogue raisonné des collections du musée Jacquemart-André. À cette époque, j’ai suivi à la Sorbonne le cours de muséologie générale contemporaine de Georges Henri Rivière, qui m’a marquée à vie. Lors d’une séance pratique au Musée instrumental du Conservatoire de Paris, j’ai eu une impression foudroyante en écoutant les Barricades mystérieuses de Couperin, jouées sur un clavecin du XVIIIe siècle de Jean-Claude Goujon. Ma rencontre avec Geneviève Thibault de Chambure, qui était alors conservatrice de l’institution, a également été décisive. Après avoir été stagiaire puis assistante à mi-temps, j’ai donné vingt ans de ma vie au Musée instrumental du Conservatoire. Elle y avait créé une équipe de recherche, soutenue par le CNRS. Je découvrais ce domaine du savoir qu’était l’iconographie et celui, plus technique, de l’organologie, la science des instruments. Jacques Thuillier, Georges Henri Rivière et Geneviève Thibault de Chambure ont en quelque sorte décidé de mon parcours.
Vous avez ensuite partagé votre temps entre vos responsabilités au sein des musées, en tant que conservatrice, et vos activités dans le champ de la recherche…
J’ai suivi de près toutes les étapes de création du musée de la Musique à La Villette. J’en ai défini les missions et le parcours d’exposition, pendant plus de quinze ans, avec plusieurs équipes successives. Trois ans avant son ouverture, j’ai dû quitter l’institution. Cela a été très dur. Mais la vie est curieuse… La direction des Musées de France m’a offert l’opportunité d’aller au musée des Arts et Traditions populaires, qu’avait fondé Georges Henri Rivière, pour m’occuper du département musique, en emmenant avec moi l’équipe de recherche du CNRS créée par Geneviève Thibault de Chambure, et dont Jacques Thuillier avait été responsable ! J’ai quitté les «ATP» deux ans avant le départ des collections pour le Mucem. Il me semblait difficile qu’un même musée puisse traiter à la fois de l’Europe, de la Méditerranée et des cultures populaires des territoires français. J’ai passé le concours de directrice de recherche au CNRS, puis dirigé pendant dix ans l’Institut de recherche sur le patrimoine musical en France… Ce qui ne m’a pas empêchée de développer la revue Musique, images, instruments, que j’avais fondée en 1995, et d’organiser des expositions.

 

Attribué à Hans Jordaens III (vers 1595-1643), Le Jugement de Midas, 1617, décor du grand couvercle d’un clavecin de Ioannes Ruckers (détail), huile s
Attribué à Hans Jordaens III (vers 1595-1643), Le Jugement de Midas, 1617, décor du grand couvercle d’un clavecin de Ioannes Ruckers (détail), huile sur bois, 91 x 174,5 cm, Paris, musée de la Musique. © Dominique Genet


Peut-on considérer Voir la musique, le beau livre que vous avez publié en 2017, comme la synthèse de toutes ces années de travail ?
Il se penche sur la manière dont les peintres ont représenté la musique, de la Renaissance au XXe siècle. Il est en effet une sorte d’aboutissement, la somme de mes recherches, qui associent les méthodes et les savoirs de l’histoire de l’art et de la musicologie. J’ai enseigné l’iconologie et l’organologie au Conservatoire de Paris et à l’université de Tours, et le livre est aussi la quintessence de ce que j’ai voulu transmettre à travers ces cours. Pendant les cinq années nécessaires à sa préparation, j’ai beaucoup appris. J’ai lu énormément d’études réalisées par des collègues, tout ce qui avait pu être écrit sur chaque œuvre que j’avais retenue. C’était passionnant de confronter les visions, les savoirs. Il fallait prendre parti, favoriser certaines interprétations.
Comment avez vous construit l’ouvrage ?
J’ai pensé à Georges Henri Rivière, qui avait une vision universelle du phénomène musical. La musique est partout, à toutes les époques, et dans tous les milieux. Je ne voulais pas d’un continuum chronologique, mais d’une approche thématique, en m’intéressant à toutes les écoles de peinture, dans le monde entier. La représentation de la musique, c’est d’abord sa matérialité : celle de l’instrument dépeint ; de la partition, qui donne un supplément de sens à l’œuvre, qui éclaire le tableau. Ce n’est pas un hasard si le peintre l’a rendue lisible. Il faut s’interroger, tenter de l’identifier. Sa matérialité, c’est aussi le musicien, son corps, ses gestes, et les lieux où on la joue : le concert, l’orchestre, l’Opéra, mais aussi bien d’autres endroits comme les tavernes, les jardins ou les rues. En iconographie musicale, une autre école de pensée s’intéresse uniquement à la dimension symbolique des œuvres. Voir la musique vise à réunir ces deux approches radicalement différentes, mais complémentaires.

