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Musée de Pont-Aven, nouvelle saison

Publié le , par Anne Doridou-Heim

Artistes et touristes découvrent Pont-Aven à partir des années 1850. Au cœur du XXIe siècle, le charme du lieu agit encore et la réouverture du musée, totalement repensé, offre une occasion de le vérifier.

Armand Seguin (1869-1903), Nu de la comtesse d’Hauteroche, 1896, huile sur toile,... Musée de Pont-Aven, nouvelle saison
Armand Seguin (1869-1903), Nu de la comtesse d’Hauteroche, 1896, huile sur toile, 97 x 117 cm, no Inv. 2015-3-1, acquisition par mécénat du CIC Bretagne pour le MPA.
© Musée de Pont-Aven


Pont-Aven, une petite ville qui s’en va vers la mer, méritait un musée plus visible, à la dimension des artistes qui l’ont fréquentée dès la fin des années 1850 et ont contribué à sa célébrité. C’est maintenant chose faite. Après trois années d’importants travaux et de fermeture, l’établissement, rénové et agrandi, a rouvert ses portes le 26 mars dernier. Les espaces d’expositions permanentes et temporaires ont été doublés et totalement repensés par l’Atelier de l’île, un cabinet d’architectes qui a notamment œuvré à la réhabilitation du musée Rodin. Il a imaginé une scénographie simple aux couleurs extraites de la palette du Talisman de Paul Sérusier (1864-1927), qui n’empiète pas sur le pouvoir attractif des œuvres accrochées, et a travaillé à donner plus d’air et de lisibilité à l’ensemble. Dans cet esprit, l’entrée de l’institution sur la place Julia est rendue immédiatement accessible à tous. Une extension contemporaine est construite dans la cour, agrémentée d’un jardin dont la conception en étages déstructurés est directement inspirée d’une vue de Charles Filiger (1863-1928) conservée au musée, Paysage rocheux, Le Pouldu. Enfin, un effort spécial est accordé à la recherche scientifique, aux colloques et aux dispositifs multimédias qui jalonnent le circuit  tout en restant discrets , pour favoriser la compréhension des œuvres. Effet immédiat. À la fin du mois d’août, le musée affichait 90 000 visiteurs au compteur. Avant la rénovation, la fréquentation tournait annuellement entre 40 000 et 50 000.
Un parcours muséographique vivant
En préambule, une invitation à découvrir la salle à manger de l’ancien hôtel Julia est lancée  Estelle Guille des Buttes-Fresneau, conservatrice en chef de l’institution, souhaitait garder la dimension patrimoniale du lieu. La pièce majestueuse est constellée de trois lustres, conçus par Matali Crasset dans le cadre du 1% artistique. La progression se poursuit dans les étages, par les salles des expositions temporaires. Aux œuvres de trois générations de peintres issus de la famille Rouart pour l’exposition inaugurale, qui s’est achevée le 18 septembre, succédera à partir du 22 octobre «L’œil du chantier», un reportage photographique sur le musée par Dominique Leroux. Le saint des saints se dévoile enfin au troisième niveau, dévolu aux collections permanentes. C’est là que l’on prend toute la mesure du pouvoir envoûtant de Pont-Aven. Le Bois d’Amour, la chapelle de Trémalo, le port, les quatorze moulins qui parsèment l’Aven, formant autant de barrages à l’eau tumultueuse qui dévale parmi le chaos de rochers granitiques… Ces lieux emblématiques et matière à peinture pour de jeunes gens fraîchement débarqués de Paris, et accueillis dans les pensions Gloanec et Julia, ont pris possession de la première section. Ils sont restitués par un dispositif multimédia inédit, conçu à partir de cartes postales anciennes. Il convient ici de rappeler le rôle bénéfique du chemin de fer, qui a désenclavé le petit port et ouvert ses habitants pétris de traditionalisme aux innovations du monde moderne et à la langue française.
«Le plus joli village que j’avais vu…»
