Nommée directrice des musées de la ville en 2019, Alice Gandin amorce aujourd’hui leur restructuration après en avoir mutualisé les équipes. Une rationalisation territoriale, soucieuse du public et de ses aspirations.
La restructuration des musées manceaux que vous engagez incarne-t-elle une approche nouvelle de la valorisation du patrimoine ?
Bien au-delà de sa définition, l’identité même des musées est en pleine mutation. Demeurant un outil indispensable aux chercheurs, l’institution épouse désormais des missions et des aspirations beaucoup plus étendues. Lorsqu’en 2019 j’ai été nommée à la direction des musées du Mans pour finaliser la mutualisation des équipes et des équipements, rendre leurs missions plus lisibles et concertées, le projet de rénovation n’était pas à l’ordre du jour. À l’initiative du maire, Stéphane Le Foll, la restructuration des musées s’est imposée dans un prolongement logique. En regroupant au sein d’un même service les quatre institutions de la ville – le musée de Tessé, abritant les collections d’art et d’égyptologie ; le musée vert d’histoire naturelle ; le musée d’archéologie et d’histoire Jean-Claude-Boulard – Carré Plantagenêt ; le musée ethnologique de la reine Bérengère, actuellement fermé –, les transversalités tant professionnelles que scientifiques qui en ont émergé nous ont invités à repenser le paysage muséal autour des collections. Ceci en faisant se rencontrer et dialoguer les disciplines, tout en valorisant l’offre culturelle dans son environnement. Il s’agit d’ouvrir le musée sur la cité et sur le monde, de le faire vivre et montrer ses œuvres autrement, de susciter confrontations et rapprochements. À ce titre, depuis 2009, un partenariat unit le musée du quai Branly au Carré Plantagenêt. En novembre 2022, nous avons confirmé une convention entre le musée de Tessé et le musée du Louvre, qui renforce une coopération scientifique avec son département des Peintures, concrétisée au-delà de prêts d’œuvres par la participation de conservateurs du Louvre à certains de nos projets – comme ce sera le cas, notamment en 2025, lors d’une exposition dédiée à l’enfance au XIXe siècle. De même, au sein des territoires ligériens, nous intensifions les coopérations avec les musées de Tours et d’Angers. Et, dans cette volonté d’ouvrir toujours davantage l’institution muséale, d’en valoriser les collections et les espaces, nous accueillons en résidence la compagnie circassienne ISI, basée en Vendée.
Quels seront les étapes et principes de cette refonte globale ?
La métamorphose engagée repose sur les rénovations du Carré Plantagenêt et du musée de Tessé. Le premier fusionnera les collections d’histoire naturelle, d’archéologie et d’histoire de la ville pour raconter le territoire, des origines de la vie sur terre jusqu’à aujourd’hui. Ce projet novateur, trait d’union entre les collections, décloisonne les connaissances et permet, dans le même temps, de les confronter aux préoccupations contemporaines, incitant le visiteur à réfléchir aux impacts de l’action humaine sur l’environnement. Présenté dans un espace plus vaste, d’environ 1 500 m2, livré en 2026, ce type de musée d’histoire naturelle et culturelle du territoire, encore peu répandu, instaurera, à l’instar du musée du Gévaudan à Mende (voir l'article Dans le Gévaudan, un musée pas comme les autres de la Gazette no 1 du 6 janvier 2023, page 112), un jeu de miroirs entre passé et présent, depuis l’apparition des espèces jusqu’au Néolithique. Il sera complété d’une galerie d’actualité, proposée en dehors du parcours muséal. Le second chantier d’envergure concerne le musée de Tessé, qui reste le seul musée des beaux-arts, créé en 1799, à ne pas avoir été remanié. Nous repensons l’ensemble de ses accès, services et ouvertures sur son parc en terrasses classé, afin qu’il renoue avec son paysage environnant. Son parcours permanent étendu, favorisant l’accrochage des collections XIXe actuellement en réserve, permettra de redéployer les Primitifs italiens (l’un des plus important fonds de France), les peintres caravagesques, des peintures du XVIIe (dont trois Philippe de Champaigne), pour la plupart issus de la famille Tessé. L’accent sera mis sur les terres cuites du Maine ainsi que sur un ensemble de céramiques de Ligron, autre centre artistique de la région. En contrepoint, salle d’exposition temporaire et restaurant viendront compléter l’établissement dont l’ouverture est prévue en 2029.
S’agit-il d’un nouveau modèle muséal ?
Dans leur structure, leur fonctionnement et leur programmation, les institutions mancelles n’ont d’autre fin que d’aller au-devant des publics et de proposer des « musées à vivre », conjuguant des expériences nouvelles. Si le projet scientifique et culturel des musées instaure un dialogue entre les collections, il permet aussi de livrer une lecture des œuvres au carrefour de préoccupations sociales et environnementales. Notre récente exposition « L’étoffe des Flamands. Mode et peinture au XVIIe siècle » en offre l’exemple, abordant les modes de vie et de pensée d’une époque marquée par l’essor de la dentelle, du lin et du drap de laine. Ainsi, à l’aune de l’histoire économique des Pays-Bas, avons-nous pu livrer une autre lecture de la création et des savoir-faire de l’époque. Dans cet esprit, nous avons également choisi d’ouvrir les musées à la création contemporaine, en privilégiant la peinture, cœur des collections anciennes. Nous inaugurons, à partir du 13 mai, un nouveau rendez-vous annuel, « Un peintre au musée », dont la première édition est dédiée à Philippe Cognée. L’aventure se poursuivra en 2024 avec une exposition monographique d’Iris Levasseur, doublée d’une présentation thématique : « Les voix de la couleur, une autre histoire de l’abstraction, 1962-1989 ». Au fil de la programmation, dans l’alternance voulue des époques et des thématiques, les musées permettront au visiteur de mesurer la diversité de leurs collections tout en explorant de nouveaux territoires de l’art, de l’histoire et de la création.
Les musées manceaux s’inscrivent-ils dans une vision holistique ?
Dans son fond, sa forme et sa méthode, la métamorphose que nous engageons s’attache aux préoccupations contemporaines liées à l’environnement, à l’écoconception et, bien sûr, à une approche globale des problématiques de notre époque en regard de l’histoire. En ce sens, la réorientation scientifique du Carré Plantagenêt, à la fois en musée d’histoire naturelle et culturelle et en centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine, conjugué à l’extension du musée de Tessé, participe des grands projets de valorisation du patrimoine manceau. Leur transformation viendra ponctuer un parcours visant à relire la ville d’art et d’histoire grâce, notamment, au réaménagement muséographique des thermes romains, lancé en 2022, et à la création prochaine d’un jardin archéologique au pied du chevet de la cathédrale Saint-Julien. L’élan engagé a partie liée au projet culturel de la ville qui embrasse et explore quatre thèmes fédérateurs : le cirque, la lecture, l’art dans la cité et le son – d’où la résidence des artistes circassiens dans nos murs. Face aux attentes des publics et aux enjeux du futur, nous avons à cœur d’épouser un modèle vertueux qui conduit la conception des expositions, la gestion des établissements et les actions à mener pour « ouvrir les cases ». Lieux de débat et d’échange, espace d’activités bénéfiques au corps comme à l’esprit, les musées, dont nous avons institué la gratuité complète depuis 2021, sont de foisonnants lieux à vivre, nécessaires à notre évolution, individuelle et collective.