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Montréal : le musée en partage

Publié le , par Sarah Hugounenq

Depuis dix ans à la tête du musée des beaux-arts de Montréal, Nathalie Bondil expérimente un modèle de musée humaniste. Visite façon cardio-training, cours de langues, mariages in situ sont autant d’expériences pour rendre le temple des arts à la société. Tour d’horizon d’une révolution.

Le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein du musée des beaux-arts de Montréal.... Montréal : le musée en partage
Le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein du musée des beaux-arts de Montréal.
© Marc Cramer

Et si l’histoire de l’art n’était plus l’alpha et l’oméga du musée ? La refonte du parcours du musée des beaux-arts de Montréal, depuis l’ouverture en novembre dernier d’un nouveau bâtiment, s’accompagne d’un bouleversement profond dans son identité et son appréhension. «L’art fait du bien socialement et individuellement. Le musée doit donc avoir un effet sur la société», martèle tel un credo Nathalie Bondil, sa directrice. Motivée au départ par l’accueil de la collection Michal et Renata Hornstein, riche de plus de six cents œuvres d’art ancien, l’annexion de cinq mille mètres carrés est moins une opportunité pour l’institution de redéployer sa collection d’art international que de renforcer sa place et ses missions dans les domaines éducatif, médical et sociétal.
Un musée pionnier
Fort d’une collection encyclopédique, le MBAM et son programme «Musée en partage», au titre digne d’un manuel de développement personnel plus que d’histoire de l’art, dégainent tous azimuts pour attirer le «public du champ social»  comme le dirait la France de manière moins attrayante. L’objectif est de valoriser la diversité et la mixité du tissu social dans lequel s’inscrit l’institution. En partenariat avec la commission scolaire de la ville, des activités pour lutter contre le décrochage scolaire sont proposées ; conçues comme des projets artistiques collectifs, elles permettent aux jeunes de nouer entre eux des liens, de s’affirmer et se valoriser par la création. Les communautés minoritaires, dont l’intégration sociale et historique est souvent délicate, sont également concernées. En 2016, de jeunes Québécois musulmans ont été conviés à prendre la parole sur des sujets tels que l’exclusion et l’islamophobie, et à présenter leurs créations comme reflet de leur place dans la société. Dans cet inventaire non exhaustif, tant le dynamisme de la programmation est grand, il faut aussi citer les initiatives menées en direction des familles monoparentales, de la communauté LGBT, des personnes à mobilité réduite, des 0-5 ans ou des aînés… Le musée va encore plus loin en faisant entrer de plain-pied la médecine dans ses murs. Première mondiale, un médecin a fait son entrée dans l’équipe de l’institution. Plusieurs fois par semaine, l’art-thérapeute reçoit les patients, venus spontanément ou par le biais des associations, dans une salle de consultation dédiée, au rez-de-chaussée du nouveau Pavillon pour la Paix. Le Canada est le premier pays au monde où un médecin traitant peut rédiger une ordonnance pour un quota de visites au musée, plutôt qu’un traitement médicamenteux. Les patients sont alors redirigés vers l’art-thérapeute qui déterminera le traitement adéquat entre thérapie individuelle dans le parcours permanent, ou collective au sein des ateliers du musée. Conçu comme un laboratoire d’innovation, l’établissement s’appuie sur des programmes de recherche d’une grande variété  autisme, Alzheimer, maladies cardiaques, prévention du suicide, traumatisme des anciens combattants  menés en partenariat avec des médecins et des chercheurs universitaires. Chaque projet suit une méthodologie exploratoire pour étudier de façon scientifique les impacts de l’art sur la santé physique ou mentale. Le principe de base est simple : la complexité des maladies mentales, du cancer et des pathologies cardiaques nécessite une approche globale et intégrée à l’environnement social, culturel et économique que permet le musée. «Le but est d’utiliser le musée comme une plate-forme qui puisse être utilisée par des experts [de la médecine] et qui ouvre nos salles à un nouveau public qu’on ne pourrait toucher autrement», explique Thomas Bastien, directeur du département Éducation et mieux-être au musée, dont le titre est à lui seul révélateur. Avec cette nouvelle aile abritant les espaces éducatifs et médicaux, l’institution ne se contente pas de s’agrandir, elle se réinvente dans la cité, selon des critères qui n’étaient pas les siens jusqu’à présent.

