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Outsider Art Fair, édition très spéciale

Publié le , par Stéphanie Pioda

Entre recours au numérique et exposition physique à Drouot, cette 8e édition parisienne s’avère résolument américaine, les galeries d’outre-Atlantique représentant plus de la moitié des participants.

Dwight Mackintosh, Untitled (DMa 358), 1988, encre, aquarelle et crayons de couleur... Outsider Art Fair,  édition très spéciale
Dwight Mackintosh, Untitled (DMa 358), 1988, encre, aquarelle et crayons de couleur sur papier, 22 29,75 cm. 
© Courtesy creative growth (Oakland)

La mutation digitale semble inévitable et «la pandémie vient accélérer l’utilisation de cet outil», selon la nouvelle directrice de l’Outsider Art Fair (OAF), Nikki Iacovella. Elle va encore plus loin et émet un pronostic : «Je pense que la composante numérique comptera désormais, même après le Covid-19. Elle ne remplacera pas une foire d’art physique, mais en sera un élément constitutif dans le futur.» Cette mutation en cours va au-delà de ce type de rendez-vous artistiques. Elle a par exemple bouleversé le basculement du modèle de la galerie American Primitive, qui participe à l’Outsider Art Fair, depuis la première édition new-yorkaise en 1993. Son directeur, Aarne Anton, s’explique : «En raison de la pandémie, qui n’en finit pas, j’ai pris la décision de fermer mon espace à New York et de travailler depuis ma maison de campagne dans le monde virtuel. L’exposition en ligne est un moyen bienvenu de participer à des événements de la manière la plus sûre, même à de grandes distances.» L’OAF s’est par ailleurs déjà confrontée à l’exercice, avant cette 8e édition parisienne. Entre mai et août dernier, elle a créé un événement sur Internet intitulé Art Brut Global, une exposition virtuelle en trois volets composée d’une sélection d’œuvres provenant de galeries et marchands de renom (American Primitive, Henry Boxer, Cavin-Morris, Carl Hammer, Yukiko Koide, Creative Growth, Andrew Edlin, J.-P. Ritsch-Fisch, la galerie du Marché, les Yeux fertiles). Appréciant une présentation très simple – les photos d’œuvres sont affichées avec les légendes et les prix –, 5 000 visiteurs se sont inscrits sur le site. Difficile de mesurer le succès de l’opération, qui s’est étirée sur quatre mois contrairement aux quatre jours habituels de la foire : sur les 102 œuvres du premier volet par exemple, seules onze sont identifiées comme vendues. «D’après les retours des galeries, un nombre encourageant d’acheteurs a visité Art Brut Global, dont beaucoup étaient des collectionneurs néophytes de la foire», relève Nikki Iacovella. Éric Gauthier, de la galerie Le Moineau écarlate (Paris), est satisfait de cette opération qui est, selon lui, plus tournée vers les États-Unis. Le rapport au numérique paraît en effet moins évident en France, ce qui éclairerait la sélection de cette édition parisienne de l’OAF, comptant seulement quatre galeries françaises (Le Moineau écarlate, Pol Lemétais, Frédéric Moisan et Polysémie) sur les trente-neuf participantes, contre vingt américaines. En présentiel, en 2019, le rapport était inversé... Nikki Iacovella se veut cependant rassurante : «Beaucoup de nos exposants français sont issus d’un longue tradition d’éminents marchands d’art brut. Ils sont parmi les meilleurs dans le domaine. S’il reste un certain scepticisme quant au modèle en ligne, beaucoup ont exprimé leur enthousiasme à l’idée de revenir au salon physique en 2021.» Toujours est-il que cette édition ressemble plus à un prolongement de l’édition new-yorkaise de janvier, qui a pu se tenir de justesse, et où près de 10 000 visiteurs se sont pressés, soit 8 % de plus qu’en 2019. L’inévitable digitalisation rend de fait obsolète la notion de géographie.
 

Bill Traylor, Untitled - Femme pointant, 1938-1943, crayons, feutres et aquarelle sur carton récupéré, 35,5 x 28 cm.  COURTESY CARL HAMMER
Bill Traylor, Untitled - Femme pointant, 1938-1943, crayons, feutres et aquarelle sur carton récupéré, 35,5 28 cm. 
@ Courtesy Carl Hammer Gallery (New York)

