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Une collection de bronzes imprégnée des modèles florentins

Publié le , par Vanessa Schmitz-Grucker
Vente le 18 avril 2023 - 13:00 (CEST) - Salle 11 - Hôtel Drouot - 75009

Entre prestige des écoles italiennes et génie français, plusieurs sculptures issues d’une collection retracent les siècles de gloire du bronze, pétris de l’héritage de Giambologna et des ateliers florentins.

Florence, siècle. Entourage de Jean de Bologne, dit Giambologna (1529-1608), Hercule,... Une collection de bronzes imprégnée des modèles florentins
Florence, siècle. Entourage de Jean de Bologne, dit Giambologna (1529-1608), Hercule, bronze à patine brun-rouge, h. 38 cm reposant sur un socle en marqueterie dite «de style Boulle», h. 12 cm.
Estimation : 50 000/60 000 €. Adjugé : 175 500 €

Dans cet ensemble de huit pièces, provenant d’une collection française, dont on ne saura rien, les forces à l’œuvre, la tension, le mouvement, la finesse des ciselures et l’élégance des patines sont la signature de deux siècles d’effervescence en Italie. Une fièvre artistique et intellectuelle qui gagna très vite le Nord et la France, imposant à Fontainebleau, puis à Versailles, le goût des bronzetti. Dans cet art subtil de la fonte, l’école vénéto-padouane, représentée ici par un Atlante portant un demi-globe (3 000/4 000 €) de l’atelier de Severo da Ravenna (1496-1543), rivalise avec l’école florentine, fortement inspirée par Jean de Bologne, le natif des Flandres dit Giambologna (1529-1608), chef de file du maniérisme italien. Hercule, Atlante et Vénus, remis au goût du jour par les recherches archéologiques, trouvent alors une expression privilégiée. L’atelier de Giambologna était chargé, outre des commandes monumentales pour les ducs de Médicis, de produire de petits bronzes d’art de grande qualité, envoyés comme cadeaux diplomatiques ou acquis par les plus grands princes d’Europe. Cette production en série coïncide avec les premières collections, notamment à Padoue ou à Florence. Les élèves de Giambologna – flamands ou allemands, tels Adrian De Vries et Hubert Gerhard – mais aussi ses collaborateurs italiens comme Pietro Tacca ou Antonio Susini, qui établira son propre atelier à la mort du maître, ont largement contribué à diffuser dans les plus grandes collections européennes l’excellence des modèles italiens de la Renaissance.

La force du maniérisme italien
C’est au travers de la figure d’Hercule que le nu masculin – et la mise en scène de personnages héroïques – trouve, dans les bronzes, sa plus belle expression. Ses douze travaux constituent un répertoire intarissable pour les sculpteurs. Ils inspirent à Giambologna huit modèles pour un décor de la tribune de la Galerie des Offices en 1576-1590. Au tournant du XVIIe siècle, cette série inspirera de nombreux ateliers florentins. Celui présenté ici (50 000/60 000 €), à l’attitude dynamique, une massue fermement tenue dans la main gauche et une pierre dans la main droite, dérive toutefois d’un autre modèle non moins célèbre de l’artiste. Cette image archétypale du héros masculin est à l’œuvre dans son Mars, conçu à la fin des années 1570, à la suite de ses recherches sur les dieux colossaux : le Neptune de la fontaine de Bologne et l’Océan de celle du palais Pitti, à Florence. La composition générale en est très proche, que ce soient l’attitude en torsion, la position des jambes, la musculature ou encore la tête barbue. Outre ce modèle de Mars, notre Hercule se rapproche, aussi, dans le style et la disposition, d’un bronze doré représentant Prométhée, identifié par la galerie Tomasso Brothers en 2009, considéré comme une œuvre autographe de Giambologna. Inédit, notre bronze présente une qualité de fonte remarquable, les détails de la chevelure et des muscles inscrits dans la cire étant de très haute qualité, de même que le rendu de la patine aux chaudes nuances rouges. Les similitudes avec les deux œuvres précitées de Giambologna situent cet Hercule dans l’entourage du maître, aux débuts de la production de ses séries de petits bronzes dans le dernier quart du XVIe siècle. Deux autres pièces d’après le maître flamand sont également proposées : une Baigneuse accroupie (20 000/30 000 €) et L’Enlèvement de Déjanire par le centaure Nessus (60 000/80 000 €, voir l'article Nessus et Déjanire, un bronze français d’inspiration italienne ). L’école de Florence renouvelle encore bien d’autres thèmes de l’Antiquité et notamment, à la suite de Donatello (1386-1466), les spiritelli, nom florentin des putti. Un Spiritello au poisson (4 000/6 000 €), à la fonte très maîtrisée et à la ciselure soignée, témoigne de l’influence durable du maître du Quattrocento sur la sculpture de la cité toscane au XVIe siècle, visible dans le traitement stylistique de la chevelure de ce chérubin.