Il a également permis à une nouvelle génération d’artistes de venir par dizaines fouler ses sentiers côtiers et ses ruelles pavées, autant d’invitations à travailler sur le motif. Le peintre américain Henry Bacon (1839-1912) pouvait écrire : «C’était le plus joli village que j’avais vu jusqu’à présent. Sans compter le charme pittoresque qui s’en dégageait lorsqu’à l’appel du goéland, par un matin de brume et de bruine, l’artiste, serpentant le long de l’Aven, cherche à rejoindre la mer et la lumière qui peu à peu se révèle.» Les Bretons ajoutent à l’exotisme. Rudes, ils ne se laissent apprivoiser que peu à peu. Paul Gauguin (1848-1903) peindra d’abord des paysages, avant de s’intéresser aux personnages. C’est bien lui qui sera au cœur de la colonie artistique, mais il ne faut pas le considérer en maître absolu, entouré d’élèves attentifs et respectueux. Si son arrivée en juillet 1886 et ses séjours successifs jusqu’en 1894 marquent bien un tournant décisif dans l’histoire de la petite ville, la vie culturelle consistait plutôt en une mise en commun d’idées et d’esthétiques personnelles et novatrices. Le tout dans une sorte d’émulation artistique. Dans un esprit tout aussi positif de rayonnement culturel, le musée d’Orsay a prêté pour six mois Les Lavandières à Pont-Aven, de 1886, et pour trois ans le Village breton sous la neige, de 1894. Ces toiles viennent heureusement enrichir le fonds des œuvres du maître conservées par le musée, dont un ensemble de pastels et de zincographies. Afin de rendre plus exhaustif le parcours de la visite, la conservatrice a mis en place une politique de prêts avec des institutions partenaires. Le musée des beaux-arts de Quimper y a répondu favorablement avec le dépôt de Paysage avec des arbres ou Derniers rayons (1911), de Félix Vallotton (1865-1925). Émile Bernard (1868-1941) est l’autre personnage incontournable, et n’a que 18 ans lors de son premier voyage en terre bretonne (1886). Gauguin ne le remarque pas. En revanche, en 1888, l’échange entre les deux hommes sera intense et ensemble, ils élaboreront une esthétique nouvelle, fondée sur l’usage de couleurs pures posées en aplats et cernées de contours sombres : le synthétisme. L’étude pour Le Blé noir, le tableau de Bernard peint au cours de l’été 1888 et qui répondait à La Vision du sermon de Gauguin, rappelle cette époque bénie.
«Le droit de tout oser»
Ces mots de Gauguin illustrent parfaitement le climat qui régnait au sein de ce que la critique nommera a posteriori l’école de Pont-Aven et qui s’affirme comme une communauté d’artistes. Les salles suivantes lui sont consacrées. Le cercle formé autour du maître et qui se partage entre cette commune et Le Pouldu regroupe des artistes très différents, unis par le bonheur de venir peindre. Paul Sérusier, Charles Filiger, Maurice Denis (1878-1943), Meijer de Haan (1852-1895), Armand Seguin (1869-1903), Claude-Émile Schuffenecker (1851-1934), Émile Jourdan (1860-1931) et Wladyslaw Slewinski (1856-1918) en sont quelques-uns des plus emblématiques. «Peins ce que tu ressens, pas ce que tu vois», conseillait Gauguin à Sérusier sur les bords de l’Aven en 1888. Message reçu par tous et exprimé par les œuvres accrochées tout au long du parcours, et notamment par les nouvelles venues au musée, dont le Nu de la comtesse d’Hauteroche (1896) d’Armand Seguin ainsi que la Maternité au Pouldu (1899) de Maurice Denis, deux toiles acquises grâce au mécénat du CIC Bretagne. Après le départ de Gauguin, les membres du groupe s’éparpillent. Certains quittent Pont-Aven et même la France, d’aucuns rejoignant leur pays d’origine, tandis que d’autres choisissent définitivement la Bretagne comme source d’inspiration Paul Sérusier, Émile Jourdan et Henry Moret sont de ceux-là. Mais la voie est ouverte, une nouvelle génération va profiter de ce sillon creusé et le prolonger avec ses propres expérimentations. André Jolly (1882-1969) le fera à partir de 1905 par le biais du japonisme, et Jean Deyrolle (1911-1967), dans les années 1930, par une assimilation très personnelle des théories du cubisme et du synthétisme. C’est cette aventure passionnante et unique qu’il convenait de perpétuer en lui offrant un lieu à sa mesure. Si Julia Guillou (1848-1927), la «bonne hôtesse», revenait visiter sa pension, elle ne la reconnaîtrait certainement pas. Mais l’on peut gager qu’elle serait heureuse et fière, elle qui n’avait pas hésité à faire percer quatre grandes verrières dans les murs de son annexe, pour offrir à ses artistes la lumière du nord dont ils avaient besoin.

À VOIR
Musée de Pont-Aven,
place Julia, 29930 Pont-Aven, tél. : 02 98 06 14 43.
www.museepontaven.fr