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Le patrimoine en quête de stratégie

Publié le , par Vincent Noce

La France est sans doute le pays au monde qui offre l’aide la plus massive à son patrimoine. Mais, comme tous les enfants gâtés, nous ne sommes pas pour autant satisfaits. La Cour des comptes vient de publier un rapport de 150 pages, énumérant «les fragilités structurelles» de cette politique. Le territoire compte 44 500...

  Le patrimoine en quête de stratégie
 

La France est sans doute le pays au monde qui offre l’aide la plus massive à son patrimoine. Mais, comme tous les enfants gâtés, nous ne sommes pas pour autant satisfaits. La Cour des comptes vient de publier un rapport de 150 pages, énumérant «les fragilités structurelles» de cette politique. Le territoire compte 44 500 monuments historiques, mais des centaines de milliers de bâtiments bénéficient d’une forme de protection. En année normale, les aides budgétaires et fiscales se montent à quelque 650 M€. Pourtant, dans le dernier bilan sanitaire (2018), près d’un quart des monuments historiques demeurent dans un état préoccupant. Le rapport recommande notamment la généralisation d’un «carnet sanitaire» des bâtiments. Faisant observer le caractère exceptionnel du pic actuel de subventions, il appelle à «consolider la dépense» inscrite au budget de l’État. Il ne s’étend pas sur la question, mais ce dernier s’est réservé la part du lion de cette manne, l’aide aux propriétaires privés et aux communes se trouvant reléguée au rang de parent pauvre. De manière générale, en dépit des discours sur le charme de nos moulins et de nos lavoirs, le patrimoine vernaculaire apparaît toujours aussi peu soutenu. Le premier reproche adressé au gouvernement est de «mal appréhender cette dépense globale», car il ne dispose pas «de mesure des bâtiments appartenant à d’autres ministères» que la Culture. Sur les 2 103 monuments historiques appartenant à l’État, 1 230 échappent à la tutelle de la Culture.

Le point le plus douloureux est le déficit de l’expertise indispensable à l’accompagnement et l’encadrement du patrimoine

Il n’aurait pas non plus «la mesure des aides de l’État aux collectivités au titre du patrimoine local». Et le budget de celles-ci serait «encore plus dans le flou». Le rapport en déduit une défaillance de la vision stratégique. De manière générale, la politique patrimoniale souffre «d’un trop grand cloisonnement» entre ses missions, l’aide se concentrant sur la conservation, au détriment de la maintenance et de la mise en valeur des sites. Le rapport se montre sévère envers le bilan, jugé «décevant», des réformes intervenues ces dernières années. «La modernisation des dispositifs juridiques de protection reste inachevée. La fusion des anciens espaces et la délimitation des espaces protégés en un “site patrimonial remarquable” s’accomplit à un rythme très lent», maintenant la complexité des statuts. Pour la Cour, l’État devrait «se mobiliser beaucoup plus fortement pour promouvoir des stratégies d’aménagement des quartiers urbains patrimoniaux», en privilégiant une approche «transversale». Mais le point le plus douloureux est le déficit de l’expertise indispensable à l’accompagnement et à l’encadrement du patrimoine. Bien que la maîtrise d’ouvrage ait été transférée aux propriétaires des monuments, il n’y a pas de hausse des opérations «en particulier parce que les collectivités n’ont pas suffisamment organisé son exercice». Le nombre d’architectes du patrimoine a augmenté, mais «leur inégale répartition et leur niveau technique hétérogène constituent deux éléments de faiblesse». Les architectes des Bâtiments de France croulent sous la tâche, y compris pour délivrer des avis que les élus ou les préfets sont libres d’ignorer. En bref, «la fragilisation des ressources humaines est préoccupante». L’État est ainsi appelé à agir «pour prévenir un appauvrissement des compétences techniques qui aurait de lourdes conséquences dans les années à venir». Le risque est d’encourir une déperdition des financements. En 2020, sur les 233 M€ du budget d’entretien et de restauration voté, 50 M€ n’ont pu être dépensés. Le dilemme est le même que celui de la Santé : renforcer la formation, le recrutement et l’attractivité du secteur demandera du temps. Avec tous les efforts consentis, on peut se demander pourquoi le patrimoine ne vaudrait pas une loi de programmation sur plusieurs années.

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