Du 2 au 5 mars 2023, la 31e édition de l’Outsider Art Fair s’est tenue au Metropolitan Pavilion de Chelsea pour célébrer la diversité et la vivacité de l’art autodidacte.
L’Outsider Art Fair, à New York, vibre toujours d’une énergie un peu particulière. Sans doute faut-il y voir la marque d’une ouverture d’esprit, propre à la communauté des amoureux de cet art des marges, ainsi que de la dimension humaine de l’événement. «Ce qui est très intéressant avec l’Outsider Art Fair, c’est que vous y croisez aussi bien les grands collectionneurs historiques qu’un public qui vient sans a priori le week-end, pour découvrir des choses fraîches sortant de l’ordinaire. Et ça, c’est très positif pour nous, galeristes», confie Pol Lemétais, seul marchand battant pavillon français lors de la 31e édition de cette foire défricheuse. Si l’événement cette année réunissait 64 exposants – dont douze nouveaux venus – venant de huit pays, la sélection s’est avérée massivement américaine contrairement aux éditions précédentes, qui accueillaient les galeries européennes à bras ouverts. Le lien s’est peut-être distendu entre les deux continents, la crise sanitaire ayant causé par trois fois l’annulation de l’avatar parisien de la foire. «Il y a cinq ans, nous étions effectivement plus nombreux à New York», poursuit Pol Lemétais, présent pour la septième fois.
Galeries fidèles
Le galeriste aveyronnais, qui confie avoir réalisé de bonnes ventes, observe cependant un léger retrait du marché de l’art new-yorkais : «Personnellement, je ne l’ai pas ressenti, mais mes confrères américains notent que les acheteurs sont un peu sur leurs gardes à cause des incertitudes économiques du moment.» Quoi qu’il en soit, l’ambiance était au beau fixe, selon les participants. Nouvellement nommée directrice de la manifestation, Sofía Lanusse résume l’énergie de l’édition : «Je suis impatiente de poursuivre l’élan créatif généré par la foire et de continuer à repousser les limites de l’art brut, ce qui a fait la renommée de l’Outsider Art Fair.» Fondée en 1993, celle-ci avait été rachetée en 2012 par Wide Open Arts, une entreprise créée par le galeriste Andrew Edlin, qui occupe toujours la présidence avec abnégation. La longévité et le succès de l’Outsider Art Fair lui valent la fidélité des galeries de la première heure, telles que les new-yorkaises Cavin-Morris, Marion Harris et Ricco/Maresca, ou encore Fleisher/Ollman (Philadelphie) et Carl Hammer (Chicago). James Barron, marchand établi à Kent, dans l’État de Washington, revient enchanté de sa huitième participation : «L’Outsider Art Fair a été fabuleuse cette année ! Le public était de retour, enthousiaste, désireux de parler et de voir de l’art. Le contraste était frappant par rapport à l’année dernière, lorsque le variant Omicron a durement frappé New York. L’énergie était excellente, ce fut un succès !» Ravi de cette édition, le galeriste a vendu une dizaine d’œuvres de Vera Girivi. Nous avons placé dans quelques grandes collections privées Anet Sobel, dont nous avons présenté des œuvres encore jamais vues hors de la famille proche d’Arshley Shapiro (sa petit-fille, ndlr). Nous avons aussi fait découvrir à de nouveaux clients Elisabetta Zangrandi et exposé le travail de Reza Shafahi, Sidival Fila, Elisabetta Maestro, Sara Sebastianis», égrène-t-il.
Artistes inuits
«La plupart des œuvres présentées à la foire venaient d’artistes confirmés. Je ne me lasse pas de voir Eugene von Breunchenheim, mais il y avait aussi de nouveaux trésors, estime pour sa part le galeriste Benjamin Tischer. Dorothy Foster et Adams and Ollman ont été de merveilleuses découvertes. J’ai vendu beaucoup avant la foire, mais j’ai quand même pu placer quelques pièces à de nouvelles personnes. Et David Byrne est venu à mon stand !» Parmi les œuvres phares présentées cette année, Donald Ellis a dévoilé un groupe de dessins au graphite et aux crayons de couleur de l’artiste inuit Parr (1893-1969), célèbre aujourd’hui pour ses représentations de la chasse, des animaux et de la figure humaine. Nouvelle venue, Feheley Fine Arts (Toronto) s’est elle aussi intéressée à la création des artistes inuits. Chez Shrine (New York), on remarquait les œuvres de Mary T. Smith (1904-1995) et de David Butler (1898-1997), deux figures de la tradition sudiste des yard shows, où les artistes noirs décoraient leurs habitations pour transmettre des messages ne pouvant être exprimés ouvertement. Valley House (Dallas), qui exposait pour la première fois, montait une mini-rétrospective de l’artiste autodidacte texan Valton Tyler (1944-2017), tandis que l’étonnante série de huit peintures, «The Life and Death of Elvis Presley : A Suite», créée par l’artiste et architecte américain Paul Laffoley, achevée en 1995, chroniquait de manière toute personnelle les différentes phases de la vie du King. «Le concept de l’Outsider Art Fair est basé sur la présentation d’un large éventail d’artistes, c’est ce qui rend la foire si particulière», explique James Barron. Alors que selon une coutume bien française, la dénomination de cette forme d’expression fait encore et toujours l’objet de débats sans fin – art brut, naïf, populaire, marginal, autodidacte, indiscipliné, singulier… –, l’outsider art d’outre-Atlantique s’ouvre sans distinction à toutes les expressions de la marge. «La seule question qui mérite d’être posée est : “Les œuvres font-elles sens ?”», comme le rappelle Andrew Edlin. Un questionnement qui se prolonge jusqu’au 31 mars avec les Online Viewing Rooms de l’événement.