Les 130 œuvres de Max Ernst qui composent l’exposition aixoise de l’hôtel de Caumont vibrent des passions et des idéaux que l’artiste n’a cessé de nourrir sa vie durant.
La liberté de l’air, la puissance du feu, la grâce d’un oiseau, l’amour d’une femme aimée sont autant d’expressions et de symboles de vie qui se rassemblent et se répondent dans l’œuvre de Max Ernst. Ses univers fantastiques, ses expérimentations techniques, ses inspirations ainsi que ses références érudites composent les étapes d’un parcours fluide et coloré où toiles et sculptures, sans souci chronologique, disent un artiste prolifique et espiègle, mêlant à la poésie du vivant ses passions, ses jeux et son désir, souvent obscur, à la manière d’un cadavre exquis. Présentées à la suite de la vaste rétrospective, dédiée à l’artiste l’hiver dernier, au Palazzo Reale à Milan, les œuvres, réunies par ses deux mêmes commissaires – l’historienne de l’art Martina Mazzotta et Jürgen Pech, ancien directeur et conservateur du musée Max Ernst à Brühl (Rhénanie) – sondent le cheminement esthétique, plastique et intellectuel de l’artiste. Ce sont ici ses recherches graphiques – ses frottages de crayon sur papier, provenant pour la plupart de collections privées, ses décalcomanies appliquées à la peinture, ses collages peints et montages (Pietà ou la révolution de la nuit) qui inventent une réalité nouvelle, héritée de l’esprit dada et du surréalisme que traduit avec panache un délicat Danseur sous le ciel, telle une ombre blanche évoluant dans un mini-théâtre. Ce sont aussi ses grattages comme cette Fleur-coquillage, datée de 1927, au rendu pop avant l’heure. Car, chez Max Ernst, tout fait symbole : technique et inspiration, manière et innovation. La fleur incarne l’amitié, la littérature habite son trait (Épiphanie, faisant référence au Songe d’une nuit d’été de Shakespeare) et sa sculpture semble prolonger dans le bronze, l’argent et l’éclat du laiton poli le théâtre de ses amours – on lui connaît quatre épouses et nombre de compagnes inspirantes, évoquées au seuil de l’exposition. Tel un alchimiste des formes, Ernst ne cesse, comme le suggère l’enchaînement harmonieux des œuvres, de se libérer de la peinture, de la matière et de la couleur, à l’image de ce Soleil et oiseau dans l’espace portant en lui dans une extrême épure les éléments et les forces qui font la vie et le mouvement. Si certains cartels accompagnant les œuvres paraissent inégaux et souvent abscons, et bien que le choix de ranger certaines toiles dans une thématique (eau, air ou feu) peut parfois paraître arbitraire et réducteur, la joie de peindre et de sculpter de Max Ernst, son plaisir de jouer tel un stratège, maître d’échecs de la forme et du sens (Le Roi jouant avec la reine), demeurent une constante dans sa production picturale et sculptée. En majesté Le Jardin de la France, hommage de l’artiste aux bords de Loire qu’il associe aux formes généreuses d’une nymphe d’Alexandre Cabanel, témoigne à la fois de son attachement à la France, dernier pays dont il a acquis la nationalité après les États-Unis et – découverte des commissaires – révèle un serpent emprunté d’un suiveur allemand du peintre montpelliérain. Ainsi, libre de tout dogme, exclu du mouvement surréaliste par André Breton après avoir accepté en 1954 le grand prix de peinture à la 17e Biennale de Venise, Max Ernst aura tracé sa propre voie, inventé un monde unique, joyeux et généreux, dont cette exposition témoigne avec déférence et bienveillance. Un retour du maître, attendu en France, depuis plusieurs décennies.