À Sète, l’ex-directrice du centre régional d’art contemporain revient sur son parcours, les centres d’art, la scène actuelle française et ses projets.
Entre elle et les artistes, c’est une longue histoire qui s’écrit à travers la création d’écoles, de résidences, d’éditions et d’expositions. Intarissable, passionnée et passionnante, cette «fausse directrice de centre d’art» et «fausse commissaire d’exposition», selon ses propres termes, fut plasticienne avant de devenir l’instigatrice de la villa Saint Clair, puis du centre régional d’art contemporain (CRAC) à Sète. Délaissant sa pratique pour mettre en lumière celle des autres, elle révéla de multiples talents, désormais internationalement reconnus, et assure aujourd’hui la transition jusqu’à la nomination d’un nouveau directeur. Tout en songeant, pourquoi pas, à de nouvelles aventures artistiques, dont l’écriture. Retour sur sa carrière et sa vision engagée du métier, voué à la cause des artistes et du public.
À quand remonte votre amour pour l’art ?
Très tôt, j’ai su que mon destin était lié à ce monde. Chez le médecin de mon village, Culan, dans le Cher, il y avait des peintures dont l’une, intrigante et colorée, signée Maurice Estève, me fascinait. À la fin des années 1950, j’avais 10 ans et, malgré ma timidité, j’ai décidé de le rencontrer, puisqu’il habitait la commune, pour savoir comment faire pour «devenir artiste». À cette époque, Pablo Picasso exposait aussi dans le château. Ma rencontre précoce avec ces deux personnages eut une influence sur la suite.
En 1970, vous êtes étudiante en arts décoratifs à Limoges puis, en 1973, à la villa Arson à Nice… Que retenez-vous de cette période ?
Un contexte très stimulant et créatif. Dans cette ville marquée par le nouveau réalisme et l’école de Nice, j’exposai pour la première fois, en 1973, à La Fenêtre, la galerie de Ben Vautier…
En 1978, on vous retrouve enseignante à l’école des beaux-arts de Toulon, puis à la tête de celle de Sète. Pourquoi ce chemin ?
Je cherchais un emploi. J’étais hostile aux formes d’enseignement classique et considérais les écoles d’art comme les seuls espaces d’épanouissement fantastiques. En fait, je crois m’être intéressée «malgré moi» à l’enseignement, car je voulais faire bouger les choses dans ce domaine !
Meniez-vous de front votre carrière artistique et celle de directeur de centre ?
Non. J’ai cessé de créer et d’exposer en 1988, à la suite de mon entrée en fonction à la direction de l’école municipale des beaux-arts de Sète.
Comment en avez-vous appréhendé la direction ?
L’école fonctionnait avec des ateliers ouverts à tous et une année préparatoire aux écoles supérieures d’enseignement artistique. J’ai proposé d’y adjoindre une programmation de résidences d’artistes, orientée vers l’actualité de la création nationale et internationale. C’était un espace sans contraintes, où chacun des artistes était libre de produire, d’exposer, de publier. Seul le choix de ces derniers déterminait l’ampleur du projet. L’attention et l’accompagnement à leur réalisation matérielle, l’organisation de rencontres transversales créatives, nourrissaient leurs pratiques. Au bout d’un an, je leur proposais d’éditer un livre d’artiste. Ceci contribuait à renforcer mon lien avec eux dans la durée. J’ai changé l’appellation de l’école villa Erialc pour «villa Saint Clair», dont le projet d’ensemble comprenait l’école, la résidence et les éditions de livres d’artistes. Passionnée par l’écriture et les livres d’art depuis l’enfance, je rêvais, en tant qu’artiste, d’avoir un livre qui soit plus qu’un simple catalogue. D’où l’idée de créer cette forme d’édition. Le livre d’artiste est un espace différent du lieu d’exposition, à investir, non à subir.
Parmi les expositions de la villa, quelles sont celles vous ayant le plus marquée ?
