Les marchands d’art tenaient leur congrès en marge du salon des antiquaires de Modène. L’occasion de faire le point sur les difficultés traversées par leur profession et de soumettre au gouvernement une série de mesures pour rendre le marché italien similaire à celui de ses voisins européens.
«L’Italie est la lanterne rouge du marché de l’art européen et mondial. Son masochisme est invraisemblable.» Fabrizio Pedrazzini, président de la FIMA (Federazione Italiana dei Mercanti d’Arte) a dressé ce constat en ouverture de son IVe congrès. Il s’est tenu du 12 au 14 février dernier en marge de Modenantiquaria, le plus important salon italien des antiquaires qui se déroule chaque année à Modène. Les chiffres sont éloquents. Alors que l’Angleterre et la France représentent respectivement 60 % et 19 % du chiffre d’affaires européen du marché de l’art, l’Italie ne peut vanter qu’un misérable 2 %. La faute incombe à une législation surannée et à une bureaucratie obtuse, selon les participants du congrès. Ils ne se sont toutefois pas contentés de dresser une liste de doléances, mais ont avancé une série de propositions en présence de Vittorio Sgarbi, sous-secrétaire d’État à la Culture, à l’Architecture et au Patrimoine culturel. Dans un monde de l’art globalisé, Fabrizio Pedrazzini estime ainsi obsolète la distinction entre les « pays sources », dont fait partie l’Italie, et les «pays de marché», dont l’Angleterre est l’emblème. Le carcan d’une règlementation protectionniste et nationaliste, historiquement vouée à préserver le patrimoine culturel transalpin, entrave le travail des antiquaires. Leur principale revendication concerne ainsi la hausse du seuil des valeurs pour les exportations des œuvres. Alors qu’il est de 180 000 £ en Angleterre et que la France l’a relevé à 300 000 €, exporter une création de plus de 13 500 € relève du parcours du combattant en Italie. Le ministère de la Culture argue pourtant d’un assouplissement de la législation. Une loi introduite en 2017 permet l’exportation permanente avec une simple auto-certification d’œuvres d’auteurs morts, et dont la réalisation date de plus de soixante-dix ans. Un leurre pour la FIMA qui juge ridiculement bas le seuil des 13 500 € et réclame en outre que la date soit portée à cent ans. Elle déplore une atteinte à la liberté de circulation des marchandises, l’une des quatre libertés fondamentales du marché interne de l’UE. «L’État prétend avec cette loi préserver notre patrimoine culturel mais elle n’est en fait qu’un outil pour nous mortifier», fustige Fabrizio Pedrazzini. Les difficultés d’exportation ont en effet un impact de l’ordre de 10 à 20 % sur le chiffre d’affaires des maisons de ventes italiennes. Une interdiction de sortie du territoire peut faire baisser le prix des œuvres de 30 à 40 % pour celles qui ont un intérêt national, et de 70 à 80 % pour celles d’une grande importance internationale. L’absence du précieux passeport fait chuter en moyenne la valeur d’environ 50 %. Les marchands d’art exigent donc qu’il soit délivré selon des critères précis et motivés, et dans un délai restreint pour ne pas dissuader la clientèle étrangère d’acquérir en Italie. Ils déplorent le manque de personnel au sein des bureaux d’exportation et le caractère totalement arbitraire des décisions prises par les surintendances culturelles, qui ne daignent même pas les justifier. L’interdiction d’exporter une œuvre devrait en outre être compensée soit par la certitude de son achat par l’État s’il la préempte (ce qui est rarement le cas), soit par une indemnisation suivant les prix du marché. Pour faciliter le travail des antiquaires, la FIMA demande que les procédures administratives pour la délivrance des certificats CITES, permettant le commerce international d’espèces menacées d’extinction, soient simplifiées. Enfin, la mise en place d’une base de données sur les œuvres qui ne peuvent pas quitter le territoire et celles qui ont été volées ne peut plus être différée.
