Un des maîtres, avec Pieter Claesz, de la nature morte hollandaise, Willem Claesz Heda a principalement peint des «banquets», ou «tables servies» monochromatiques, quelques rehauts de couleurs faisant chanter les gammes argentées qu’il préfère.
Une table a été dressée avec une aiguière d’argent, une salière et des plats en étain, une flûte, un flacon et des verres, tandis qu’un nautile monté en bronze doré gît, renversé. Le banquet a été interrompu comme en témoignent les nappes froissées, les assiettes en déséquilibre sur le rebord de la table. La scène est abandonnée à la lumière dont les reflets dansent d’objet en objet. Le gras laiteux du jambon, la carapace nacrée du crabe, le blanc mat de la peau du citron et celui lumineux des tissus offrent un contrepoint de blanc aux nuances argentées. Le bistre du mur nu et le vert-gris de la sous-nappe encadrent cette composition. Cette rigoureuse simplicité parmi la munificence des objets est voulue. L’arrêt brutal du festin souligne l’éphémère des jouissances terrestres, et porte la leçon d’un devoir moral d’abnégation. Willem Claesz Heda, peintre de son temps, est reconnu dans son art de porter ce message. Les Pays-Bas, possession espagnole jusqu’à l’indépendance en 1648, connaissent des conflits qui mettent à mal le tissu social et économique singulier des sept provinces. C’est un pays de villes dont tous les habitants jouissent de droits. Commerçants et artisans se sont organisés en guildes qui régissent les professions et assument un rôle d’entraide sociale. La poursuite de la guerre avec la France et l’Angleterre n’empêchera pas l’enrichissement du pays, basé sur le commerce. Les marchandises affluent d’Orient et d’Amérique : épices, soieries, matières précieuses, fourrures… Ce niveau de vie élevé a favorisé le développement de la culture. Le citoyen, de Haarlem par exemple, aime discuter avec les peintres dont il fréquente l’atelier et auxquels il commande des œuvres ; il sait à qui s’adresser pour tel type de peinture. On compte en moyenne environ une dizaine de tableaux chez un particulier, riche bourgeois ou simple commerçant. D’obédience calviniste et profondément religieux, les habitants des Provinces-Unies apprécient cependant les beaux objets, considérés comme la manifestation de la générosité divine ; ils peuvent en user à condition de reconnaître leur caractère éphémère. Heda excelle dans ces Stillleben, ces vies arrêtées. Il y déploie toute la finesse de sa peinture, sa science des gammes monochromatiques et de la diffusion de la lumière, tout en utilisant des symboles moraux. Le manche du couteau, la peau enroulée du citron, les verres à moitié plein, le nautile renversé, l’équilibre précaire des assiettes… autant d’éléments qui servent de memento mori et démontrent la vanité de ne se satisfaire que de biens terrestres et de jouir, ne serait-ce qu’un temps, d’un magnifique tableau.