Les atouts du virtuel
Pour séduire galeries et collectionneurs, il était important de faire évoluer le modèle de plateforme. Selon la directrice, celle-ci sera plus ergonomique et dynamique que celle d’Art Brut Global, afin de compenser au mieux la privation du rapport direct à l’œuvre. Des salles d’exposition en ligne sont prévues, où l’on pourra se projeter comme dans une pièce, zoomer sur les œuvres, accéder à une présentation des artistes. Le tout est géré par Artlogic, prestataire déjà bien implanté dans le monde des galeries d’art. Chaque exposant est limité à une sélection de quinze œuvres –une contrainte du modèle qui privera de l’exclusivité que les galeristes savent réserver à leurs collectionneurs. Comme le précise Pol Lemétais : «Certains acheteurs aiment fouiller dans les réserves et les cartons pour dénicher des pièces, et je profite toujours d’une foire pour présenter certaines œuvres, que je garde pour certains en fonction de leurs affinités.» Cependant, avantage indéniable, «toutes les galeries ont la même présence», estime Éric Gauthier, qui poursuit : «En tant que galerie spécialisée dans les découvertes, c’est toujours plus difficile pour moi d’avoir une visibilité dans une foire au milieu d’autres stands.» Tous sont donc sur un pied d’égalité. Ainsi, les dessins inédits de Charles Schley (autour de 8 000 €), qu’il présente avec des petits formats de Cédric Laplace et d’Eugène Lambourdière dit «Maurice» (dès 500 €), ou ceux de Demin (700 €) et d’Ayako Miyawaki (20 000 €), chez Patrick Moisan (Paris), seront à la même portée de clic que les œuvres de Henry Darger ou de Bill Traylor qui flirtent avec les 250 000/350 000 $ chez Carl Hammer (Chicago), les peintures d’Augustin Lesage (40 000 €), chez Pol Lemétais, ou d’Emery Blagdon (10 000/50 000 $) chez Cavin-Morris (New York). Shari Cavin a en effet choisi de consacrer sa sélection à cet artiste et à ses «machines de guérison». «Blagdon ne considérait pas les peintures comme des œuvres en tant que telles. Il les appelait “mes jolies”. Nous pensons qu’il les voyait comme une sorte de circuit imprimé, car il les a placées sous des machines dans un hangar, peut-être comme un moyen de guérir les gens. Ses œuvres sont entrées dans la collection abcd de Bruno Decharme à Paris ou au Museum of Everything et au Smithsonian Museum of American Art.»

 

Johann Garber, Stadt Wien, 2018, encre de Chine, 29,7 x 42 cm. COURTESY GALERIE GUGGING (MARIA GUGGING)
Johann Garber, Stadt Wien, 2018, encre de Chine, 29,7 42 cm.
© Courtesy Galerie Gugging (Maria Gugging)

Artistes à découvrir
La foire ne sera pas forcément le lieu où seront mis en avant les artistes devenus les pierres angulaires du champ de l’art brut et outsider comme Aloïse Corbaz, Henry Darger, Thornton Dial, Martín Ramírez, Judith Scott, Bill Traylor et Adolf Wölfli, mais plutôt un endroit où faire des découvertes avec Kambel Smith, Helen Rae, Yuchiro Ukai, M’onma ou Daniel Gonçalves. Les montants dépensés en ligne sont plus bas, comme l’explique Nikki Iacovella : «Nous avons remarqué que les achats sur les plateformes numériques se font généralement à des prix inférieurs que sur les foires physiques, mais nous voyons des signes encourageants traduisant une évolution des habitudes des amateurs à acheter en ligne. En ce qui concerne les prix moyens, ils varient de 2 000 à 75 000 $, alors que sur une foire physique les œuvres peuvent aller de 500 à 1 M$. L’offre touche aussi bien le collectionneur chevronné que quelqu’un qui commence tout juste à s’intéresser au domaine.» Les visiteurs parisiens pourront faire l’expérience d’une exposition réelle à l’Hôtel Drouot, «Sexual Personae», à travers une sélection proposée sous le commissariat d’Alison Gingeras (voir page 204), dédiée à la représentation de figures féminines, avec une large sélection d’artistes autodidactes, outsiders et bruts. Toutes les œuvres seront proposées à la vente en salle 9 de l’Hôtel Drouot et sur le site de Drouot Digital. En complément, un programme de conférences en ligne animera un événement, «nécessaire afin de maintenir le contact avec le public, avec les collectionneurs, les experts et même les passionnés», comme l’affirme Antonia Jacchia, de la galerie Maroncelli 12 (Milan). «Dans cette situation difficile, une foire virtuelle est le seul moyen de maintenir la visibilité des galeries et de se concentrer sur le monde magnifique de l’art brut, qui continue de produire des œuvres extraordinaires.»

à savoir
Outsider Art Fair – 8e edition.
Foire digitale, du 21 au 30 octobre.
www.outsiderartfair.com 
Exposition «Sexual Personae»
9, rue Drouot, Paris IXe.
Du 22 au 30 octobre Hôtel Drouot.
www.drouotdigital.com
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