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Mathias Coullaud, dandy et visionnaire

Publié le , par Stéphanie Pioda

Pour cet érudit quadragénaire, la galerie est devenue la colonne vertébrale d’un écosystème de plus en plus diversifié. Un modèle économique qui transforme le rôle et les attributions du galeriste.

© LISA ROZE Mathias Coullaud, dandy et visionnaire
© LISA ROZE

Quel genre de galeriste êtes-vous ?
J’ai toujours pensé que j’étais atypique car je n’ai pas suivi le parcours classique, avec les études d’art, le stage en galerie, etc. Je suis né dans une famille de collectionneurs avec des grands-parents passionnés et un père qui était totalement obsédé par sa collection, au point de consacrer tous ses loisirs à l’art. Je ne me souviens pas du moment où j’ai ouvert la Gazette de l’Hôtel Drouot pour la première fois, mais je la lis chaque semaine depuis toujours. Mon père l’achetait le vendredi soir au kiosque de l’aéroport de Toulouse et j’étais le premier à prendre le magazine pour lui cocher les pages qui pouvaient l’intéresser. J’avais 10 ou 12 ans. Le magazine était encore en noir et blanc, et je me souviens des premières pages en couleur avec les annonces des ventes des études Ader, Picard, Tajan et Guy Loudmer...
Si jeune, vous aviez donc une grande connaissance du goût de votre père et du marché !
Oui ! Je sélectionnais la peinture des années 1880-1920, la période qui l’intéressait. Il m’amenait avec lui dans les ventes, localement et à Paris, ainsi je me souviens avoir assisté à une vente aux enchères aux côtés du grand expert de l’époque André Schoeller. C’est dans ces ventes que je commence à découvrir les abstraits des années 1950, Tàpies, Soulages… Puis Barceló, Combas… : l’art contemporain de l’époque, que je regardais plus que mon père.
Vous auriez pu devenir commissaire-priseur…
Oui, tout comme mon père a failli l’être dans les années 1980 (il était huissier), mais j’ai étudié les lettres, la poésie contemporaine et l’histoire médiévale, par rejet du droit. J’appartiens à une famille où on fait du droit depuis le XVIIe siècle ! Vu mon profil, il était hors de question de suivre cet atavisme. En revanche, après avoir travaillé plusieurs années dans le spectacle vivant, je suis celui qui a fait son métier de la passion familiale, transmise depuis trois siècles.
Vous avez ouvert votre galerie en 2012. Est-ce qu’avec l’évolution du marché et les difficultés actuelles, il serait envisageable de se passer d’un lieu ?
Non, malgré le coût que cela représente. Je pense que le modèle de la jeune galerie est en train d’éclater (et ce n’est pas propre à Paris), celui qui consiste à émerger et croître en même temps que des jeunes artistes. On parle beaucoup d’un marché de l’art extrêmement florissant, mais cette dynamique-là se situe à un très haut niveau financier et une jeune galerie n’arrive pas à l’atteindre.

 

Vue de l’exposition Jérôme Borel, peintre français ? (9 septembre - 29 octobre 2016)
Vue de l’exposition Jérôme Borel, peintre français ? (9 septembre - 29 octobre 2016) © LOUIS DELBAERE /COURTESY GALERIE MATHIAS COULLAUD

Cela reste un secteur très cloisonné par tranches de prix. Quel serait le seuil à atteindre ?
Je pense qu’on passe dans une autre catégorie au-delà de 100 000 €.
Comment attirer les collectionneurs qui ont un réel pouvoir d’achat vers des artistes en devenir ?
Je pense que ce n’est pas ainsi que le problème doit être posé. Il faut que la galerie soit le cœur d’un écosystème innervant d’autres activités lucratives pour s’assurer une liberté de programmation. Nous sommes devenus des «slasheurs», multipliant les rôles : je suis galeriste/conseiller pour collectionneurs/curateur/organisateur de relations publiques via l’art pour des sociétés comme Vertu...
Ce sont donc les activités périphériques qui font vivre économiquement la galerie ?
Oui, mais si on enlève le lieu, il n’est plus possible de faire le reste. C’est un tout. Je l’ai compris lorsque j’ai eu des velléités de me séparer de la galerie pour réduire les dépenses. Et puis, on demande beaucoup d’incarner des choses, d’où l’importance d’affirmer mes préoccupations personnelles à travers la programmation et non pas de coller le plus au marché, comme certains le disent.
Vous vous inscrivez en marge car, aujourd’hui, nombreuses sont les galeries à s’effacer et à donner carte blanche à des commissaires.
Les expositions que je programme sont toujours le reflet de mes préoccupations artistiques et intellectuelles, même lorsque j’ai invité Dominique Païni pour «Cocteau contemporain», en janvier-février 2015. Il faut savoir s’adjoindre des compétences si nécessaire.
Quel est le coût d’une galerie comme la vôtre ?
Lorsque j’allume la lumière le 1er janvier, je suis à moins  120 000 € ! Sans me payer. Il faut 300 000 à 400 000 € de chiffre d’affaires pour être à peu près à l’équilibre, toujours sans me payer.