Atelier florentin du XVIe siècle d’après l’antique, Spiritello au poisson, statuette en bronze à patine brun-rouge, h. 20 cm, sur un socle
Atelier florentin du XVIe siècle d’après l’antique, Spiritello au poisson, statuette en bronze à patine brun-rouge, h. 20 cm, sur un socle rectangulaire en marbre rouge marbré de noir. 
Estimation : 4 000/6 000 

Du sud au nord
Au milieu de ce vocabulaire antiquisant, la production de Francesco Fanelli (1609-1665) se distingue par ses thèmes religieux. Le sujet de Saint Georges combattant le dragon (15 000/20 000 €) est récurrent chez cet artiste d’origine florentine redécouvert au milieu du XXe siècle. Pour ses variantes, le sculpteur utilise tour à tour deux types de chevaux cabrés qui auraient été conçus avant 1610, durant ses années génoises, juste avant qu’il ne s’installe en Angleterre sur invitation de Charles Ier. On les retrouve en figure isolée, sans cavalier, entre autres au Musée national du Bargello de Florence. Notre exemplaire, fondu à la cire perdue, est doté d’une fine terrasse rectangulaire, d’une patine et de reprises en ciselure qui le rapprochent de l’exemplaire réalisé vers 1635 et conservé en Grande-Bretagne, au musée Holburne de Bath. Si le prestige de ces ateliers italiens leur a un temps fait de l’ombre, il ne faudrait pas oublier la force des productions plus septentrionales, dont celles de France, de la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle, et de la Vénus du Belvédère du Primatice à la Statue équestre de Louis XIV par Girardon (au Louvre). Trois siècles d’innovations portées par Goujon, Pilon, Prieur, le Lorrain, Anguier, Puget, Pigalle ou encore Houdon. Quatre figures allégoriques (50 000/80 000 € l’ensemble) traduisent le goût du milieu du XVIIe siècle, en vogue à Versailles et dans l’art de Charles Le Brun. Les quatre figures reprennent les codes du recueil d’allégories Iconologie de Cesare Ripa (1555-1622) : le serpent enroulé au bras pour la Prudence, le carquois pour la Force, la pyramide pour la Gloire des princes et les perles sur la tête pour l’Éloquence. Vêtues à l’antique, leurs silhouettes allongées suggèrent une influence romaine et les rapprochent des figures de François Girardon.
 

Martin Van den Bogaert, dit Desjardins (1637-1694), Louis XIV à cheval, statuette équestre en bronze à patine brune, vers 1690, 43 x 39 cm
Martin Van den Bogaert, dit Desjardins (1637-1694), Louis XIV à cheval, statuette équestre en bronze à patine brune, vers 1690, 43 39 cm. 
Estimation : 60 000/80 000 

En ordre de bataille
Louis XIV a multiplié les commandes officielles de sculptures en bronze au service de la propagande royale. Sous la main du Néerlandais Martin Van den Bogaert, francisé en Desjardins à son arrivée à Paris, le Roi-Soleil revêt une cuirasse selon le modèle de l’Imperator lauré à cheval, sans selle, sur un simple tapis, façon Marc Aurèle (60 000/80 000€). La base, en bois noirci, est ornée de deux plaques en bronze doré représentant deux de ses batailles (Le Passage du Rhin et La Prise de Valenciennes), d’après deux tableaux d’Adam François Van der Meulen. Dans Les Monuments équestres de Louis XIV, publié en 1986, Michel Martin dénombre quatre statuettes qui se distinguent par leur qualité et forment un corpus homogène, pouvant être attribué à Desjardins et son atelier. Une d’entre elles est conservée au Metropolitan Museum of Art de New York, une autre au Fogg Art Museum de Cambridge. La troisième faisait partie de la collection Camoin, à Paris. Notre statuette est la quatrième de ce groupe bien documenté. Comme les trois autres, elle a vraisemblablement été réalisée dans l’atelier du sculpteur au même moment que la statue monumentale – commandée par le gouverneur de Lyon et inaugurée en 1713 avant d’être détruite sous la Révolution –, en vue d’être offerte aux grands personnages de la cour ou en cadeau diplomatique. C’est probablement ainsi que ce bronze s’est retrouvé dans les collections des princes d’Arenberg avant de charmer l’œil du marchand Alain Moatti.

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