Gazette Drouot logo print

Une bibliothèque sous la bannière de l’Orlando Furioso

Publié le , par Philippe Dufour
Vente le 24 mars 2023 - 14:00 (CET) - Salle 2 - Hôtel Drouot - 75009

Des éditions précieuses de l’Arioste et de Pétrarque, choisies par un humaniste marseillais, vont ici côtoyer des souvenirs de Degas ou Georges Sand, issus d’autres amateurs très éclairés.

Ludovico Ariosto (1474-1533), Orlando Furioso - Cinque canti di un nuovo libro -... Une bibliothèque sous la bannière de l’Orlando Furioso
Ludovico Ariosto (1474-1533), Orlando Furioso - Cinque canti di un nuovo libro - Espositione di tutti vocaboli, Vinegia, Giolito de Ferrari, 1548-1549, volume in-4°, reliure d’époque, veau fauve, listels noirs, entrelacs droits, nœud d’entrelacs, fleurs de lys aux angles des plats, titre doré au dauphin couronné.
Estimation : 8 000/10 000 

C’est le cœur de cette vacation destinée à des bibliophiles avertis : sur les trois cents lots proposés, la plupart proviennent d’un ensemble constitué par un grand érudit de la cité phocéenne, aujourd’hui disparu. Au cours des dernières décennies, l’esthète avait réuni sur ses rayons un millier d’ouvrages, plus rares les uns que les autres et satisfaisant ses penchants pour les domaines qui le passionnaient, de la littérature classique aux livres régionalistes, en passant par les cartes de marine… Une passion pour les grands textes et les planches gravées, à laquelle s’ajoutait le plaisir plus tactile des belles reliures, certaines étant signées des meilleurs spécialistes ou frappées aux armes de leurs premiers propriétaires. Arborant  justement une superbe livrée, un ouvrage légendaire va ouvrir les festivités : l’Orlando Furioso, poème épique rédigé entre 1505 et 1532 par l’Italien Ludovico Ariosto, dit l’Arioste, et estimé ici 8 000 à 10 000 €. Ce monument de la littérature de la Renaissance (en bon français : Roland furieux, le personnage central de ce roman chevaleresque) sera apprécié par la suite dans toute l’Europe, et constituera une source d’inspiration majeure pour les artistes et les compositeurs de l’ère baroque, de Tiepolo à Haendel. Le voici proposé dans la version de référence par l’éditeur vénitien Giolito de Ferrari, imprimée en 1548-1549. Le volume in-4° de 264 feuillets, divisés en trois parties, a conservé sa précieuse reliure dans le goût «oriental» avec son nœud d’entrelacs central : « C’est un parfait exemple de l’époque de transition pendant laquelle fut abandonné ce style décoratif  qu’auparavant les érudits et bibliomanes Grolier et Maioli avaient mis au goût du jour » précise l’expert Edgard Daval. Cerise sur le gâteau, le dauphin couronné ornant les plats peut laisser supposer que le volume a appartenu à un Dauphin de France… auquel d’ailleurs l’ouvrage est dédicacé par Giolito de Ferrari. Du même imprimeur, un recueil de Pétrarque de 1547, Il Petrarca con l’espositione d’Alessandro Vellutello…, présente un habillage au décor similaire du XVIe siècle, frappé des célèbres fers à l’oiseau (compter 6 000/8 000 €). En ce domaine, il faut encore signaler une  spectaculaire reliure d’un travail baroque espagnol, renfermant la Carta executoria de Hidalguia, un recueil de 61 feuillets manuscrits sur vélin, relatifs à la noblesse aragonaise, composé en 1620 (2 000/3 000 €).
 

George Sand (1804-1876), album contenant huit aquarelles originales, deux signées du monogramme G.S., in-8° oblong, reliure en maroquin gr
George Sand (1804-1876), album contenant huit aquarelles originales, deux signées du monogramme G.S., in-8° oblong, reliure en maroquin grenat, filets d’encadrement dorés et motifs ogivaux, décor à froid, 16 12 cm.
Estimation : 8 000/10 000 €