 

James Bidgood (1933), Vintage 040, 1963, vintage C-Print, 9 x 9 cm.
James Bidgood (1933), Vintage 040, 1963, vintage C-Print, 9 x 9 cm. © JAMES BIDGOOD

Vous représentez des artistes comme Zoulikha Bouabdellah, Gregory Forstner, Jérôme Borel, Scott Hunt ou Valérie Sonnier. Dans quelle fourchette de prix se situent-ils ?
De 2 000 à 25 000 €. Il s’agit là de la réalité du marché, avec un panier moyen du collectionneur français autour de 5 000/10 000 €. En 2017, j’ai en projet de faire des expositions avec Michel Auder, Jean-Jacques Lebel et Christopher Knowles, le peintre et poète américain qui a inspiré Bob Wilson pour Einstein on the Beach.
Vous êtes très peu présent sur les foires. Quelle est votre politique ?
Je défends toujours la même ligne, à savoir que je ne suis pas intéressé par les «off» de grandes foires, qui exigent beaucoup d’argent et d’énergie sans forcément un retour intéressant en termes financiers ou d’image. Je préfère me consacrer pour l’instant à des foires de niches : Drawing Now, si j’ai un projet lié au dessin, Loop, autour de la vidéo à Barcelone, que j’aime beaucoup, Independent, à Bruxelles, qui est très exigeante avec le côté «solo show», avant d’intégrer un jour les grandes foires internationales… Je fais vivre la galerie à travers des soirées privées, des cocktails, des dîners, ce que ne font pas beaucoup mes confrères.
Actuellement vous exposez vingt-cinq tirages vintage de James Bidgood…
C’est le précurseur d’une des esthétiques contemporaines majeures, que l’on retrouve dans les clips ou la mode aujourd’hui et dont se réclament des artistes comme David LaChapelle, Pierre & Gilles ou Jean Paul Gaultier... Quand Fassbinder tourne Querelle, à partir du roman Querelle de Brest, de Jean Genet, en 1982, on comprend très bien la référence à Bidgood également. Lorsque celui-ci a réalisé ses Polaroïd en 1963, il a dû faire face à des condamnations pénales pour ce travail lié à l’homosexualité car, aux États-Unis, il était alors interdit de représenter un homme nu ! C’est un marginal qui était considéré comme un « gay» et un «pervers», et qui est célébré de nos jours, cinquante ans après.
Que devient-il aujourd’hui ?
Il a 84 ans et vit grâce à l’Obamacare à New York, dans un état de grande pauvreté. Entre 1971 et son film culte Pink Narcissus (qu’on a attribué un temps à Kenneth Anger puis à Warhol), il y a eu comme un trou noir de trente ans, jusqu’en 2000 où l’on a commencé à s’intéresser à lui de nouveau.
Ses photographies sont vendues 4 500 €, ce n’est finalement pas si cher pour un artiste qui a posé sans le savoir les bases d’une esthétique aussi contemporaine…
Mais ça ne peut pas être plus cher pour l’instant. Je suis convaincu que si le travail de soutien avance comme espéré, ces photographies vont rapidement valoir deux à trois fois plus.
Ses œuvres sont-elles déjà entrées dans les institutions aux États-Unis ?
Oui, ces tirages vintage sont très recherchés et se négocient déjà plus chers que chez moi.

À VOIR
Galerie Mathias Coullaud.
12, rue de Picardie, 75003 Paris. James Bidgood, tirages vintage de 1963.
Jusqu’au 4 mars 2017.

«Courbet», exposition collective.
Du 10 mars au 6 mai 2017.
www.mathias-coullaud.com
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