Joyau de la Méditerranée, le corail emprunte dès l’Antiquité la route commerciale des épices. Précieux et convoité jusqu’en Asie, il est le rare et délicat ornement des plus somptueux objets d’art.
Dès l’Antiquité, le corail fut un trésor disputé de la Méditerranée. Issu du règne animal, considéré comme aussi précieux que les perles, l’ivoire ou l’ambre, il était déjà l’objet d’un commerce lucratif au Ier siècle – Pline l’Ancien témoigne de son exportation vers l’Europe centrale et l’Asie. D’abord ramassé sur les plages, il fut récolté à l’époque médiévale par des pêcheries organisées. Cette marchandise exceptionnelle s’échangeait auprès des négociants orientaux contre diamants, pierres précieuses et épices. Aux XIVe et XVe siècles, Barcelone en dominait le marché de l’export et l’art au point d’en convoiter le monopole et d’interdire aux corailleurs, sous peine de mort, d’émigrer et d’emporter avec eux en terre d’Islam leurs outils de travail. Talonnée par Gênes et Venise au milieu du XVe siècle, la Catalogne perdit peu à peu son rang face à Marseille, Torre del Greco et la ville sicilienne de Trapani. Cette dernière, active dès le XIVe siècle, révéla au XVIe siècle une richesse technique et créative qui abreuva d’objets les cours d’Europe. On y sublima de splendides pièces religieuses et profanes, exposées dans les cabinets de curiosités : crucifix, monstrances, bénitiers, miroirs, coffrets, objets d’art, depuis la Renaissance jusqu’au XVIIIe siècle, furent parés de cet or rouge qui fit la prospérité de Trapani. Initialement utilisé en branches élégantes, le corail devint bijou serti au XVe siècle : l’iconographie abonde de Vierges en présentant des morceaux plus ou moins ramifiés sertis d’or. Chapelets, pendentifs et colliers de perles en la matière étaient portés dans toutes les classes sociales, en raison des vertus prophylactiques que l’on prêta longtemps au corail rouge – d’abord désigné comme le sang pétrifié de la tête tranchée de Méduse, il fut associé au Moyen Âge à celui du Christ. Mais seuls les plus privilégiés pouvaient accéder aux délicats objets dont ses éléments étaient sculptés et gravés, comme les canifs, couteaux et cuillères à manche de corail que le bon roi René (1409-1480) acheta auprès d’un corailleur marseillais.
Les principaux ateliers
Le travail du corail se faisait directement chez les négociants, sur le port. À Livourne, à partir du milieu du XVIIe siècle, ces officines devinrent le centre méditerranéen de transformation et de négoce dans des proportions inédites, comme en témoigne la foire qui y avait lieu chaque année. Une dizaine d’ateliers y tenaient les rênes d’une source de richesses enviée. La manufacture marseillaise Miraillet et Rémuzat, devenue royale en 1781, ne put rivaliser, bien qu’ayant débauché nombre d’habiles artisans toscans. Sa production était révélatrice de ses objectifs : des boutons, tubes, grains et olivettes essentiellement destinés à l’export, mais aussi quelques créations plus délicates comme une bague à l’effigie de Louis XVI, offerte au ministre de la Marine. La manufacture ferma ses portes à la fin du XVIIIe siècle. Le XIXe lui préféra l’antique Torre del Greco, qui s’impose encore aujourd’hui comme la capitale mondiale du corail. Ascione, la plus ancienne maison (ouverte en 1855), employa celui de Sciacca, un banc découvert en 1875 et d’un bel orangé, parfois rose foncé, dont les branches n’excèdent pas 10 centimètres et le tronc 5 millimètres de diamètre.
Une palette de nuances
Comme pour les pierres fines, le corail est travaillé humide, à l’aide de divers outils. L’artisan coupe, scie, meule, facette, polit, sculpte et grave la précieuse matière. Les découpes empruntent naturellement au vocabulaire de la joaillerie. Quelle que soit leur origine, les coraux précieux se distinguent par leur teinte, leur nuance et leur éclat. Les variétés communes – le corail bambou par exemple – ne réunissent pas ces qualités sans agent colorant ou lustrant. Leur plus faible densité ne rend pas non plus le son net et compact d’un corail précieux. Celui de Méditerranée présente une couleur uniforme –, rouge, orange foncé, plus clair ou rose –, et une forme de buisson. Il mesure en moyenne 20 centimètres de hauteur, 8 millimètres de diamètre, et peut peser de 50 à 300 grammes. Des caractéristiques identiques à celles du Rosato ou Midway, à forme d’éventail et d’un beau blanc rosé, souvent moucheté de rouge ou de blanc, ou bien veiné de rose. Tandis que le premier fut remis au goût du jour sous l’Empereur, les marchands Oliva et Scotto vendirent des bijoux en comportant à Joséphine de Bauharnais, et admiré sous l’époque victorienne en perles, broches et camées, le second possède cette teinte rosée proche du rare corail peau d’ange, appréciée aussi bien du XVIIIe siècle italien que de l’Asie. Il peut atteindre jusqu’à 40 centimètres de hauteur et son tronc 50 millimètres de diamètre, pour peser jusqu’à 5 kilos. De gabarit identique, le corail cerasuolo provient du Japon. Se déclinant du rouge vif au rouge foncé en passant par le saumon, le rose et l’orangé, il est reconnaissable à son « âme », une veine blanche qui le traverse, visible au centre de son tronc coupé. Le bianco est quant à lui d’un blanc laiteux et forme un éventail mesurant jusqu’à 40 centimètres de hauteur pour un tronc de 30 millimètres de diamètre, et pesant jusqu’à 700 grammes. Bien que les coraux ne soient jamais parfaits, l’artisan peut utiliser de la cire naturelle incolore pour faciliter le polissage et améliorer le lustre qui donne aux plus recherchés l’éclat de la porcelaine. La différence ne sera visible que d’un œil expert, à la loupe de bijoutier. Aujourd’hui protégé, le corail précieux est imité pour la bijouterie moderne ou les restaurations d’antiquités. L’avis d’un corailleur habilité est indispensable pour attester avec certitude de la nature d’un corail, dont on compte une dizaine d’espèces précieuses sur les centaines connues dans le monde.