 

Carlo Saraceni (1579-1620), Sainte Cécile et l’ange, vers 1610, huile sur toile, 172 x 139 cm, Rome, Galleria nazionale d’arte antica.
Carlo Saraceni (1579-1620), Sainte Cécile et l’ange, vers 1610, huile sur toile, 172 x 139 cm, Rome, Galleria nazionale d’arte antica. © Scala Archives, Florence - Courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali


Au XXe siècle, chez Kandinsky, Klee ou Kupka, il est moins question de représenter la musique dans sa matérialité que de la faire ressentir. Comment évolue, à l’heure de la peinture abstraite, le rapport entre ces deux expressions ?
Dans ma vie, je suis entourée d’artistes abstraits. J’aime leur peinture, mais cela n’a jamais été l’objet de mes recherches. J’ai donc prêté une attention particulière aux travaux sur le XXe siècle. Le livre m’a obligée à une synthèse, qui est subjective, et affective. Le cubisme marque un basculement dans l’histoire de la peinture, mais aussi dans celle de la représentation de la musique. L’instrument reste identifiable, mais il est déconstruit. Puis il y a les visions purement abstraites, qui relèvent davantage de la métaphore, de la sensation, de la poésie. J’ai favorisé les œuvres que je trouvais fortes sur le plan pictural. Les titres sont également importants : ce n’est pas anodin si les artistes parlent de rythme ou de mouvement. La terminologie employée renvoie directement à la musique. Mon livre s’ouvre avec les mythes, qui s’éloignent de la réalité, et se referme sur l’abstraction, qui s’en affranchit tout autant. De façon générale, l’idée est de prendre le spectateur par la main, de l’inviter à découvrir, à décrypter les œuvres, à entrer dans un tableau par certains détails, à voir ce qu’il n’aurait peut-être pas vu.
 

"La musique est partout, à toutes les époques, et dans tous les milieux"

Vous avez également organisé des expositions comme «Entendre la guerre», à Péronne en 2014, ou actuellement à Bordeaux «Le vin et la musique», qui sont encore une autre manière de donner à voir le son.
Ce sont les mêmes problématiques. Il s’agit de replacer des notions, mais aussi de présenter des pièces picturales ou musicales inattendues. Dans une exposition, il y a plusieurs manières de montrer la musique. On peut l’incarner au travers d’œuvres, d’objets, d’écrits et d’extraits sonores, pour la restituer dans toutes ses dimensions. Il faut la voir et l’entendre. La musique doit prendre corps et être incorporée en tant que sensation. C’est toute la différence avec un livre.
Quels sont vos projets ?
Je travaille sur un manuel d’organologie, et souhaiterais me remettre à un travail initié il y a plusieurs années sur les clavecins à décor historié. Ces instruments m’ont toujours fascinée. Cela pourrait prendre la forme d’un livre. C’est un sujet difficile, les œuvres sont dispersées, souvent à l’étranger, en mains privées, et compliquées à photographier. Enfin, j’ai très envie de retravailler avec Citadelles & Mazenod. Il y aurait, je crois, un ouvrage à concevoir autour du vin et de la musique, qui irait au-delà du catalogue de l’exposition de Bordeaux : une grande fresque où l’on pourrait montrer tous les chefs-d’œuvre qui ne pourront jamais sortir des musées.

À LIRE
Voir la musique, par Florence Gétreau, éditions Citadelles & Mazenod, 2017, 416 pp., 335 ill., 189 €
 et Musique, images, instruments,CNRS Éditions, 35 €.
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