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Rencontre : au croisement des antiquaires et enquêteurs de l’OCBC

Publié le , par Vincent Noce

Faux, vols, pillages… Le cauchemar des galeristes était le sujet d’une rencontre avec l’OCBC, organisée par le Syndicat national des antiquaires.

De gauche à droite : Jean-Luc Boyer, Hubert Percie du Sert et Mathias Ary Jan.© ... Rencontre : au croisement des antiquaires et enquêteurs de l’OCBC
De gauche à droite : Jean-Luc Boyer, Hubert Percie du Sert et Mathias Ary Jan.
© SNA

Un des signes du retour de Mathias Ary Jan à la présidence du Syndicat national des antiquaires (SNA) est sa volonté d’accorder la profession aux exigences légales et éthiques qui ne cessent de se renouveler. Il a ainsi ouvert un cycle de formation des adhérents par une rencontre avec le chef de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC), le colonel Hubert Percie du Sert, et son adjoint, le commandant Jean-Luc Boyer. Le film de la rencontre a été mis en ligne par le SNA. Pour la prochaine, consacrée à la fiscalité, on pourrait espérer quelques améliorations techniques. Orateurs plongés dans la pénombre, sons déformés par l’écho, échanges inaudibles, cette atmosphère lugubre était égayée par quelques curieux plans rapprochés sur les casseroles et le plafond du coin cuisine… Sur le fond, tenu devant 70 participants, sur place ou en visioconférence, l’exercice avait certainement son utilité puisque certains ne savaient pas ce que signifient les acronymes Tracfin (le service d’information contre le blanchiment) ou Treima (la base de données générée par l’OCBC, qui compte 95 000 objets volés). Le débat a cependant dérivé sur la frustration des professionnels, qui n’ont pas d’accès direct à cette base ou, du moins, à un registre public fiable des œuvres d’origine frauduleuse. Jean-Luc Boyer a cependant rappelé, pour mémoire, que lorsqu’une société a développé une interface avec Treima, aucun antiquaire à l’époque n'y montrait d’intérêt…

Vigilance et registre
Certains ont regretté que l’OCBC ne réponde pas forcément à leurs demandes. Même s’il a assuré ses interlocuteurs de sa bonne volonté, son chef a rappelé la limitation de ses moyens et insisté sur sa mission fondamentale de répression. Il a ainsi axé son discours sur la vigilance requise des marchands d’art, en les avertissant des conséquences s’ils étaient pris en défaut : le manque de précautions peut être interprété comme «l’élément intentionnel», qui caractérise le délit. Autrement dit, si le marchand omet de reporter un achat sur son registre, même si c’est par distraction ou manque de temps, ou encore dans l’espoir bien banal d’alléger ses charges fiscales, il peut se retrouver accusé de recel, dans le cas où le bien aurait été volé. «Dans ce commerce, a averti le colonel, on doit exercer sa vigilance.» «Il n’est plus possible de dire “Je ne savais pas.” Si vous n’avez pas exercé votre expertise, votre connaissance du milieu et mis en œuvre un processus sérieux, à hauteur de votre expérience professionnelle, pour vous assurer de n’être pas instrumentalisé, si vous n’avez pas mis en œuvre cette transparence, vous faites partie du processus criminel.» Faisant allusion aux affaires les plus récentes, il a motivé cette sévérité par les dégâts causés par le pillage au contexte historique des objets mais aussi aux relations diplomatiques. Concrètement, le commandant Boyer a incité les marchands à améliorer la tenue de leur registre de police, en y incluant des photographies, et en le numérisant, ce qui est déjà une obligation pour les salles de ventes. «Cet outil, a-t-il lancé, vous protège, en cas de problème.» Il a aussi reconnu la difficulté de lutter contre l’invasion des faux et contrefaçons, devenue le grand fléau du marché.

«Personnes à risque»
Les antiquaires, de leur côté, ont exprimé leur inquiétude devant les «zones d’ombre» de la lutte contre le blanchiment. Mathias Ary Jan s’est alarmé de la surcharge de travail demandée à ses adhérents, dont 90 % n’ont qu’un ou deux employés dans leur société. Tenant que «l’ensemble des antiquaires français ont une conduite exemplaire en Europe», le président du SNA a fait allusion au rapport malheureux de Tracfin, qui a mis en difficulté des galeristes en levant le secret sur leurs signalements. Le colonel Percie du Sert a assuré que «les services garantissaient l’anonymat du premier cercle des déclarants». Personne n’a évoqué le précédent désastreux des multiples fuites dans la presse des procès-verbaux de l’enquête sur les ventes d’antiquités égyptiennes au Louvre Abu Dhabi… Plusieurs intervenants se sont demandé quel pouvait être le seuil de déclenchement d’un signalement à Tracfin, dès lors que les personnalités politiques et leur famille, les hauts fonctionnaires, les courtiers ou les marchands belges sont considérés comme «personnes à risque». «Il faudrait obtenir des preuves d’identité de notre client, faire des recherches complémentaires s’il est un ministre et, en plus, l’agresser en lui demandant comment il a gagné son argent !», s’est exclamée Corinne Kevorkian, spécialisée dans le secteur sensible de l’archéologie.

Droits et devoirs
Le président du SNA se demande ainsi si la France n’a pas tendance à requérir des antiquaires «davantage de devoirs que de droits», en s’inquiétant du déséquilibre de concurrence avec des pays bien plus laxistes. Plusieurs participants se sont plaints des distorsions au sein de l’Union européenne, en pointant du doigt la Belgique, où la loi ne prévoit pas de livre de police, se passe d’une licence d’exportation des biens culturels et prescrit le recel en cinq ans. Les dirigeants de l’Office en ont convenu, mais son chef a assuré que la France exerçait une pression pour une généralisation du registre de police en Europe. Les deux parties ont exprimé leur souhait de voir reprendre les échanges entre autorités et professionnels au sein d’une instance commune comme l’Observatoire du marché de l’art, dont l’activité s’est éteinte depuis des années. Dans cet échange de bonnes volontés, chacun a voulu allumer quelques chandelles en vue d’une meilleure compréhension des mécanismes pesant de plus en plus lourdement sur le marché de l’art.

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