Cette année, la foire néerlandaise, couvrant sept mille ans d’histoire de l’art, a musclé sa section d’art contemporain pour renouveler sa clientèle. Hormis les Américains, les acheteurs internationaux étaient au rendez-vous.
Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change»… La fameuse citation, tirée du Guépard de Lampedusa, s’applique à merveille à la Tefaf de Maastricht. Si la vénérable foire d’art et d’antiquités demeure numéro un dans sa spécialité, internationalement reconnue pour l’éventail incomparable de son offre allant des casques grecs antiques à l’art du XXIe siècle, en passant par la joaillerie, les arts décoratifs classiques, l’art tribal, les œuvres sur papier ou le design , elle doit faire face à des mutations en profondeur. Et doit impérativement se renouveler pour préserver son avenir. Conscients des enjeux, Patrick Van Maris, président de la foire, et l’équipe dirigeante ont réagi avec vigueur dans plusieurs directions. Après avoir, les années précédentes, créé de nouvelles entrées pour mieux répartir les flux des visiteurs vers les différents secteurs, ils ont, pour cette édition, procédé à un écrémage des exposants : nul n’est plus inamovible comme c’était le cas jusqu’alors. Cela a permis d’éliminer certaines galeries ronronnantes, voire faibles, dans maintes spécialités. Sur 279 exposants, 40 sont nouveaux. La section «Modern» regroupant les périodes moderne, d’après-guerre et contemporaine est la plus concernée, avec treize arrivées. Du jamais vu. Plusieurs galeries françaises se sont glissées dans les rangs, tels le Minotaure, Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Almine Rech ou Kamel Mennour, aux côtés de Simon Lee, Max Hetzler ou Mayoral… Pour les organisateurs de la Tefaf, renforcer une section d’art contemporain jusqu’ici très inégale sert un triple but. D’abord, montrer que l’on peut aussi se rendre à Maastricht pour ce marché, et pas seulement pour les tableaux anciens ou la statuaire antique. Ensuite, attirer d’autres grandes galeries du marché contemporain, nombre d’entre elles ne revenant pas d’une année sur l’autre. Enfin, aimanter les collectionneurs d’art contemporain, un peu plus jeunes que la moyenne des visiteurs de Maastricht, aux poches profondes, et susceptibles de découvrir sur la foire d’autres domaines.
Des exposants satisfaits
Le cru a été bon pour nombre de ces marchands. Benoît Sapiro, directeur de la galerie Le Minotaure, confie avoir vendu six pièces «à des collectionneurs français, suisses, belges et allemands avec un très bon chiffre d’affaires». Le marchand dit d’ailleurs avoir rencontré «une clientèle extraordinaire de connaisseurs aux moyens très importants». Son confrère parisien Franck Prazan, de la galerie Applicat-Prazan, est un fidèle exposant et a participé au renouvellement des enseignes en tant que membre du comité de sélection. «Nous avons cette année un excellent bilan, avec cinq ventes substantielles facturées et deux options en cours. C’est l’une de mes meilleures Tefaf de Maastricht», résume ce spécialiste de la seconde école de Paris. Pour sa première participation, Kamel Mennour a sorti le grand jeu et présenté un stand autour de l’élément minéral, «curaté» par Cécile Degos, avec des prix allant de 50 000 à 900 000 €. D’Ugo Rondinone à Anish Kapoor, en passant par Alicja Kwade ou Daniel Buren, le résultat a fait mouche auprès du public. Georges-Philippe Vallois, lui, avait choisi de mettre l’accent sur des pièces muséales de Niki de Saint Phalle. Mais le cœur de la foire reste l’art ancien. Certes, on y voit moins de chefs-d’œuvre absolus comme jadis. Il se murmure que la pièce la plus chère cette année n’était pas une peinture, mais un bijou récent à 40 M€. «Un marchand de premier plan peut choisir de montrer en privé à ses meilleurs clients, dans des lieux plus discrets, les œuvres majeures qu’il aura dénichées, plutôt que de risquer de les exposer et de les “griller” à la Tefaf si elles sont vues mais ne se vendent pas», analyse un spécialiste. Toutefois, le niveau reste exceptionnel, et les marchands continuent d’apporter de belles pièces. L’une des plus belles était, cette année, Melancholia, de Domenico Fetti, tableau du début du XVIIe montré par Lullo Pampoulides. La galerie Colnaghi a cédé rapidement un Saint François du Greco. Les représentants des grandes institutions américaines sont venus et, dans l’ensemble, les musées se sont montrés très actifs. Deux exemples parmi d’autres : Haboldt & Co a cédé au Rijksmuseum d’Amsterdam deux huiles sur bois de Maerten Van Heemskerck une partie d’une série aujourd’hui, éparpillée entre différents musées ; et le musée de Grenoble a acquis un tableau de Navez, élève de David, chez Descours. Pour le conseiller en dessins et tableaux anciens Nicolas Joly, «cette édition était de bon niveau dans ce domaine, meilleure que l’an passé. À mes yeux, le plus beau tableau de la foire était une Vierge à l’Enfant de Paolo Veneziano, du XIVe siècle, montrée par Haboldt & Co, exceptionnel et dans un état de rêve. Ensuite, je choisirais un Christ sur la Croix de Louis Cretey, du XVIIe, vendu par Rob Smeet». Dans un autre registre, la Tefaf a mixé art tribal et design en pariant sur les affinités entre ces deux spécialités, répondant au désir de désenclavement des marchands de la première. Dans l’ensemble, tout en restant de haut niveau, la section de design péchait par manque de renouvellement. «C’est un secteur où, ces derniers temps, il est difficile de trouver de très belles pièces», explique un marchand. À quelques exceptions près comme Ronald Lauder, les Américains se font rares à Maastricht. «C’est une année charnière. Il faudra mesurer les effets des changements sur trois ans, estime un galeriste de premier plan. Il faudra réfléchir à créer des événements pour attirer un public plus jeune : il ne se passe rien à Maastricht à part la foire.»