Cette 30e édition du salon créé en 1991 par neuf marchands n’est ni tout à fait la même que les précédentes, ni tout à fait une autre. Si le Salon du dessin, une fois encore, s’apprête à faire l’unanimité par le professionnalisme avec lequel il est organisé et la qualité des feuilles sélectionnées par les exposants, il est aussi la première manifestation d’importance parisienne post-confinement : 33 galeries vont poser leurs œuvres au sein du palais Brongniart, où il a élu domicile depuis dix-huit ans déjà. Si le turnover est faible – corollaire du succès – et qu’il est difficile d’obtenir son ticket d’entrée, elles sont neuf à y participer pour la première fois. Louis de Bayser, « heureux et impatient », explique : « Nous avons dû faire face à l’annulation de la participation d’une dizaine d’enseignes étrangères, notamment américaines, qui ne peuvent pas venir exposer à Paris en raison des contraintes sanitaires liées à la pandémie.» Ainsi, les galeries Ary Jan, Boulaki et Taménaga, déjà retenues pour l’édition 2020, seront accompagnées de Jeanne Bucher Jaeger, Loeve & Co (fondée par Hervé Loevenbruck et Stéphane Corréard), Mayoral, Orbis Pictus, Benjamin Peronnet et Waddington Custot. De plus, « chaque exposant peut publier sur notre plateforme online jusqu’à quinze dessins, ce qui fait que nous pourrons proposer aux collectionneurs ne pouvant pas se déplacer un ensemble d’environ cinq cents œuvres ». On regrettera de ne pas pouvoir admirer «en vrai» le dessin de Théophile Alexandre Steinlen – dont le titre, Vernissage, était pourtant parfaitement de circonstance mais l’on appréciera la note d’humour apportée par Onno Van Seggelen Fine Arts, la galerie de Rotterdam qui le met en avant.
Balade atmosphérique
La question de l’écologie est au cœur de toutes les préoccupations : l’écho s’en fait ressentir au sein même de la Bourse, puisqu’une thématique forte s’y dégage autour de l’art des jardins et de la botanique, sujet aussi retenu par l’invité institutionnel, les musées de Marseille (voir encadré page 18). Un fil vert tendu de feuille en feuille semble relier les artistes à travers les siècles. Il court aux côtés d’un Promeneur dans un paysage, une plume de Théodore Rousseau vers 1850-1860 (Didier Aaron), suit pensif un homme saisi par Hubert Robert dans une nature habitée d’antiques (Éric Coatalem), fait une halte auprès du lac d’un Paysage italien de Jakob Philipp Hackert (galerie Grand-Rue Marie-Laure Rondeau) pour écouter Adam nommant les animaux dans le jardin d’Éden, une gouache sur vélin de Joseph Werner – l’un des plus brillants représentants du XVIIe siècle suisse (Talabardon & Gautier). Reprenant son Chemin bordé de fleurs sauvages – jolie plume et aquarelle de Léon Bonvin, toujours chez Talabardon & Gautier –, il traverse La Forêt près de Friedrichsruh, une aquarelle vers 1895 de Walter Leistikow qui sera accrochée chez Martin Moeller & Cie, pour prendre un bain bien mérité en compagnie de François-Louis Français aux Bains de Tibère à Capri (Galerie Terrades), puis se reposer, emmêlé dans les branches des Philodendrons de Sam Szafran (Waddington Custot). L’immense envie de respirer à pleins poumons l’odeur de la nature, mais aussi celle des papiers trop longtemps confinés, sera enfin étanchée.
Traits verts
Le secteur des maîtres anciens, très demandés et de plus en plus rares, se renforce avec l’arrivée de Benjamin Peronnet. Les conservateurs, toujours à l’affût et premiers à découvrir le salon, devraient apprécier de retrouver l’un des leurs, ce dernier, avant de choisir de devenir galeriste, ayant en effet travaillé au Louvre auprès de Pierre Rosenberg, puis au Getty avant de diriger le département des dessins anciens chez Christie’s. Pour lui, cette première participation diffuse un parfum d’inespéré : «Le Salon du dessin est ma première foire ; je pensais en m’établissant ne jamais en faire… Tout dans sa préparation est une sorte de découverte. Les derniers jours avant le vernissage sont un peu frénétiques et me rappellent les périodes de clôture des catalogues de ventes, mais cette activité un peu intense et désordonnée est assez agréable après dix-huit mois de sommeil !» Il a extrait de sa sélection un Paysage de montagne de Lambert Doomer.
Cet élève de Rembrandt avait acquis, lors de la vente après faillite de son maître, un album de paysages du Tyrol de Roelandt Savery, et en a réalisé des copies, les agrémentant parfois d’animaux. Seulement six de ces feuilles étaient à ce jour documentées – toutes dans des institutions publiques. Celle-ci en prendra-t-elle également la voie ? Christophe Leribault, directeur du musée du Petit Palais – qui avait choisi en 2020 d’offrir ses cimaises en concordance avec les dates du salon à la collection Prat, internationalement reconnue et premier ensemble privé à avoir été présenté au Louvre –, explique que «les collections municipales parisiennes ont tout intérêt à soutenir cet événement unique qui se tient à Paris et qui est la grande fête du dessin». Et de préciser : «Il n’est pas juste une foire marchande, mais le lieu de rencontres et de colloques internationaux», dont le sérieux fait avancer ce domaine toujours en mouvement qu’est le dessin. Le partenariat avec les institutions culturelles est donc toujours aussi fort, même si la Semaine du dessin est réduite en raison des conditions sanitaires, ne proposant que des visites privées d’expositions mettant à l’honneur les arts graphiques. Alors, si la plupart des galeristes ne s’attendent pas à voir énormément de clients étrangers, tous notent une sorte d’appétit à retrouver le chemin du salon. Et cet espoir offre déjà une nouvelle respiration.