© Creative Commons, Flickr, Eric Mézan
Françoise Nyssen a réuni en juillet les présidents d’établissement culturel, qui en sont restés abasourdis. Elle a affiché ses bonnes dispositions, mais, en trois mois, aucun projet n’avait encore été dessiné, aucune intention formulée. Cette bienveillance se mesurera quand il faudra contribuer à hauteur de 50 M€ à l’effort national, sans parler de trouver les 400 M€ nécessaires au gadget électoral du «Pass culture pour les jeunes». Comme toujours, musées et patrimoine peuvent craindre d’être les premiers à souffrir. Cependant, de ces trivialités il ne fut pas question à cette drôle de rencontre destinée à ne rien annoncer, sinon une ère nouvelle qui peine à se définir. L’impréparation et la naïveté font le charme de cette majorité, mais, inévitablement, elle est mise à l’épreuve du temps. La ministre évite soigneusement la presse, hors une interview pour ne rien dire livrée, en juin, au Parisien (Voir l'article Madame la ministre, réveillez-vous de la Gazette n°26, page 10). À l’occasion des Journées du patrimoine, elle a quand même voulu sacrifier à l’exercice télévisuel. La présentatrice de France 3 n’ayant pas grande idée des dossiers de la Culture, le résultat, pour ceux qui avaient le cœur d’attendre minuit, s’est avéré édifiant. «La Journée du patrimoine, c’est formidable, douze mille animations !», lance Sandrine Aramon. «Oui, c’est un grand moment de cohésion… Il y en a partout des patrimoines, ce sont les châteaux, les parcs, le musées et aussi les sites industriels. » Et puis, «c’est quelque chose qu’on laisse à la jeunesse». La présentatrice, minaudant : «C’est une main tendue aux Français ?». «Oui, des lieux qui sont gratuits aussi le temps d’un week-end, ce n’est pas anodin» ; du reste, son «ministère était ouvert»… Interrogée sur son action depuis quatre mois, elle botte en touche : «On ne dresse pas le bilan, car on est en train de faire. » Pour en savoir plus sur le «faire», il faudra attendre, car la journaliste coupe court, pressée d’aborder un sujet qui lui tient beaucoup plus à cœur, et qu’elle maîtrise manifestement mieux, les coupes budgétaires infligées à sa chaîne.
En fait, l’événement a été marqué par une annonce, mais, manifestement, la ministre n’était pas concernée. Le lendemain, au pas de course qu’il affectionne, le président a révélé que son ami Stéphane Bern allait prendre en charge des initiatives en faveur du patrimoine. Reléguée sur le côté, Françoise Nyssen est restée muette. On se souvient des grands moments de Nicolas Sarkozy, quand il annonçait ainsi à la cantonade, devant sa ministre bouche bée, qu’elle serait flanquée de Marin Karmitz, chargé de réfléchir à la stratégie qu’elle aurait mission d’appliquer. Stéphane Bern a beaucoup fait pour populariser le patrimoine. Ses émissions sont sérieuses et travaillées, abstraction faite de sa propension à surgir comme un lutin à chaque recoin de château. En mettant de côté les risques de conflit d’intérêts avec sa nouvelle société de production, en discussion avec France Télévision, il reste à savoir s’il ne sert pas à son tour de gadget pour faire passer la carence politique et les sacrifices à venir. À France 3, l’épisode le plus instructif est survenu lorsque, à l’annonce de son nom dans les titres du journal, la ministre s’est glissée vers le pupitre, avant de faire marche arrière tête baissée dans la pénombre, se rendant compte qu’elle était attendue sur le plateau dix minutes plus tard. Yves Michaud parlait de l’état gazeux de l’art. On peut se demander si le ministère de la Culture n’a pas atteint lui-même un état gazeux, entre euphorie et hypnose.
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