Si le pouls du Pavillon des arts et du design bat la chamade à Londres l’édition britannique ayant gagné en quelques années les faveurs des galeristes , son cœur reste résolument parisien. Les amateurs ne s’y trompent pas. Ils viennent y respirer cette atmosphère si particulière que l’on doit à la fois au lieu, le jardin des Tuileries au début du printemps, et à l’histoire de la capitale, qui, en plus d’être la patrie incontestée des arts décoratifs, abrite les «meilleurs marchands au monde», comme aime à le répéter le président de la manifestation, Patrick Perrin. Sur les stands de la petite soixantaine d’exposants un brin plus nombreux qu’en 2017 , l’art nouveau, l’art déco et plus généralement la création du XXe siècle côtoieront comme à leur habitude quelques joailliers et galeries d’arts extra-européens, pour une offre judicieusement diversifiée. On le sait, l’éclectisme est l’Adn du PAD. Et qui mieux que Charles Zana invité cette année à décorer le Studio, ce «petit appartement du collectionneur» , pour en représenter l’excellence à la française ? L’architecte d’intérieur et amateur d’art contemporain y mettra notamment en scène les céramiques d’Ettore Sottsass, dont il est fin connaisseur et collectionneur.
Francophonie élargie
«À Paris, il y a une ambiance particulière, un “esprit décoration”, si bien qu’on se laisse toujours tenter», confie la galeriste d’art moderne Hélène Bailly, une cliente fidèle qui revient aujourd’hui en tant qu’exposante proposer des céramiques de Miró et un impressionnant brochet signé des Lalanne. Une première participation après dix ans d’absence, rendue possible par le nouveau calendrier du PAD, enfin désynchronisé du Salon du dessin. Comme ses camarades, elle va tenter d’y séduire une clientèle majoritairement francophone. «Le salon est fréquenté par les Parisiens, mais aussi par les collectionneurs suisses et belges, lesquels répondent toujours présents», commente Sophie Maynier, de la galerie Mouvements modernes. Elle rappelle cependant la visite, en 2017, de «quelques amateurs américains et britanniques, et d’autres encore, résidant en Europe de l’Est». Son stand sera adapté à ces clients, attirés par une offre «plus classique» qu’à Londres et au budget «raisonnable» entendez moins de 50 000 €. D’où l’importance de proposer une sélection «complète», mêlant pièces historiques cette année un bel ensemble de Garouste et Bonetti édité dans les années 1980 par Neotu et contemporaines. Même stratégie pour la galerie Dansk Møbelkunst, qui signe le grand retour au PAD du mobilier scandinave. Sandrine Daban espère ainsi fidéliser une clientèle parisienne encore peu familière du design danois tel que le conçoit l’enseigne de Copenhague, c’est-à-dire limité «aux toutes premières pièces fabriquées en collaboration avec un ébéniste». Cette habituée de la Tefaf et de Design Miami proposera ici des références du genre : de la chaise «NV45» de Finn Juhl à un canapé de 1940 de l’aîné Frits Henningsen, un «meuble exceptionnel, en parfait état et dont la production en petite quantité a été interrompue dans les années 1960».
Sang neuf
Si l’on retrouve les habitués du salon dont Flak, lauréat du Prix du stand en 2017, qui remet son trophée en jeu avec une collection de crochets et figures sepik très prometteuse , le renouvellement des exposants s’impose d’ores et déjà par le nombre : une dizaine environ, en comptant les retours (tels Hélène Bailly et Dansk Møbelkunst). Du sang frais venant aussi compenser les départs : Downtown depuis 2017, la galerie Kreo cette année, laquelle ne semble jurer que par l’édition londonienne. «Place aux jeunes», exhortait Patrick Perrin à l’occasion de la première édition du PAD Genève. Le président du salon n’hésite en effet pas à donner leur chance à de nouveaux prétendants, parfois sur simple recommandation. C’est ainsi que l’artiste Véronique Ganem de Louisélio a reçu, à quelques semaines de l’inauguration, un coup de fil lui proposant de participer. «J’avais candidaté sans grand espoir», raconte cette spécialiste du grès émaillé, dont la clientèle est basée en Suisse et en Belgique. Sur son stand : des natures mortes inspirées par les paysages islandais. Parmi les autres primo-arrivants, une enseigne grecque devrait dépayser les amateurs avec des pièces contemporaines à l’esprit antique (voir Interview, page 21), tandis que la Belge Ming-Ki renforcera les effectifs du côté des arts d’Asie. Le reste des troupes, se déplaçant sans exception de l’Hexagone, viendra grossir le secteur des arts décoratifs du XXe siècle (Missakian, Portuondo, Damien Tison, WA Design) et du design contemporain (Pouenat, Mougin). Relève en vue ?
Pièces fraîches et tendances seventies
Qu’ils soient vieux baroudeurs du PAD ou jeunes pousses, tous, ou presque, joueront la carte de l’inédit. Pièces gardées bien au chaud jusqu’au jour J et modèles fraîchement produits. C’est le cas de la galerie Negropontes, qui dévoilera les dernières créations d’Hervé Langlais : banc et console architecturés, se situant plus que jamais dans la lignée de l’art décoratif à la française. Clara Scremini ose pour sa part le focus sur le Tchèque Martin Hlubucek, dont la stricte géométrie des lignes réactualise la tradition des arts verriers de Bohême. Et quand les pièces en question ne sont pas nées en 2018, elles ont souvent bénéficié d’un lifting. Ainsi en est-il d’une commode étincelante de Jean Dunand chez Jacques Lacoste, datant de 1926 et restaurée pour l’occasion, tout comme d’un miroir signé Mariano Andreu et Serge Roche en 1935, dont Alexandre Biaggi a su préserver la délicatesse de la technique du paperolles. Chez Yves Gastou, les fantasmes futuristes du sculpteur François Cante-Pacos sont à l’honneur avec une collection dessinée dans les années 1970 et aujourd’hui éditée en série limitée par la galerie. Le cabinet en laque ivoire Carapace réinjecte un esprit seventies au PAD, souffle que l’on retrouve sur le stand de Meubles et lumières. Transformé en appartement haussmannien, celui-ci accueillera les lampes de Michel Boyer éditées par Verre Lumière, ainsi qu’un fauteuil conçu par Gilles Saint-Gilles pour son hôtel particulier, une pièce unique, et un rare canapé modulaire de Xavier-Féal, dont la production court à peine sur cinq ans. À noter également, la percée des œuvres tissées, signées Maria Wierusz Kowalski (1926-1997) chez Mahaux et Alexandra Mocanu chez Mouvements modernes. La jeune artiste et restauratrice a créé ce projet spécialement pour le salon. La tapisserie viendra peut-être ainsi rejoindre la céramique, le galuchat (Karen Swami) et le bronze animalier (Dumonteil) dans la catégorie des nouvelles coqueluches d’un marché qui sait initier les retours en grâce.