Faisant son lit de la catastrophe Nyssen, Franck Riester fut bien accueilli rue de Valois. Il bénéficiait d’un présupposé favorable de la part d’un milieu lassé des individualités égocentriques et erratiques qui s’y sont succédé. L’homme semblait se montrer à l’écoute de ses interlocuteurs et porter intérêt à des dossiers en souffrance. Mais ce n’est manifestement pas l’appétence pour la culture qui a porté l’intéressé. À ce jour, Franck Riester s’est comporté avant tout comme un politicien, s’adaptant à l’événement plutôt que le précédant. Handicapé comme ses prédécesseurs par l’appétit chronophage de l’audiovisuel, il est aussi prisonnier de l’héritage désastreux pour le patrimoine du quinquennat socialiste. Faute de moyens, il lui revenait de donner de la hauteur à son propos et d’entamer des réformes susceptibles de lui redonner une marge opérationnelle. Il n’a su faire l’un et n’a voulu entreprendre l’autre. La déception vient de son incapacité à mettre en musique les initiatives, souvent généreuses, parfois brouillonnes, d’Emmanuel Macron. À peine a-t-il fait mine d’hésiter devant le gaspillage farfelu du «Pass culture jeune». Il s’est montré incapable de saisir l’opportunité qui lui a été offerte de lancer une politique ambitieuse d’aide au patrimoine en Afrique, dont la France aurait pu être le leader en Europe. Il a été inaudible les premiers jours suivant l’incendie de Notre-Dame de Paris. Tout juste s’il a averti qu’«il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation» pour la reconstruire. Autrement dit, sa langue ne se distingue pas par la richesse de son pouvoir signifiant. Et puis, il a fait passer la loi d’exception, sans le moindre bémol. Une nouvelle épreuve l’attend, puisque le ministère de la Transition écologique, en l’occurrence bien mal nommé, a préparé pour juin un décret supprimant l’autorisation ministérielle requise pour les destructions ou aménagements des 2 700 sites naturels ou culturels protégés.
Ce permis pouvait déjà être délivré par les préfets pour les travaux de moindre importance. Ce sera désormais la règle, même pour des chantiers de grande ampleur. Les préfets étant bien plus sensibles aux pressions touristiques et économiques locales, les défenseurs de la nature et du patrimoine s’inquiètent. L’association des inspecteurs des sites avoue en attendre une «dégradation» des lieux. L’équivalent d’un département français disparaît déjà sous le béton tous les sept à dix ans. Interrogé sur sa position, le ministre de la Culture répond qu’il n’en a pas, puisque le texte est porté par son collègue, même s’il dit s’être manifesté pour protéger l’avis des architectes des Bâtiments de France. Les associations redoutent évidemment une inégalité de traitement d’un département à l’autre selon la personnalité du préfet. Il se trouve que nous nous étions émus de l’initiative prise par l’un d’eux de faire baisser les subventions au petit patrimoine rural quand il parvient à trouver du mécénat. Le sénateur Alain Schmitz s’est saisi de la Gazette pour s’en émouvoir auprès de Franck Riester. Sans répondre sur le fond, celui-ci lui a indiqué le 10 mai qu’il avait «immédiatement alerté ses services». Le courrier du sénateur datait du 2 avril. En langage administratif, l’immédiateté ne revêt sans doute pas tout à fait le même sens que l’acception commune.