Il y en a beaucoup ! La première, bien sûr, fut importante. En 1988, Yan Pei-Ming, Jean-Michel Othoniel et Philippe Perrin investirent 1 000 mètres carrés chacun dans l’ancienne caserne Vauban. L’exposition «Moules Moules» en 1991, organisée par les associations Nouvelle Vague et Villa Saint Clair avec l’ami Bernard Marcadé, à l’espace Paul Boyé, a été l’une des plus festives, car elle impliquait toute la ville. Cette configuration triangulaire, avec une école, une résidence et un site d’exposition distincts, conférait à l’ensemble une dynamique transversale, proche d’un centre d’art où l’on forme, crée et expose. Le vernissage, avec plus de mille personnes à table, fut un moment mémorable de partage avec les artistes et les habitants !
Cette notion de partage, on la retrouve aussi dans vos actions menées dès 1997 au CRAC, à Sète, avec les créateurs et le public.
En effet. Pendant vingt ans, j’y ai créé des situations favorables à la création, à la diffusion et aux expositions. Les premières années, j’ai réalisé des manifestations collectives dans de bonnes conditions, afin que le visiteur se sensibilise à l’art dans une vision d’ensemble. La programmation se voulait généreuse, sans donner de leçons.
Qu’aimez-vous particulièrement dans la création d’une telle institution ?
Avoir affaire à des artistes vivants, et que tout soit en mouvement, contrairement à un musée, plus contraint par la présence d’une collection. Vous réinventez les formes des expositions, de la médiation et de la formation. Peu à peu, j’ai monté des solo shows, tels «The Diamonds Sea» en 2010, de Claude Lévêque, ou encore, entre autres, «S’inventer autrement» de Sylvie Blocher, en 2015-2016, car je ne voulais pas avoir la sensation de «trahir» certains au sein d’une manifestation collective. Plus qu’une directrice, je me considère comme une «artiste déplacée», accompagnant les plasticiens dans une réflexion et par mon écoute. Ces dernières années, j’ai à nouveau fait appel à ceux des premières heures, à travers le cycle de monographies «Les premiers seront les derniers». En présentant leur corpus dans un rapport au temps, je souhaitais en valoriser la pérennité.
Ne pensez-vous pas que la scène française actuelle manque de visibilité ?
De manière générale, on ne considère toujours pas assez les artistes pour ce qu’ils font ou sont, même si leur situation s’est améliorée. Quant à la scène hexagonale, elle serait plus présente à l’international si elle était déjà plus visible en France, à travers des expositions monographiques. Lorsqu’il m’est arrivé de montrer des artistes étrangers, je l’ai toujours fait en regard d’artistes français, afin de créer des échanges. En 1999, invitée en Islande, j’ai demandé à partager le commissariat pour créer des ponts et réaliser une exposition en deux temps : en premier lieu à Kopavogur, puis à Sète l’année suivante. En 2004, Laurence Gateau, la directrice de la villa Arson, et moi-même avons organisé «À l’est du sud de l’Ouest», en faisant un focus sur la diaspora française et européenne en regard des artistes chinois, et en associant le commissaire Hu Han Ru.
Qu’en est-il des financements ?
Si les subventions publiques ne suffisent pas, on en trouve toujours ailleurs. J’ai réalisé des projets avec beaucoup et peu de moyens. Au CRAC, lorsqu’on s’est aperçu d’un défaut de construction dans une salle, j’ai refusé de fermer pour travaux. J’ai alors eu l’idée de prévoir des nocturnes, avec le programme «Expositions en chantier», présentant la scène locale, des collectifs d’artistes… Ce fut très enrichissant !
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Après le suivi de ma dernière exposition, «Géométries amoureuses», de Jean-Michel Othoniel, j’ai invité Hugues Reip, l’un des premiers plasticiens à la villa Saint Clair, à assurer le commissariat de son projet «La tempête», dans l’attente de la nouvelle direction. Pour la suite, je songe à d’autres résidences, mais aussi pourquoi pas à l’écriture. Ne m’étant jamais autorisée à écrire, c’est peut-être l’occasion d’y réfléchir…
Que souhaitez-vous désormais pour le CRAC ?
Qu’il prenne encore plus d’ampleur à l’international, dans une synergie créative avec le futur centre d’art contemporain de Montpellier. Et que l’on croise les énergies, les financements, pour les belles générations d’artistes à venir.