En dix ans, cet événement s’est imposé au niveau international comme un véritable moment clé où les éditeurs dévoilent leurs nouveautés. Toute une profession en fête, dont Drouot est partenaire.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. «Lorsque nous avons lancé l’événement, en 2009, alors que l’objectif de fréquentation était de trois mille personnes, nous en avions reçues cinq mille. En 2018, ce sont 38 000 visiteurs qui ont franchi les portes des showrooms», font part avec enthousiasme et fierté les organisateurs, Carole Locatelli et Hughes Charuit. Ils sont passés de quarante-cinq marques à cent dix-huit aujourd’hui, réparties dans cent showrooms et quarante-cinq pop-up entre la rive droite (avec pour épicentre la rue du Mail) et la rive gauche (autour des rues de Seine, de l’Échaudé, de Furstemberg)… Pour faciliter la circulation, des navettes sont disponibles : «L’année dernière, nous avons transporté plus de 13 000 personnes en cinq jours !», rappelle Carole Locatelli. Architectes, décorateurs d’intérieur, «mais aussi les partenaires qui assurent les suivis de fabrication à l’autre bout du monde», note le directeur général de Codimat Pascal Pouliquen : toute la profession se donne rendez-vous à Paris en ce premier mois de l’année, parmi laquelle 70 % d’étrangers confirment la dimension internationale de la manifestation. Notons qu’elle bénéficie également de l’afflux du public de la Fashion Week, qui se tiendra du 21 au 24 janvier, certaines maisons établissant clairement des ponts entre les deux univers : Gainsborough Fine Weavers & Dye House, James Hare, Jean Paul Gaultier ou Ralph Lauren, premier créateur de mode américain à avoir créé une collection entièrement dédiée à la maison.
Ce positionnement autour de l’excellence, du luxe et du savoir-faire nombreuses sont les sociétés labellisées entreprises du patrimoine vivant ou appartenant au prestigieux comité Colbert a convaincu les nouveaux venus : Moissonnier, ébéniste créant des meubles sur mesure, Noble Natural, créateur de tapis et moquettes avec de la laine 100 % vierge non teintée (100 % bio), Evolution 21, entreprise belge spécialisée dans la création de textiles, de tissus, de cuirs et de meubles haut de gamme, Marine Leather, une des tanneries les plus importantes du marché haut de gamme, et The Rug Company, reconnue pour ses tapis et moquettes signés par des designers comme Paul Smith, Marc Alexander...
Du monde entier
Si tous louent Paris Déco Off Pascal Pouliquen lui prédit même un avenir de Salon des arts décoratifs du XXIe siècle , il est difficile de mesurer précisément son impact sur l’activité et le chiffre d’affaires des maisons. Pierre Frey, directeur de communication de la maison du même nom, précise en effet : «Nous montrons les nouvelles collections à des décorateurs, qui vont ensuite les présenter à leurs clients. Cela peut donc prendre plusieurs mois, voire plus. Paris Déco Off est de plus en plus visité chaque année ; nos clients et journalistes du monde entier viennent les découvrir à cette occasion. Nous ne raterions sous aucun prétexte ce rendez-vous, qui offre une force de frappe très importante.» Le secret d’un tel succès ? Avoir réussi à créer un label et à fédérer les maisons les plus importantes en un parcours dans Paris intra-muros, tout en ayant su cristalliser ce sentiment d’appartenance à une communauté, là où les éditeurs sont déjà établis. De nombreuses griffes sont très anciennes (les papiers peints Zuber ont été fondés en 1797, Thibaut en 1886, Tassinari et Chatel remonte à l’atelier Pernon, créé en 1680...) et possèdent des archives très importantes qui ne peuvent être présentées que dans ces showrooms (plus de 100 000 références pour Tassinari et Chatel), ce qui ajoute un relief aux dernières collections et nourrit de façon constructives les discussions. De leur côté, les professionnels étrangers investissent des galeries d’art contemporain louées pour l’occasion : la galerie Claudine Legrand se met aux couleurs de Jakob Schlaepfer, la galerie Serousi devient Misia, les Yeux fertiles, Gainsborough et Leila Mordoch, Farrow & Ball... Pour se repérer, deux cents illuminations géantes rythmeront les rues des deux rives et nouveauté cette année cinq pièces de mobilier surdimensionnées seront installées sur les places des Petits-Pères, Saint-Germain-des-Prés et Furstemberg, un projet qui ne peut que faire penser aux meubles à longues jambes que le designer italien Umberto Dattola avait créés pour la Milan Design Week en 2013.