 

Atelier international d’éducation et d’art-thérapie au musée des beaux-arts de Montréal. Photo : MBAM, Denis Farley
Atelier international d’éducation et d’art-thérapie au musée des beaux-arts de Montréal.
Photo : MBAM, Denis Farley

Transcender l’histoire de l’art
L’importance croissante de ces activités a permis au musée de mettre sur pied une commission unique au monde, dite «art et santé», sous la présidence de Rémi Quirion, « Scientifique en chef » du Québec et directeur des Fonds de recherche. Treize experts bénévoles des milieux de la santé, de la recherche, de la philanthropie et des arts y valident les projets de recherche, évaluent les actions pilotes, renforcent la portée de l’art-thérapie, élargissent les partenariats internationaux. Le développement à l’échelle mondiale se vérifie avec la France depuis la signature en mars d’un partenariat avec nos musées nationaux, curieux de ces pratiques innovantes. Cet arsenal médical et psychologique n’est pas le vernis d’une politique sociale mais bien un guide muséographique. Ainsi, le parcours n’est plus commandé par la seule discipline de l’histoire de l’art. En perspective, des visites pour anorexiques et boulimiques avec l’institut Douglas, tandis qu’une vitrine des salles du XIXe siècle développe un discours sur la diversité du corps féminin, juxtaposant des nus tantôt plantureux, tantôt déconstruits ou filiformes, signés Maillol, Dalou ou Laurens. «Nous devons avoir une vision globale du musée, à construire comme un espace-temps déconnecté du reste de la vie. En abolissant les habitudes, je veux introduire du mythe dans le parcours et raconter des histoires», confie la directrice. Dans les salles du Siècle d’or, une rotonde conçue comme un cabinet de curiosités renferme des œuvres scientifiques ou ethnographiques, hors du champ immédiat de ce musée «des beaux-arts». S’y déploie un discours sur le rapport à la mort à l’aide de vanités, chaouabtis, sabliers et autres crânes, ou sur la rencontre de l’autre lors de la découverte des continents via des spécimens de sciences naturelles, des céramiques chinoises ou un sextant. Pour Nathalie Bondil, ce cabinet n’est pas seulement «l’origine de nos musées universalistes mais surtout une référence directe à notre histoire, à la mondialisation des échanges et au développement des sciences dont le musée doit se faire l’écho».

 

Atelier international d’éducation et d’art-thérapie au musée des beaux-arts de Montréal. Photo : MBAM, Denis Farley
Atelier international d’éducation et d’art-thérapie au musée des beaux-arts de Montréal.
Photo : MBAM, Denis Farley

Une mission humaniste
On ne vient donc plus pour contempler l’art mais pour s’ouvrir. Musée curieux, à l’affût de nouvelles expériences qui prônent l’accueil de toute une société dans sa diversité et sa mixité, le MBAM distille un ensemble de signaux à destination de chacun. Ici, l’artiste Charles Joseph (né en 1959), de la nation kwakiutl de la côte Ouest canadienne, crée un totem sur le territoire ancestral de la nation kanien’kehá:ka comme un message à la communauté autochtone. Là, un mariage est célébré au cœur de l’exposition «Love is Love : le mariage pour tous selon Jean Paul Gaultier», dans une logique de promotion de la lutte contre les LGBT-phobies. Plate-forme de la liberté d’expression, le musée endosse une mission humaniste. Dans cette perspective, l’intitulé de la campagne de financement annuel n’est pas anodin : «Mon musée à mon image». Danielle Champagne, directrice de la fondation du MBAM, à la recherche de fonds privés pour sponsoriser l’intégralité de ces activités, le confirme : «L’éducation n’est pas une mission du musée, c’est notre valeur.» La société le finançant, le musée a le devoir de lui rendre à sa façon ce qu’il a reçu. Une philosophie à mieux prendre en compte en France pour décrisper les débats autour du financement de la culture ?

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