De Marseille à Malte, voyages en Méditerranée
L’autre versant de la collection de notre bibliophile marseillais est parsemé d’ouvrages évoquant l’histoire de sa chère cité phocéenne, souvent rarissimes comme l’étrange Manuscrit des anecdotes et faits racontés durant le consulat de Charles Cazaulx à Marseille entre 1591 et 1596… Ces 342 feuillets, relatant l’histoire de ce consul sanguinaire qui mourra assassiné, ont été rédigés et illustrés de 71 dessins, parfois ésotériques, par le peintre local Joseph Martin Marchand, vers 1800. Il mérite bien son estimation de 15 000/20 000 €. Ce fonds très complet consacré à la ville portuaire se devait de compter le premier livre imprimé à Marseille : c’était en 1595, chez Pierre Mascaron. On se disputera autour de 3 000/5 000 € ces Obros et Rimos provenssalos de loys de la Bellaudiero, gentilhomme Prouvenssau, Reviovdados per Pierre Paul Escuyer de Marseillos, un in-4° au texte en provençal, donc. Convoités également, toutes les œuvres rares sur la mer et les grands ports, en particulier les cartes maritimes anciennes du Bassin méditerranéen… Les plus impressionnantes d’entre elles ont été rassemblées par Jacques Ayrouard dans son Recueil de plusieurs plans des ports et rades et de quelques cartes particulières de la mer Méditerranée…, édité à Paris (anonyme) en 1746 (6 000/ 8 000 €). Cet atlas en première édition, aux 79 planches gravées, a aussi pour lui d’être relié en maroquin rouge, arborant sur ses plats les armes de Charles-Alexandre  de Calonne (1734-1802), ministre des Finances de Louis XVI. Autre trésor de la cartographie classique, le Recueil de cartes marines (seize en grand format) a été composé par Henri Michelot et Laurent Brémond, et édité à Marseille par ce dernier en 1715-1726. Pour 8 000/10 000 €, on y découvrira également les îles et les mouillages les plus importants de la Méditerranée, de Gibraltar à la Sardaigne en passant par Majorque, sans oublier Malte et Gozo. Ce dernier archipel très stratégique, rempart de la chrétienté à l’Est, a été aussi un objet d’études privilégié pour l’homme de l’art, qui avait réuni une cinquantaine de livres sur cette île. « À cela n’est pas étranger le fait que le collectionneur était également chevalier de l’ordre de Malte et qu’il se passionnait pour l’étude de l’institution vénérable », explique encore Edgard Daval. On saura tout sur les origines et l’évolution de la confrérie en se plongeant dans l’Histoire des chevaliers de l’ordre de S. Jean de Hierusalem contenant leur admirable institution & police écrite par Pierre de Boissat, «sieur de Licieu», et paru à Paris, chez Jacques d’Allin, en 1658-1659. Orné de soixante précieux portraits des grands maîtres précédant cette date, l’in-folio relié en vélin ivoire devrait trouver preneur à 2 000/3 000 €.

 

Statuta Ordinis Cartusiensis a domino Guigone priore cartusie edita (Statuts des Chartreux). Bâle, Johann Amerbach, 18 février 1510. In-fo
Statuta Ordinis Cartusiensis a domino Guigone priore cartusie edita (Statuts des Chartreux). Bâle, Johann Amerbach, 18 février 1510. In-folio de 313 feuillets, édition originale, caractères gothiques, reliure du XVIIIe siècle, maroquin rouge, grandes armes au centre.
Estimation : 20 000/25 000 


Lettres d’un peintre et dessins d’une écrivaine
Parmi les ouvrages anciens dévoilés ce jour, mais provenant d’autres bibliothèques tout aussi savantes, on découvrira encore une pépite, à qui a été décernée l’estimation la plus haute, de 20 000/25 000 €. Il s’agit de l’édition originale – d’une rareté qualifiée de «légendaire» par les spécialistes – des Statuts des Chartreux, de son titre original Statuta Ordinis Cartusiensis a domino Guigone priore cartusie edita. Cet in-folio en caractères gothiques, dans une reliure du XVIII
e siècle, a été imprimé par Johann Amerbach, libraire de Bâle, et porte la date du 18 février 1510. Il s’agrémente de cinq magnifiques grands bois et trente-trois plus petits, tous mis en couleurs à l’époque. Deux lots marqueront aussi cette journée littéraire, l’un évoquant un génie de la peinture française, l’autre une autrice célèbre du XIXe siècle. Le premier revivra à travers les Lettres de Degas recueillies et annotées par Marcel Guérin et précédées d’une préface de Daniel Halévy (Paris, Les Cahiers Verts, 1931), à hauteur de 8 000/10 000 €. Particularité de cet exemplaire in-12 habillé de maroquin vert par le relieur Pierre-Lucien Martin : onze lettres originales écrites et signées par Edgar Degas (1834-1917) sont placées en regard de leur version imprimée, s’échelonnant de 1883 à 1905. Précisons qu’elles sont toutes adressées à son ami le collectionneur Henri Rouart. La seconde invitée de marque n’est autre que George Sand, démontrant cette fois ses talents de peintre avec un merveilleux album in-8° oblong contenant huit aquarelles originales de paysages (compter aussi 8 000 à 10 000 €). Cette activité picturale, on le sait, était le violon d’Ingres de l’écrivaine, passée maître dans l’art des « dendrites » – cette technique aléatoire élaborée à partir de taches, qui lui permettait de mettre en scène des paysages de son Berry dans des tons voilés. Ses petites filles, Aurore et Gabrielle, apparaissent sur l’une, tandis que sur une autre on voit le château de Gargilesse. Et deux d’entre elles sont enrichies de fines algues collées, insufflant à l’œuvre vie et relief. Ce souvenir touchant de la dame de Nohant bénéficie également d’une reliure dans l’esprit du temps, c’est-à-dire en maroquin grenat agrémenté de motifs ogivaux aux angles. Ainsi qu’au centre des plats le monogramme, en lettres gothiques dorées, de son illustre auteur, si recherché : «G.S.»
 

vendredi 24 mars 2023 - 14:00 (CET) - Live
Salle 2 - Hôtel Drouot - 75009
De Baecque et Associés
Lire les articles liés à la vente
Gazette Drouot
Bienvenue, La Gazette Drouot vous offre 2 articles.
Il vous reste 1 article(s) à lire.
Je m'abonne