Des revendications
Toutes ces instances sont avancées depuis des années à la table ronde permanente, instituée par le ministère de la Culture pour faciliter le dialogue avec les représentants du monde de l’art : un dialogue de sourds selon les principaux intéressés, qui se sont néanmoins félicités de la fougue avec laquelle Vittorio Sgarbi s’est adressé à eux lors du Congrès de Modène. Dans une véritable harangue, le secrétaire d’État à la Culture, et l’un des plus grands collectionneurs italiens, leur a promis de les prendre en considération. «Traiter les collectionneurs comme des délinquants prouve l’ignorance crasse de certains fonctionnaires, a-t-il affirmé avec véhémence. Grâce aux antiquaires, nous avons en Italie de formidables collections d’art ancien et moderne. La plupart d’entre elles ont d’ailleurs été constituées par des achats à Londres ou à New York permettant de rapatrier des œuvres dans la péninsule.» Les craintes d’un appauvrissement de son patrimoine en facilitant les exportations seraient ainsi exagérées. Vittorio Sgarbi s’est donc engagé à les simplifier, à empêcher toute interdiction de sortie du territoire des œuvres dont la date de réalisation est inférieure à 100 ans et à faire en sorte que l’État exerce son droit de préemption de manière effective. «S’il n’y a pas un marché, une œuvre n’existe pas, a-t-il martelé. Celui qui la fait exister doit être récompensé et non pas puni. Nous devons lutter contre les caprices de surintendants frustrés qui se lèvent le matin en voulant imposer des carcans sans aucune raison valable. Les collectionneurs sont l’âme des musées. Ils ne peuvent pas être perçus comme des ennemis. Le système italien criminalise et humilie les marchands d’art. Il faut rétablir un rapport équitable et respectueux.»
Des mesures concrètes
«Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour», lui ont rétorqué ses interlocuteurs, touchés par ces effusions mais échaudés par trop de promesses non tenues. La FIMA estime urgent d’adopter des mesures concrètes pour soutenir un secteur en grande difficulté, après deux ans de pandémie et la crise provoquée par la guerre en Ukraine. Elle souhaite ainsi que l’achat d’œuvres d’art soit défiscalisé pour développer la collection aussi bien privée que publique et lutter contre le marché noir. Un avantage pour l’acheteur qui s’accompagnerait de l’obligation de prêter l’œuvre à un musée ou une galerie qui désirerait l’exposer. «Nous portons ces revendications depuis trop longtemps, s’impatiente Fabrizio Pedrazzini. Il faudra du courage et une vraie volonté politique pour surmonter les résistances bureaucratiques au sein des surintendances culturelles. Nous ne demandons pas une libéralisation sauvage, mais juste du bon sens indispensable pour relancer notre profession. Elle souffre de la chute des prix sur le marché, mais surtout d’un manque de renouvellement générationnel aussi bien auprès des vendeurs que de la clientèle.»
La nécessaire adaptation
Les intervenants du congrès des antiquaires de Modène ont déploré le changement de la société et de ses goûts ces vingt dernières années, y compris chez les collectionneurs les plus aisés. L’art ancien s’en trouve pénalisé au profit du moderne et du contemporain. «Une partie des antiquaires n’a pas compris que le monde a changé et qu’il fallait s’adapter en prenant notamment sérieusement le virage des nouvelles technologies», insiste le président de la FIMA. Il travaille ainsi à la création d’une plateforme d’e-commerce supervisée par un comité d’experts qui puissent garantir en toute transparence l’authenticité et l’origine des œuvres qui y seront vendues. «Depuis la naissance du métier d’antiquaires au XVIe siècle, on a régulièrement annoncé la mort prochaine de notre profession, s’amuse Fabrizio Pedrazzini. Nous ne travaillons pas avec n’importe quelle marchandise mais avec la beauté et elle existera toujours. En Italie, il faut juste la libérer.»