Mai-Thu, en passant par Alger

Cette maternité tout en raffinement de Mai-Thu est l’une des œuvres phares dispersées dans l’habituel rendez-vous des peintres vietnamiens à Neuilly. Outre ses qualités esthétiques, l’œuvre présente le double intérêt d’avoir été réalisée à une période charnière pour l’artiste, et d’avoir appartenu à de prestigieuses familles. En effet, elle a été peinte en 1944, au moment où Mai-Thu décide de s’installer définitivement à Paris, après avoir adopté la France à la fin des années 1930. Son style s’affirme alors, mariage entre la tradition asiatique et le goût européen, servi par la technique subtile de la peinture sur soie. Grâce au lavage du tableau, les couleurs atténuées s’harmonisent à merveille et confèrent une grande douceur aux compositions, comme on le voit ici avec les paisibles camaïeux de crème, beige et ocre, servant d’écrin aux personnages éclairés par un vert délicat. Associant deux de ses thèmes favoris, la beauté féminine et l’enfance, cette peinture a été exposée à Alger, à la galerie Pasteur, Mai-Thu ayant été invité par le gouverneur de la ville à y montrer ses œuvres en compagnie de son ami Lé Phô, dès 1942. Son séjour lui a certainement donné l’occasion de rencontrer le jeune empereur du Vietnam Hàm Nghi, exilé à Alger en raison de son opposition au protectorat français en Indochine. Le prince d’Annam consacrait en effet sa vie à l’art, côtoyait les artistes et les intellectuels, avec lesquels il entretenait des liens d’amitié, et était lui-même devenu artiste. Il résidait dans la villa Gia Long – du nom du premier empereur de la dynastie Nguyen –, dessinée par Georges Guiauchain, en 1906. L’architecte et son fils, Jacques, devenus amis avec le prince et son épouse française Marcelle Laloë, ont sans doute reçu de celle-ci ce tableau de Mai-Thu, conservé dans leur descendance jusqu’à aujourd’hui.