Ici, cela se traduira à travers un canapé et un banc de 3 mètres de long sur 2,20 de haut de la Maison Ecart International, dessinés par Andrée Putman et peints par Farrow & Ball, une chaise Rosello par Pierre Frey, un canapé Houlès / Nouailhac et une commode Moissonnier. «On ne pourra pas monter dessus, mais on pourra se prendra en selfie à côté !», s’amuse Carole Locatelli ; une façon de sensibiliser le grand public à cet événement, et de l’inviter à pousser la porte des showrooms pour l’instant, celui-ci ne représente que 10 % des visiteurs. Tous ces meubles de géant seront vendus à Drouot, sous le marteau d’Art Valorem le jeudi 14 février, au profit de l’Institut Curie pour la lutte contre le cancer. Les organisateurs les imaginent déjà dans les entrées de mairies ou d’hôtels de régions. Valérie Pécresse, présidente du conseil régional d’Ile-de-France, aurait déjà marqué son intérêt pour habiller le tout récent bâtiment de Saint-Ouen.
Quelles tendances en 2019 ?
Pour Hughes Charuit, le constat est sans appel : «Le tapis revient beaucoup dans la déco, comme le papier peint. Lorsque nous avons démarré, seules trois ou quatre maisons fabriquaient du papier peint, alors qu’aujourd’hui elles représentent 70 % des exposants ! Des grandes enseignes comme Missprint ou Cole & Son ont doublé leurs collections, et, plus symptomatique encore, Farrow & Ball ou Little Green, connues pour leurs peintures, multiplient celles de papier peint.» Les pratiques ont changé et, au lieu de recouvrir une pièce entière, on joue beaucoup avec des motifs décoratifs sur un seul mur, un beau panoramique de Zuber ou un panneau de la collection «London Wallpapers V» de Little Greene. Le fabricant britannique a pioché dans les archives d’English Heritage (organisme chargé de gérer le patrimoine public), pour redonner vie à des papiers peints prélevés pendant les travaux de conservation dans des demeures des XVIIIe et XIXe siècles, à Wrest Park dans le Bedfordshire. Cet attrait est d’ailleurs au cœur du concours proposé aux étudiants des écoles d’art et de design, ayant pour thème «dessine-moi un tissu ou un papier peint». Leurs travaux seront jugés par un jury de professionnels, composé de créateurs, d’éditeurs et de journalistes, et les créations des lauréats se verront exposées à l’Hôtel Drouot. Des collaborations avec les éditeurs seront à n’en pas douter envisagées, sous la houlette de Carole Communication, assurant aux étudiants que leurs droits d’auteur seront bien préservés. Côté tendances, Pascal Pouliquen a constaté que, depuis quelque cinq ans, «nous ne sommes plus dans le consumérisme, les clients recherchent la particularité, le sur-mesure. Ils prennent le temps, discutent, s’intéressent aux matériaux, aux savoir-faire, et nous arrivons à trouver des prix en accord avec leurs attentes, comme des “tissés manuel couleur” sur mesure à 145 € le mètre carré ! Les valeurs humaines et humanistes sont plus importantes que dans les années 1980-1990.» Dans ce processus de transformation en cours, il imagine un retour possible du tissage et d’un travail artisanal de qualité en France… autrement, bien sûr. Un modèle à inventer.