La collection d’Odile Finck et Éric Beccafico raconte cinquante années de création puisées dans les différents mouvements de la seconde moitié du XXe siècle. Passionnant et vivifiant !
Qu’y a-t-il de commun entre Monory, Garouste, Degottex, Rancillac, Raynaud, Marfaing, Takis et quelques autres ? A priori rien, ces artistes appartiennent à des mouvements bien différents et il est difficile de voir des liens entre la plupart de leurs œuvres ! Cependant, qu’ils soient abstraits ou figuratifs, membres de la figuration libre, des nouveaux réalistes ou de supports/surfaces, minimalistes ou conceptuels, ils ont contribué à l’aventure des arts de la seconde moitié du XXe siècle. Et c’est ce qui a plu et a suffi à Odile Finck et Éric Beccafico pour les réunir au sein de leur collection. Pendant plus de vingt ans, le couple a sillonné les grandes galeries d’art contemporain, de Daniel Templon à Karsten Greve en passant par la galerie Beaubourg. Et sans négliger de suivre les ventes aux enchères du tournant des années 2000, celles menées par Guy Loudmer, Francis Briest, Catherine Charbonneaux, Cornette de Saint Cyr ou la maison Pierre Bergé & Associés. Les soixante pièces qui vont être dispersées racontent une quête dont le fil directeur était le coup de cœur, la recherche des grands formats aussi, ce qui est suffisamment rare pour être noté. Dans les années 1950, pas de salut sans abstraction. Il est donc presque logique de débuter avec quelques-uns de ses représentants, aujourd’hui reconnus, qui l’étaient beaucoup moins lorsque le couple d’amateurs s’y est intéressé.
Histoires de lignes
Il en est ainsi d’André Marfaing (1925-1987), dont le tableau zèbre de sa puissance la couverture de la Gazette n° 6. Cet artiste essentiel de l’après-guerre n’intéresse réellement et de nouveau le marché que depuis quelques années. Sa toile, assez modestement estimée entre 15 000 et 20 000 €, devrait donc être scrutée avec intérêt. Il en est de même des Lignes report noir 1/2 , de Jean Degottex (1918-1988), réalisées en 1978. Aujourd’hui adepte du geste et du signe et développant lui aussi une esthétique du noir, le peintre est considéré comme une figure majeure de l’art abstrait. Après avoir été proche de l’abstraction lyrique, il tend à partir de 1954 vers une gestualité plus radicale. Puis en 1977, il se met à explorer une nouvelle technique consistant à «reporter» par pliage une moitié de la surface de la feuille sur l’autre. Cette technique d’empreinte, il l’adaptera à toutes sortes de supports, y compris à de grandes toiles acryliques appartenant à la série des «Lignes report» de 1978, dont fait partie le tableau, attendu à 60 000/80 000 €. À la fin des années 1990, son audience restait confidentielle, sa radicalité tenant l’artiste en marge des sirènes du marché… Aujourd’hui, il en va tout autrement et sa cote ne cesse de grimper depuis 2007, l’année de son record en ventes (source Artnet).
La figuration au pouvoir
Nos collectionneurs avaient la particularité de documenter leurs achats, et de les référencer, ainsi que l’explique l’expert Gilles Frassi. Les fiches sont précises, souvent avec une bibliographie et la mention des provenances et des expositions. Force est de constater que le couple privilégiait les œuvres ayant un pedigree. Le cas de la sérigraphie de Bernard Rancillac (1931-2021) est éloquent. L’œuvre, de 1968, appartient à une série de sculptures monumentales en Altuglas reprenant le portrait de personnalités américaines contemporaines, ici celui du poète et militant Allen Ginsberg (1926-1997). Cette pièce est bardée de références à des expositions. Parce que si le couple «vivait avec ses œuvres», précise encore le spécialiste, il les prêtait aussi facilement à des institutions. Après l’abstraction la plus exigeante, nous voici donc plongés dans la vitalité de la figuration narrative. Rancillac est l’un de ses pionniers comme l’un de ses représentants les plus radicaux, donnant souvent à ses œuvres une dimension politique et participant ainsi à la forte identité de la scène artistique des années 1960. Du même encore, un exemplaire du fauteuil dit «Éléphant» en résine polyester teinté, fibre de verre et fer forgé peint (3 000/4 000 €). Présenté pour la première fois au public lors de l’exposition «L’Objet» au musée des Arts décoratifs en 1966, ce siège a ensuite été édité. Dans la demeure des collectionneurs, Rancillac côtoyait un autre pilier du mouvement, Jacques Monory (1924-1918), auteur de La Terrasse n° 10 de 1989, une huile et collage sur toile (150 x 160 cm, 15 000 à 20 000 €), et de Tremblement n° 9 de 2000, une technique mixte exécutée avec des cibles de tir (30 000/40 000 €). Il s’agit là encore d’une œuvre monumentale : 340 x 320 cm. L’artiste, qui a fait de l’emploi de la monochromie bleue une signature, aimait les atmosphères lourdes de menaces et traduisait toujours l’inquiétude provoquée par la violence de la société moderne. Il utilisait d’ailleurs véritablement ces cibles pour son entraînement au tir, afin d’atténuer les impacts des balles.
Les singuliers libres
Libres dans leur choix, Odile Finck et Éric Beccafico affectionnaient aussi les artistes sans étiquette, impossibles à rattacher à une école particulière. De ces esprits singuliers, Gérard Garouste pourrait être le chef de file ! Son imposant triptyque, Scène allégorique, va retrouver les cimaises de l’Hôtel Drouot, dix-huit ans après y avoir été présenté une première fois, le 27 avril 2005, chez Pierre Bergé & Associés. Provenant de la collection d’un industriel berlinois, il avait d’ailleurs été reproduit dans la Gazette et avait emporté 50 000 € au marteau. Cette fois, 80 000 à 100 000 € sont espérés de ce grand morceau de peinture créé dans le vaste atelier de l’artiste de Marcilly-sur-Eure, alors qu’il explorait sa période «mythologique», cherchant ses thèmes dans La Divine Comédie comme dans le chant grégorien. Quant à Yayoi Kusama (née en 1929), elle est sans nul doute l’une des figures les plus excentriques et brillantes de l’art contemporain. Une pièce unique, titrée Silver Night (41 x 35 x 28 cm), exécutée en 1982, devrait attirer les enchérisseurs tant la Japonaise, qui a fait du point son motif de prédilection, est aujourd’hui à la mode. Les 100 000/ 150 000 € attendus ne devraient pas effrayer les amateurs ! On terminera cet aperçu de quelques-uns des highlights – il y en a beaucoup d’autres – par une œuvre de Vassilakis Takis de 1988 au titre faisant écho avec l’ensemble proposé, Sculpture magnétique, ne doutant pas que cette vente lance un signal fort au marché de l’art contemporain à l’Hôtel Drouot.